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Table de matières
Avant-propos
--- Partie 1 --- En Prison Guerre – Guerre Oiseau de bois Le dimanche du prêtre incarcère La prière en prison Nuits fiévreuses Un peu de lumière A la locanda du soleil Carmes libanais | --- Partie 2 --- L'exil De Aley à Alep Un cas de choléra Rencontre providentielle Retour à sidi Scehir A sidi Schehir Missionnaire parmi ses compagnons d’exil Un melon Hérétique fanatique. Famille catholique Deux exilés Les chrétiens chassés et rappelés à Conie A la mosquée Une prohibition Effets du vin | Une excursion Bombardement de Orfa Mort d’un Italien Caravanes Kurdes Vaccination |
Avant-propos - Introduction - Itinéraire de l’exilé |
Avant-propos |
J’ai la joie de vous présenter, cher lecteur, un livre précieux; un témoignage historique écrit par un religieux carme italien qui a accepté de risquer sa vie pour sauvegarder les biens de l'église, mais surtout la foi du peuple chrétien a Kobayat, au nord du Liban.
Ceux qui s'offrent totalement au service des autres rencontrent toujours des trahisons à l'intérieur de leur communauté. Ceci a donné l'occasion aux Turcs de le mettre en prison.
Rentré au Liban, à la fin de la première guerre mondiale et rendant visite aux couvents de la Mission dont il était Vicaire Apostolique, dans l’intention d’en organiser la marche et les œuvres, le père Giuseppe d’Arpino fut au comble de la joie de rencontrer à nouveau le père Benedetto Portieri qui s’était offert à rester comme gardien de la station de Kobayat durant cette période de la grande guerre. Il y fut arrêté en tant qu’espion et traître par les autorités ottomanes et mis en prison en Turquie.
Le Père Giuseppe, durant ses rencontres et ses conversations avec le père Benedetto, ayant eu connaissance de l’amère expérience de la prison et des moments douloureux vécus par ce dernier, se rendit compte de la force d’âme du religieux carme, de la vigueur de la jeunesse de son cœur, de sa soumission à la volonté de Dieu et sa remise entre les mains de sa protectrice, la Sainte Vierge, atouts qui lui valurent de persévérer et de vaincre les achoppements de désespérance que la prison sème dans le cœur du détenu.
Ayant eu une idée globale de l’épreuve douloureuse vécue par le père Benedetto et comment il avait pu s’en sortir victorieux, grâce à sa foi et à sa patience, il décida que cette expérience soit écrite et mise entre les mains des religieux et des amis comme exemple rare de vertu et de foi.
Aussi, la revue « Il Carmelo e le sue Missioni » commença-t-elle à publier, par épisodes, à partir de l’année 1925, les « Mémoires » que le père Benedetto se mit à rédiger pour répondre au désir de son Supérieur le père Giuseppe d’Arpino. Les événements évoqués débutent à partir du 20 décembre 1914.
Le témoignage du père Benedetto est actuel et urgent pour notre temps. Son expérience se répète partout dans notre monde oriental et occidental. Nous ne devons jamais céder à la tentation d’oublier les multiples sacrifices endurés durant la première guerre mondiale, surtout les souffrances des personnes et des peuples-comme le peuple arménien martyrisé par les Turcs-qui ont offert leurs vies pour témoigner de leur foi chrétienne, ou à cause de leur nationalité ou de leurs idées politiques…
Ce livre dénonce tout acte injuste dans notre monde.
Je remercie père César Mourani pour son précieux apport qui contribue à bâtir une culture de paix et d’amour, dans l’espérance de guérir notre mémoire historique.
