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Les Carmes dans la Vallée Sainte

Traduction par Père Cesar Mourani ocd

Photo: Deir Mar Licha, Qannoubine

Contents

Avant-propos. 1

Première narration. 7

Deuxième narration. 29

Troisième narration. 52

Quatrième narration. 77

 

Avant-propos

« Si les jésuites occupèrent, incontestablement, la première place dans la grande bataille missionnaire, à partir des environs de 1550, ils ne furent pas les seuls pourtant à y participer… » 

Parmi les ordres nouveaux, celui des carmes déchaussés se manifesta comme le plus entreprenant en ce domaine: non sans difficultés internes d’ailleurs, la branche espagnole menée par le fameux Père Nicolas Doria, le Génois… s'affirmant hostile à l'idéal missionnaire, cependant que la branche italienne, fidèle aux leçons de l'ardent Père Jérôme Gracian, s'en faisait le protagoniste ; finalement, ce furent les Italiens qui imposèrent leurs vues, et les carmes, à leur tour, partirent à la conquête de la terre païenne, la croix au poing.  

Mais l'aventure la plus extraordinaire fut certainement celle que coururent en Perse, juste au tournant des années 1600, une escouade de pères carmes envoyés par le Saint-Siège auprès du shah des shahs… Clément VIII vit venir à lui un groupe de carmes déchaussés… qui lui proposèrent… d'aller en Terre Sainte… En travers de la première page du rapport, Clément VIII écrivit de sa main : in Persidem… Il surnomma les deux chefs de la délégation, l'un Paul-Simon et l'autre Jean-Thaddée.

Alors commença pour les carmes une aventure aux multiples épisodes, dont il serait facile de faire le plus passionnant des romans. ‘’ (Daniel-Rops, Histoire de l’Eglise, tome V p.280) 

"il est inoubliable, écrit le père Bernardo di Maria Santissima, missionnaire carme italien, dans les annales de l'Eglise et du Carmel, le chapitre général de la Réforme carmélitaine célébré à Rome, au couvent de Santa Maria della Scala en 1605, année où ces vénérables prélats, renonçant à leurs hautes fonctions au sein de l'Ordre, firent, tous, vœux de partir pour les saintes missions. Ce fut une véritable confirmation de l'idée missionnaire que la grande Thérèse d'Avila avait laissée en héritage à ses fils" 