Père Raymond Abdo ocd
Provincial
Introduction |
A- Le héros - narrateur
Le narrateur - héros de l’épisode qui va se dérouler sous nos yeux humides d’émotion, n’est autre que le padre Benedetto di Santa Maria connu alors sous le nom arabisé de « Abouna Mbarak ». Son souvenir est encore vivant parmi les anciens de Kobayat, et la grotte maternelle qui lui a servi d’abri temporaire est toujours là, et porte encore comme elle a porté le nom de son hôte d’une fois : «Mgharat Abouna Mbarak ». Si vous allez aux informations, très peu de gens ignorent son emplacement et l’histoire de son célèbre locataire.
Luigi Portieri, de son vrai nom, a vu le jour le 18-X-1882 à Vobarno dans la région de Brescia en Italie. Entré au Carmel de Venise à l’âge de dix-neuf ans, il fit sa profession religieuse le 17-XII-1901 et fut ordonné prêtre le 17-VI-1905 à l’âge de vingt-trois ans. Quatre ans plus tard, il s’embarqua pour la Mission de Syrie où, dès le mois de juillet 1909, il remplit plusieurs fonctions : supérieur de la station de Tripoli, curé à Alexandrette de Turquie, nous le rencontrons directeur de l’école à Kobayat en 1915 au moment de son arrestation. « Oiseau de campagne » avant de devenir « oiseau de cage », de 1916 à 1918, il va être arrêté, trahi par l’un de ceux qui lui devaient protection et assistance. Traduit devant la Cour Martiale de Aley, il échappe de justesse à l’échafaud par pure volonté divine, mais il est condamné à l’exil en Anatolie où, pendant sa longue captivité il va mener une vie de vrai missionnaire parmi tant d’aventures et de péripéties malheureuses sur le plan purement humain ; mais la Providence Divine ayant décidé autrement, les malheurs subis se sont éclos en fleurettes d’une senteur parfaitement exquise.
Relâché au moment de l’armistice de 1918, au lieu de rentrer en Italie, Padre Benedetto regagna, à travers Constantinople et Beyrouth, son poste d’apostolat à Kobayat. Son service se prolongea au Liban jusqu’en 1941.
Arrêté, au début de la seconde guerre mondiale par les Français du mandat, il fut convoyé avec ses confrères à Draykish dans la région de Safitha dans les Montagnes des Alawites où il fut détenu pendant quelque temps. Remis en liberté en 1941, il gagna Saint-Jean d’Acre d’où il s’embarqua définitivement pour l’Italie.
Padre Benedetto, missionnaire jusqu’au bout des ongles, ne put jamais oublier l’objectif pour lequel il avait tout abandonné et consacré sa vie. Le souci de la mission le hantait tellement qu’elle lui faisait oublier sa propre situation. Ses malheurs devaient s’effacer devant les douleurs des autres. La solitude, seule, lui rappelait qu’il était « oiseau de cage ». « Zelo Zelatum sum pro Domino Deo exercituum[1] » : ce cri de St. Elie, devenu devise du Carmel, retentissait, sans cesse, dans ses veines gonflées de foi et d’espérance comme l’écho de la présence du « Maître » à ses côtés.
Esprit vif et espiègle (petit Chaïtan), le narrateur-héros, a des yeux bien ouverts ; il ne manque pas d’observer, de capter et de relater les moindres détails qui peuvent intéresser le lecteur et l’instruire à propos de la situation vécue, malgré ses souffrances personnelles. Témoin oculaire, il vit une page douloureuse de l’histoire du pays et il en partage toutes les retombées sur le peuple dont il est pasteur, guide et gardien.
L’italien Luigi Portieri, devenu « Abouna Mbarak », un être généreux jusqu’à l’abnégation, sorti vivant de la fournaise, amoindri physiquement, mais dégagé et épanoui spirituellement, « Abouna Mbarak » est, après tout, un religieux Carme : à l’exemple de son « Maître », il a su pardonner...
Narrateur-héros, pourquoi n’a-t-il pas écrit lui-même ? Ne savait-il pas écrire ? Ceci est fort douteux ; peut-on dire que quelqu’un qui s’attelle à la tâche de compiler un dictionnaire bilingue, ignore la science de l’écriture ? Ou bien, doit-on reporter cette esquive à la tradition carmélitaine qui veut que l’auteur véritable se cache derrière l’habit ?! Il laisse le soin de rédiger le récit de ces périples à l’un de ses jeunes confrères qui s’en charge.
[1] J’éprouve une ardeur jalouse pour le Seigneur, Dieu des armées.
B- L’écrivain : Pater Stanislaus ab Assumptione.
Angelo Massardi, de son vrai nom dans les registres de Brescia, est né le 7-II-1887 dans un village du nom de Nuvolento. Entré au Carmel, il fait sa profession le 29-VII-1907 à l’âge de vingt ans. Sept ans plus tard, le 28-X-1914, il est ordonné prêtre. La première guerre mondiale terminée, et la mission de Syrie remise sur pieds, il s’engage comme missionnaire et rejoint la Syrie où il est nommé vice-curé à Caifa. Bientôt il est transféré à Alexandrette comme directeur d’école. Il rend le même service plus tard à Bicherri, Kobayat et Tripoli. Il est successivement nommé supérieur de plusieurs maisons où sa charité et son sens de l’organisation furent hautement estimés. Pour ses mérites au service des écoles italiennes à l’étranger, il fut décoré par le roi d’Italie comme « Chevalier de la couronne d’Italie » au 21-IV-1940. A l’entrée de l’Italie en guerre aux côtés de l’Allemagne en 1941, il fut arrêté par les Français de Vichy et déporté avec ses confrères à Draikish. Laissé libre, il rentra dans sa patrie. Une fois la guerre finie, il fut l’un des premiers à regagner la Mission. J’ai eu le bonheur de faire sa connaissance pendant l’été de l’année 1947. Sous les dehors de l’agriculteur dynamique et attaché à la glèbe, je n’ai pas su lire alors les qualités de l’homme de sciences et de lettres. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que ses talents géniaux ont eu l’occasion de révéler « une tête bien faite ».
Le père Stanislao Massardi se charge donc de la rédaction des souvenirs mis en notes par le père Benedetto. Il s’en acquitte brillamment : Une technicité sans faille, une langue cristalline, un style éclectique, réaliste et primesautier. Il est tellement attachant qu’une fois la lecture entamée, l’envie vous prend d’aller, sans vous arrêter, jusqu’au bout.
La partie méditerranéenne du vaste empire ottoman était divisée, juridiquement, en plusieurs wilayats ou provinces, dirigée chacune par un wali, « une sorte de gouverneur de province européen ». Chaque wilaya était, à son tour, partagée en dicastères ou cazas, à la tête desquels se trouvait un représentant de l’autorité, appelé « Caïmacan » ou vice-gouverneur. Les cazas ou départements étaient formés de grosses agglomérations qui possédaient leurs propres chefs ou présidents des communes, comme ils avaient aussi de petits regroupements, fermes ou villages avec leurs mukhtars. Au sein des grosses bourgades ou des villages, il y avait, souvent, un ou plusieurs « coqs » qui faisaient eux-mêmes la loi.
Parmi les chrétiens, il y avait les chaikhs, comme il y avait parmi les regroupements islamiques les Beyks et les Aghawats. Mais tout ce monde de « grosses pièces » vivait aux dépens du pauvre peuple qui payait, lui, les pots cassés, soit au gouvernement, soit à ses propres Chaïkhs, Beyks ou Aghas. Ceux-ci avaient des obligations, soit entre eux, soit envers le Caïmacan. C’était une sorte de féodalité tribale et tributaire. Pour pouvoir respirer quelque peu, ils devaient répondre, le plus souvent, aux exigences gouvernementales, ou bien aux requêtes des plus forts parmi eux. Comme d’habitude, dans ces contrées, le chrétien Chaïkh ou simple être humain, devait avoir les qualités d’un roseau dans la tempête pour sauver sa peau. Souvent, les chefs étaient en lutte entre eux, et parfois avec le gouvernement, et c’était au pauvre peuple d’en essuyer les conséquences.