Les vénérables confrères ne manquèrent point de réaliser les désirs du Pape et ils s'en furent jeter les semences du christianisme sur les terres du shah et en Arabie. Cependant, les supérieurs n'avaient pas eu le temps d'oublier leur premier dessein de revenir sur leurs lieux d'origine. Quelques années plus tard, en 1627, les missionnaires de la Réforme débarquèrent à Alep, non loin d'Antioche, premier siège du patriarcat de saint Pierre ; et le chapelet s'égrena… en 1631, le père Prospero de l'Esprit-Saint, fondateur de la mission d'Alep, reçut l'ordre de se transférer au Mont Carmel pour relever, de ses ruines, l'héritage des fondateurs, saints Elie et Elisée. Le Mont Liban ne tarda pas à suivre. Au cours de leur va-et-vient, entre leurs champs d'apostolat et l'Europe, nos missionnaires passaient souvent par la côte libanaise. Parfois à Alexandrette, mais plus souvent à Tripoli, ils se trouvaient dans l'obligation d'attendre l'occasion de s'embarquer. Cette attente, soumise à l'enchainement des événements, pouvait parfois se prolonger longtemps, et atteindre même deux ou trois mois, comme il est arrivé à père Carlo, procureur des missions (cf. le texte). Aussi, certains missionnaires ne manquèrent-ils point de s'aventurer sur les sentiers de la Montagne, soit pour assouvir leur curiosité de touristes improvisés, soit pour se mettre en contact avec le patriarche et les prélats de la nation maronite. Dans ses pérégrinations entre Alep et le Mont Carmel, le père Celestino eut l'occasion, plus d’une fois, de visiter la Montagne.  Lors de son passage à Cannoubine en 1639, père Celestino semble avoir reçu les avances du patriarche Ameira quant à la présence du Carmel réformé parmi ses ouailles. Il reçut, en outre, l’offre d'un couvent abandonné portant le nom de saint Elisée, situé plus en avant, dans une anfractuosité de la montagne, à quelques kilomètres du siège patriarcal, en remontant la vallée évasée qui resserre son goulot au pied des cèdres. Le père Celestino dut entendre la passionnante proposition comme l'entendirent, probablement, avant lui ses confrères, le père Vincent de saint François, à l'allée comme au retour de l'année, lors de son passage en 1610-1611 ; ainsi que le père Philippe de la très Sainte-Trinité en 1640. Le vénérable patriarche maronite, Georges Ameira, nourrissait une profonde affection pour les Carmes de la Réforme thérésienne. Il en avait fait la connaissance quand il faisait ses études à Rome. Il avait mieux approfondi et admiré leur mode de vie lors de son service à Alep. Ils convenaient à l'atmosphère générale de la Montagne. Sacrifice illimité, prière et service, frugalité, simplicité de vie, austérité des mœurs, brillante image d'une bougie vacillant dans le brouillard d'encens, remontant les falaises abruptes des gorges profondes de la Vallée Sainte. Ce matin- là, père Celestino quitta le monastère patriarcal rêveur et soucieux ; il rêvait déjà de recevoir la mission de relever de ses ruines l'ermitage délabré de saint Elisée, et soucieux, cependant, pensant à la façon de convaincre les supérieurs pris au dépourvu. Il oubliait que l'Esprit, qui règle l'organisation des choses, était en train de s'occuper de l'affaire. Le Préposé général de l'Ordre, père Paul-Simon, était en train, semble-t-il, de penser sérieusement à l'implantation de ses confrères au Liban ; il a dû en glisser quelques mots aux missionnaires déjà sur le chantier à Alep, ainsi qu’au père Prospero qui venait d'assurer notre présence au saint Mont Carmel. Le père Celestino ne se le fit pas dire deux fois, recueillant, toute fraiche, la proposition du patriarche Ameira, il l'envoya sans retard à l'adresse de notre Définitoire général à Rome qui, dans sa session du 12/11/1642, se posa la question, ‘’Cum sese offerat occasio faciendi residentiam in Monte Libano, propositum fuit, an admittenda sit ? ’’. La réponse du Définitoire fut: Affirmative. Le père Général se hâta de confier la réalisation du projet au père Celestino, tout à l'heure à Alep. Des Difficultés empêchèrent la mise immédiate en chantier de la nouvelle fondation. Ce n'est qu'au mois de mars, de l'année suivante, que le père Celestino, remettant ses fonctions à Alep, entama sa marche vers le Mont Liban. Après plusieurs péripéties, plus ou moins, romanesques, dans la matinée du 19 mars, il parvint à gagner la chapelle de saint Elisée pour y célébrer la fête de saint Joseph, en compagnie du ‘’principal’’ de Bcharré, Abou keirouz, et d'une autre personne de Bcharré préalablement connue à Alep. Quelques-uns des chroniqueurs qui ont essayé de relater le récit des premiers pas de père Celestino sur le sol de Mar Licha, notre première demeure au Mont Liban, lui ont donné des compagnons, et ils les ont dénommés sans hésiter. (Lire à ce propos le récit de la fondation du couvent par le père Léon de Saint Joachin, sur les pages de la revue Missions des Carmes). Ils peuvent, probablement, avoir raison, mais la relation latine de père Celestino dit autre chose. Le vénérable père était tout seul…. Et il le restera pendant quelques mois. Son premier compagnon, le père François de Jésus, ne viendra le rejoindre qu'à son retour du Mont Carmel, au courant du mois de mai de l'année 1643, c'est-à-dire trois mois après sa descente à Mar Licha. Le 11 mai de la même année 1643, le saint patriarche Ameira, en présence des représentants des propriétaires du couvent saint Elisée, et des habitants de la ville de Bcharré, c'est-à-dire ‘’ le premier Abou keiruz, chaikh Hanna, le diacre Odom et le chammas Joufet ‘’ et à leur demande, fit tracer par écrit l'acte de donation et non de possession du couvent à notre Réforme. Cet « instrumentum donationis » parvint à Rome, plusieurs mois plus tard. Il fut accepté avec tout son contenu par notre vénérable Définitoire, et un premier subside de 100 écus (registra p.31 -32) fut attribué à la nouvelle fondation. A peine établis à Mar Licha, les pères sous la pression des rigueurs hivernales, d'une part, et soucieux, d'autre part, de suivre les maronites, qui délaissaient la montagne et ses froidures, pour gagner le littoral à la recherche d'un climat plus modéré, firent savoir au Définitoire la nécessité d'avoir une résidence propre à Tripoli. D'autres raisons, entrant en jeu, les supérieurs finirent par se convaincre de la nécessité d'avoir un pied-à-terre à Tripoli. Dans sa session du 26/3/1645, le Définitoire conclut à ce qui suit. "Cum plura incommoda  ex continua habitatione P.P. nostri in Monte Libano, praesertim  in hieme experiantur, et quia ob varias causas, neccessarium videtur aliquam habere domum Tripoli… et ut ne multiplicentur residentiae, ordinandum sit ut religiosi nostri… maneant Tripoli" (regesta 33 ) 

Aussi, notre demeure à Tripoli devint-elle hospice, et celle de Mar Licha une simple résidence. Faisant une même communauté, le supérieur dut se fixer à Tripoli avec l'obligation  " tempore congruo ad Libanum pro missionibus profecturi "…( idem, ibidem). Et peu-à-peu, la résidence du Mont Liban fut connue sous le vocable de " Montis Libani seu Tripolis." Les premiers carmes de la Réforme, qui abordèrent le sol libanais, logèrent chez les représentants de la Couronne de France, ou bien de la Seigneurie de Venise, quand ils avaient à passer la nuit à Tripoli ou bien à Saida. Nos missionnaires ne dérogèrent point aux coutumes. (Voir la descente de père Celestino à son arrivée d'Alep). Quand ils décidèrent de se fixer à Tripoli, ils furent hébergés par un pieux marchand vénitien qui leur céda une partie de son domicile au caravansérail des Francs à Tripoli, moyennant l'assurance d'une messe quotidienne dans sa chapelle privée. Indigence obligeante, ils y restèrent pour un bon bout de temps, environ cinq années. Ils n'y renoncèrent que presque acculés par l'annonce du marchand qu’il allait bientôt quitter la ville. En 1650, au mois de février, le père Celestino, rentrant d'une mission auprès des moniales maronites de Hrache, décida de trancher la question du logement en achetant la moitié d'une maison, propriété des pères de la Compagnie de Jésus, avec le subside apporté de Rome par des missionnaires, nouvellement, arrivés. Le marché fut conclu entre père Celestino et le supérieur des Jésuites.  

‘’ Ce fut le père Amieu supérieur des Jésuites en Syrie qui négocia avec le père Celestino la question de leur habitation dans la même maison'', écrit le père Léon de saint Joachin, puisant l'information chez le père Rabbat. (cf. Missions de Syrie p.157)   ‘’Les deux communautés, écrit le père Amieu à ses supérieurs, vivent dans une indépendance totale ‘’. Elles vécurent en paix pendant un certain temps, cinq ans environ. Un malentendu financier surgit entre les nouveaux vicaires. Porté à la connaissance de notre Définitoire, celui-ci conseilla de résoudre la question à l'amiable ". En 1652, écrit le père Rabbat, le nouveau supérieur, le père Poisseron renouvela le contrat … surtout parce que cette cohabitation facilitera le support des communes avanies de la part des musulmans " {Missions, p.158). Cependant, pour une meilleure harmonie, l'indépendance étant toujours requise, le Définitoire octroya, dans sa session du 28/4/1664, "Licentiam vendendi domum in Tripoli cum onere emendi aliam" (regesta) 

Il apparait des annotations que nous avons pu glaner dans les rapports et correspondances des missionnaires, que le père Celestino a quitté la région durant l'année 1651. Il doit avoir reçu l'ordre de rentrer à Rome, puisque le Définitoire général, dans sa session du 30/4/1654, lui confie la mission de regagner le Mont Liban. Une mission particulière ou bien une visite quelconque, son séjour n'a pas été de longue durée, puisqu'on va le retrouver conventuel à Santa Maria della Vittoria, et plus tard lecteur de langues orientales au collège de saint Pancrazio. Soit à cause du nombre des missionnaires, soit pour d'autres raisons, les religieux délaissèrent peu à peu Mar Licha et l'année 1676, le couvent fut incendié par chaikh Hassan ben Hamadé, profitant de l'absence du wali de Tripoli Hassan- Bacha (Al Aïntourini p.129) Cet abandon de Mar Licha obligea le Définitoire à intervenir, et dans sa session du 29/10/1682, il intima au vicaire de Tripoli ‘’Per se aut per alium teneatur ommino facere missionem in Monte Libano."   