Le Akkar était dirigé par un Caïmacan, nommé à cet effet par le gouvernement ottoman. Il avait son siège à Halba et dépendait directement du wali de Tripoli.
Les Beyks de Biré et les Aghas de Akkar-el Atika et de Machta faisaient partie de la féodalité dirigeante ainsi que certains Chaïkhs de Kobayat qui, par intermédiaire, avaient réussi à gagner les bonnes grâces du Caïmacan ou d’autres chefs plus puissants.
A Beyrouth, la situation politique n’était pas plus heureuse. Nous sommes, déjà, au seuil du grand conflit mondial. Depuis une vingtaine d’années, précisément en 1889, la jeunesse turque commençait déjà à voir de mauvais œil la façon de diriger du gouvernement central et les vents d’un refus fondamental du système avaient commencé de souffler.
L’Association « Jeune Turcs : Jön Turkler » venait de voir le jour. Quelques années plus tard (1884) une autre société plus extrémiste naquit au sein du vieil empire : « Union et Progrès » se développa d’une façon plus vigoureuse, et draina, dans son sillage, les restants des « Jeunes Turcs », surtout à partir de l’année 1906.
La nouvelle association lutta de toutes ses forces contre les valeurs du monde arabe et islamique. Elle mena une campagne acharnée contre la langue arabe, imposant la seule langue turque dans la bureaucratie officielle, dans les écoles et dans tout le système éducationnel du temps ; c’est ce qu’on a appelé : Tatrick. Elle sévit d’une manière radicale contre les mouvements de libération arabe ou de retrouvailles islamiques. Plusieurs journaux arabes furent jugulés en Palestine, Beyrouth et Damas et leur parution fut interdite.
Le 27 avril 1909, l’Association fomenta un coup d’état contre Abdel-Hamid et le déposa du sultanat. En 1913, une autre conspiration amena au gouvernement de l’empire les chefs de la « Gemiyeti ». Ce fut, ce qu’on appela la domination des Pachas. Ceux-ci, sous prétexte de reprendre en main les territoires déjà perdus, portèrent l’empire ottoman à rejoindre la Coalition dans la première guerre mondiale. La participation à la guerre fut désastreuse à tout point de vue, et les pays victorieux se partagèrent la dépouille du « vieil homme malade ».
Alors que les associations turques minaient l’empire de dedans et faisaient pression sur les populations arabes, ces dernières ne dormaient pas. Des sociétés secrètes voyaient le jour.
En 1908, « Al Kahtanyé » vint à la lumière. Une année plus tard (1909) un autre regroupement naquit sous le nom de A’hd. Ces sociétés encadraient généralement les officiers arabes en service dans les armées turques. Leur objectif, non atteint, consistait, au début, à créer un état arabe unifié et autonome avec parlement, gouvernement et langue propres au sein même de l’empire ottoman.
Une autre société, beaucoup plus notoire, fut fondée à Paris en 1909 sous le nom de « Al Arabié-El Fatat ». Transférée à Beyrouth en 1913, elle avait pour objectif d’obtenir la décentralisation du pouvoir à l’intérieur de l’Empire Ottoman, de façon à constituer un royaume arabe autonome au sein de l’Empire même.
En 1912, un conflit armé éclata entre la Turquie et l’Italie. Beyrouth en paya le prix. « ...Dans la même période de 1912, Beyrouth subit un bombardement intensif et destructeur motivé par l’appui des beyrouthins au peuple de Tripoli de Lybie.
La flotte italienne commença à bombarder Beyrouth et tua des innocents civils, ce qui créa un état de terreur parmi les Beyrouthins, comme elle bombarda certains navires civils et militaires amarrés dans le port de la ville, entre autres, le célèbre bâtiment ottoman « Aoun Allah : aide de Dieu ».