Nous venons de dire, tout à l'heure, que le couvent fut incendié par le chaikh des Hamadé.  Est-ce qu'il fut, en ce temps-là, relevé de ses cendres ? L'intérieur et la toiture du bâtiment étaient en bois coupé dans la forêt avoisinante, donc proie facile au feu de l'incendie qui a dû en laisser peu de choses, en dehors des murs pantelants. Ou bien l'impact de l'incendie fut-il léger et les pères ont vite fait de réparer les dégâts, puisque on va les retrouver vivant au voisinage des moines maronites dans le même bâtiment. L'Abbé Boutros Fahed relate dans son Histoire de l'Ordre Libanais (v.1 p.58) que " ce couvent, Mar Licha était en ruines quand il fut en leur possession et ils le reconstruisirent … " ; alors que dans ses mémoires, le père Abdalla karaali affirme :"Les religieux carmes voisinaient avec les moines maronites au couvent de Mar Licha’’ (Fahed op.cit.75). Est-ce que les moines ont réparé seulement ‘’ les ruines qui se trouvaient sur l'autre flanc de l'ancienne chapelle’’ et dont il est dit ‘’ qu'ils formaient le double de ce que possédaient les carmes ‘’(cf. le texte). L'instrument de donation aux moines maronites dit expressément que ces derniers pouvaient disposer de tout" sauf de ce qui est entre les mains des Francs " ou " ce qui peut gêner les Francs" (Fahed, op.cit.p.58) 

A la demande de nos missionnaires de transférer domicile, notre vénérable Définitoire général, mal informé, peut-être, dans sa session du 17/9/1699, répond négativement, avec ordre de demeurer là où ils sont jusqu'au terme convenu. « Ordinatur ne mutent missionari nostri habitationem in Monte Libano, sed persistant in habitatione a tot annis stabilita" (Regesta, 75).  

L'année d'après, 1700, juste à la même date, dans la session tenue le 17/9/1700,  les révérends pères Définiteurs, mieux renseignés "per litteras R.P. Honorati a S. Anna, vicarii residentiarum nostrarum Tripolis et M. Libani"; entretenus oralement "necnon oretenus a … D. Elia Simonio Hesronita…" et sur demande explicite du saint patriarche d'alors, Estéphan Ad-Douaihi," et ex parte patriarchae maronitarum…" (Regesta, 76) les vénérables Définiteurs autorisèrent le transfert à Mar sarkis "sub conditione "cependant "quod hoc non sit nisi ad experimentum et integre servetur ius" de reprendre le chemin de Mar Licha. (Regesta,76) Le père Bernard mentionne dans son "Histoire de la Mission de Syrie" le droit de nos pères à avoir à leur disposition deux cellules chez les moines de Mar licha. Il paraît, d'ailleurs, que nos pères déjà établis à Mar Sarkis, n'ont pas eu l'intention d'oublier le passé de Mar Licha puisque, après trente-cinq ans révolus, le vicaire, alors en fonction, a présenté, au Définitoire général de l'Ordre, la pétition de vendre une maison en leur possession à côté de Mar Licha, dans la Vallée Sainte. Dans sa session du 20/5/1735, le Définitoire y répond affirmative.

"Licentia vendendi quandam domum in valle Montis Libani, prope conventum P.P maronitarum…" (regesta 92) 

Cela étant, revenons au texte d'origine. Les événements que nous avons rapportés sont relatés dans un manuscrit que notre confrère, le père Hayaf Fakhry, a récemment retiré des archives générales des Carmes à Rome. Il sera le point de départ de sa thèse pour le doctorat sous le titre "Histoire du Carmel au Mont Liban". 