Le Supérieur des Pères Carmes écrit le trois mars 1912 : « On dit, à Beyrouth, qu’en plus des deux cuirassés turcs qui furent détruits, deux cents soldats environ et autant de civils ont trouvé la mort. On commença à manifester contre les consulats. Alors la ville fut déclarée en état de siège. Environ 100.000 personnes quittèrent Beyrouth. A Tripoli une panique générale s’est emparée de la ville et ainsi partout... », écrit le Père Giuseppe d’Arpino dans une lettre adressé à ses supérieurs à Rome.
Le bombardement de Beyrouth fit sentir un besoin urgent de réforme. Des pourparlers furent entamés entre les notables beyrouthins et le wali qui en référa à la Sublime Porte. Il y eut un changement imprévu du wali. Entre-temps une organisation non officielle naquit le dimanche 14 janvier 1913 sous le nom d’« Organisme de réforme pour la wilayat de Beyrouth ». Cette organisation présenta une pétition pour la réforme des wilayats arabes, celle de Beyrouth en particulier ; elle visait, entre autres objectifs, celui de la décentralisation dans le gouvernement des wilayats arabes. La pétition n’eut pas de suite et l’association fut interdite le 8 avril 1913.
L’un des chefs de l’association « Union et Progrès », Ahmad Jamal qui avait dirigé les combats contre les Bulgares sur le front de Macédoine, et participé au complot contre le sultan Abdel-Hamind, avait été ministre des travaux publics en 1913 et amiral en chef de la marine ottomane ; le Pacha fut nommé, en 1914, gouverneur de « Bilad-Ach-cham » et général en chef de la quatrième armée ottomane.
À deux reprises, le Pacha, poussé par les Allemands, organisa une attaque contre l’Egypte. Les deux campagnes de 1915 et 1916 contre le Canal de Suez échouèrent misérablement ; aussi, à son retour, chagriné par le désastre, déversa-t-il le venin de sa bile contre les notables du pays. Il établit un tribunal militaire à Aley. Le Tribunal, devenu, vite, une terreur de la population, entra dans l’histoire pour sa cruauté légendaire.
Padre Benedetto, traduit devant ce tribunal, échappa, par pur miracle, au gibet ; mais les victimes en furent nombreuses. On dénombre par dizaines les martyrs pendus sur les places publiques à Beyrouth, Damas, Baalbek et Hama. Le Akkar paya son tribut de sang, et Kobayat commémore avec fierté l’un de ses enfants, victime sur l’autel de la patrie. Abdallah Daher fut l’un des premiers à être sacrifié pour avoir réclamé le rattachement de son pays, à un Liban libre et indépendant.
C- Situation sociale
La population du Akkar est fondamentalement rurale. A Kobayath, elle l’est plus encore. On travaille son propre lopin de terre ; on est partenaire des chaïkhs ou des beyks, ou bien, on est main-d’œuvre sur les terrains des autres. On sème le blé, l’orge ou d’autres céréales dans les terrains non irrigables. Dans le sol sous eau, on plante quelques légumes et le maïs, surtout, pour le fourrage. Les Kobayathines et quelques-unes du voisinage ont la chance de gagner un peu d’argent à travailler dans les filatures du pays. En résumé, le peuple qui vit, a la chance de survivre et voir, Dieu merci, pointer le soleil du jour suivant : « ...Quand la Turquie s’engagea (dans la guerre) aux côtés de l’Allemagne, tout lien de communication avec l’étranger fut coupé, les armées des sauterelles attaquèrent notre sol et envahirent notre pays en quantité innombrable, dévorant vert et sec », les turcs, crissant les dents, allumèrent les feux de la persécution et levèrent contre nous les javelots de la vengeance ; insufflant le venin de leur colère, ils mirent la main sur les notables, matraquèrent les têtes, dressèrent les gibets, y pendirent des gens innocents et exilèrent les haut-placés. Le Liban fut ceinturé d’armées ; toute source d’approvisionnement fut coupée ; tout accès aux vivres interdit ; les loups de la famine dévorèrent petits et grands. Le ciel, de plomb, refusa pluie et rosée, la terre en friche ne laissa pousser que la mort pour les hommes et les bêtes. Les fléaux, de tout genre, se multiplièrent et se répandirent, polluant la nature, apportant la souffrance et la tuerie de manière à faire frissonner les corps.
« La pitié quitta les cœurs, et le désespoir fut au comble. Des mères dévorèrent leurs enfants ; le frère n’eut plus pitié de son frère ; le père de son fils ; le fils de son père. Les tombes débordèrent de morts ; des fossés communs furent creusés pour la sépulture ; certaines dépouilles furent abandonnées à la voracité des oiseaux carnassiers. L’histoire n’a jamais connu d’atrocités pareilles... » (Lutfallah Bkassini, Nabzat de la 1ère guerre 1922, p. 13-14).
Le typhus faucha la population ; les morts jonchaient les bords des routes comme des fanes d’automne.
Le choléra frappa plusieurs régions et Kobayat eut sa part de malheurs. Les morts, ensevelis, pêle-mêle, dans les espaces vides autour des anciennes chapelles, en témoignent.
A rendre la vie intenable vinrent s’ajouter les décrets du gouverneur Jamal Pacha : sévices, arrestations, exécutions, enrôlement obligatoire et désertion. Le 12 mai 1914, l’âge du service militaire fut abaissé à 18 ans. La campagne fut vidée des hommes. Seuls y restèrent femmes, vieillards et enfants.
La famine suivit le blocus maritime des alliés. Le Pacha mit la main sur les céréales ; il filtra le blé confisqué en faveur des armées turques et allemandes. Il fit saisir, en faveur de l’armée, tous les animaux de somme : chameaux, chevaux, mulets même les ânes. « ... Pendant cet intervalle, écrit un témoin - Jamal entreprit de rassembler les animaux même les poules ; il ordonna en plus de recueillir beaucoup de choses : les bidons et les sacs pour en faire des défenses aux soldats sur le front égyptien. Il déclarait parfois, le cas échéant, être disposé à donner ordre de détruire les églises et les mosquées, et, tout ce qui augmenterait les chances de remporter la victoire pour soi et en faveur de l’Etat. Il avait la victoire de son côté en ramassant les foulards de soie, les bouteilles de Cologne et autres parfums ainsi que les peignes des femmes et des choses semblables de nulle utilité aux soldats de la troupe, des choses pareilles dont s’emparaient les officiers pour leur service personnel... ». (Loutfallah Bkassini, op. C. p. 190).
La séquestration des médecins et des médicaments favorisa les négligences sanitaires et aida à l’expansion des maladies et des fléaux.
La dévaluation de la monnaie et la pénurie des vivres causa une hausse des prix mortelle.
Et le témoin oculaire de cette période malheureuse, Loutfallah Bkassini de continuer sur le même ton « ... L’année 1916 fut une année de sécheresse et de misère ; les gens commencèrent à souffrir la disette et la pénurie. Le mouvement des travaux sécha totalement et la faim prit à torturer les ventres des pauvres gens. L’Etat ottoman, entré en guerre aux côtés de l’Allemagne, commença d’imposer des taxes exorbitantes au pauvre peuple comme subvention aux blessés de guerre, comme prix de sacs, souliers, tabac et bidons et d’autres nombreux objets nécessaires à l’armée. Ces taxes constituèrent une lourde surcharge sur les épaules du peuple écrasé surtout après que le gouvernement se fut saisi des produits agricoles et des choses nécessaires à la subsistance pour étouffer et faire périr de faim le Liban. La misère dépassa la limite, et des gens quittèrent pour les riches plaines du Akkar à la recherche de quoi manger... ». (Op. C. pp. 489-490).
Le témoin cité n’est pas le seul à rapporter les malheurs du temps. Il est peut-être l’un des milliers qui ont survécu pour écrire. La plupart des survivants n’ont pas écrit ; mais ils ont dû avoir l’occasion d’en dire quelques mots à leurs fils et arrière petits-fils. P. Benedetto a été, lui aussi, témoin oculaire et témoin de qualité : il a vécu pleinement ce qu’il raconte : nous n’avons qu’à le suivre.
Père Cesar Mourani
ocd
Itinéraire de l'exilé |
Kobayat | 20 décembre 1914 | |
Kobayat | 21 décembre 1914 | |
Halbé | 22 décembre 1914 | |
Tripoli | 22 décembre 1914 | |
Halbé | 23 décembre 1914 | |
Kobayat | 23 décembre 1914 | |
Tripoli | 22 - 27 mai 1915 | |
Kobayat | 27 mai 1915 | |
Kobayat | 10 mars 1916 | arrestation |
Halba | 10 - 15 mars 1916 | |
Tripoli | 15 mars 1916 | |
Tripoli - Marina | 20 mars 1916 | |
Beyrouth | 23 mars 1916 | mort de Kh. Hanna Safatlé |
2 avril 1916 | Makhul relâché | |
8 avril 1916 | Habes ussalésil | |
Aley | 13 avril 1916 | Habesseddam |
19 avril 1916 | cour martiale | |
7 mai 1916 | Tanus relâché | |
3 juin 1916 | déclaré innocent par le tribunal (papas) | |
3 juin 1916 | conduit à la locanda « Essiamus » (Abu Yousef Massaud) | |
10 juin 1916 | Départ pour Beyrouth | |
11 juin 1916 | En prison à Beyrouth | |
23 juin 1916 | Départ pour Alep | |
Alep | 24 juin 1916 (10 h. du matin) | arrivée |
Alep | 2 juillet 1916 | Départ en train → Islahie (Cilicia) |
3 juillet 1916 | arrivée à Adana | |
4 juillet 1916 | montée du Taurus | |
5 juillet 1916 | nuit sur le Taurus | |
6 juillet 1916 | reprise du train, arrivée à Pozanti | |
7 juillet 1916 (10 h. du matin) | arrivée à Konie | |
18 Octobre 1916 | départ pour Coscisciar | |
arrivée à Bey-Scehir | ||
départ pour Sidi Scehir | ||
arrivée vers le couchant | ||
20 octobre 1916 | reprise de la route pour Conie | |
arrêt à Bey-Scehir | ||
22 octobre 1916 | arrivée à Conie à 3h après-midi | |
24 octobre 1916 | arrivée à Seidi-Scehir | |
Seidi-Scehir | 24 oct.- 10 nov. 1916 | séjour |
10 novembre 1916 | départ pour Conie | |
Konie | 12 novembre 1916 à 3 h. après-midi | arrivée |
8 avril 1917 | lettre du papas à l’ambassadeur U.S.A. à Constantinople | |
27 mars 1917 | papas luis apprend la mort de son ami abdallah Doher | |
10 août 1917 | fête du Corben Bairam | |
29 septembre 1917 | bombardement de Orfa | |
juin 1918 | publication de l’ordre : Les exilés de Syrie peuvent rentrer. | |
septembre 1918 | ordre de massacrer les chrétiens | |
6 novembre 1918 | il apprend la fin de la guerre | |
16 novembre 1918 | départ de Conie | |
Constantinople | 22 novembre 1918 | arrivée à Stambul |
2 décembre 1918 | départ | |
Beyrouth | 10 décembre 1918 | arrivée |
11 décembre 1918 | messe à l’église des Franciscains | |
12 décembre 1918 | départ à 5h. | |
à 5h. du soir arrivée à Tripoli | ||
Kobayat | 21 décembre 1918 | arrivée à nuit tombée |
22 décembre 1918 | messe à l’église de Gaie | |
12 mars 1918 | l’ouverture du couvent |
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Ref: Pere Cesar Mourani, Cesar Mourany, Benedetto Portieri, Abouna Moubarak