Le manuscrit est formé de 97 pages, tracées sur papier libre de couleur brunie par le temps, de mensurations vingt-sept centimètres et demie par vingt centimètres, il se compose de cinq fascicules (A.B.C.D.E) intitulés : Narration première, seconde….Réunis en une seule composition, ils rapportent les annales historiques de l'installation du Carmel réformé à Mar Licha, vallée du Kadicha et enfin à Tripoli. La narration relatant la fondation de la maison à Tripoli est tronquée, déficiente, comme si l'auteur, perdant son fil conducteur, sautait d'un terrain à l'autre ; de Tripoli, survolant la côte libanaise, il va atterrir au Mont Carmel, en Palestine. 

Le paquet original se trouve aux archives générales de l'Ordre à Rome sous le numéro A.G, 252, il porte sur sa première feuille de couverture les annotations suivantes de haut en bas : Monte Libano - numéro 171- 252, a- A fasc A.B.C.D.E. Les marges du texte ne sont pas toutes égales. Parfois l'écriture déborde au sommet, parfois à la base. Les côtés ne sont pas remplis de la même façon. Parfois les limites sont déficientes à gauche ou bien à droites et dans les deux cas, l'auteur réfère fidèlement ses sources en face de la nouvelle, à gauche ou bien à droite. Dans la majeure partie de son récit, il copie presque textuellement la "Relatio latina" envoyée au Définitoire général par le père Celestino, sujet du récit et écrite de sa propre main. Les autres informations sont puisées dans les lettres des missionnaires ou bien dans leurs rapports envoyés à la Maison générale et dont il ne doute point, comme il dit, de leur véracité (cf. texte)  

Quant à l'auteur, on se demande qui il est ? C’est le père Blasio della Purificatione… nous connaissons peu de choses de sa biographie. Les quelques traits de son identité nous sont parvenus à travers les rares informations semées par hasard le long de ses récits. Le vénérable père ne parait pas avoir été missionnaire hors de son pays ; italien de naissance et romain de formation, il déclare avoir fait la connaissance de père Celestino alors que ce dernier expliquait son activité pastorale au service de la Réforme alors qu'il trainait les souffrances de sa jambe endolorie sur les dalles des couloirs de Notre-Dame des Victoires à Rome. Il ne parait pas avoir été missionnaire, mais profondément admirateur de leur aventure au service de la croix, il a profité de son séjour à Rome pour admirer, durant leurs allées et venues le halo de leurs héroïques vertus et fixer sur papier les multiples péripéties de l'offrande de leur vie dans la propagation de notre sainte foi. Il a écouté parfois, personnellement, leurs histoires ; il a lu leurs lettres, reflétant les échos de leurs peines, il a compulsé minutieusement, et confronté souvent leurs rapports, il a suivi autant que possible et pas à pas les étapes et les empreintes de leur vécu. Nous remarquons toutefois l'étrangeté de certains noms propres ; comme il n'a pas fréquenté les lieux il ne réussit pas à bien saisir la prononciation, ou bien à mal déchiffrer le tracé des mots. D’où la difficulté parfois de s'y retrouver. Belle écriture, de rares ratures, présentation soignée, après quatre siècles environ, on ne bute pas sur de graves difficultés pour lire le texte précieux de notre vénérable confrère. Entamons sa lecture…  


Photo: Portail de l'Eglise Mar Licha, Qannoubine

 

Première narration  

Suivant la méthode que j’ai observée dans les récits concernant les maisons[1] fondées par nos missionnaires, avant d’aborder celui de la présente, je dois, d’abord, passer deux informations : la première concerne le lieu où elle fut fondée et qui est le Mont Liban. La deuxième est relative aux chrétiens dont il est peuplé et qui sont les maronites. 

Cette Montagne, tellement célèbre dans l’Ecriture Divine, s’élève dans la Phénicie, l’une des cinq vastes provinces qui subdivisent la Syrie ; et son site immédiat se trouve aux confins de la Terre Promise, la mer à son côté nord. L’étymologie de son nom est blanc et cela provient, à ce que vante notre père Philippe de la Sainte-Trinité[2],  de ce qu’il est presque toujours recouvert de neige, au moins sur sa partie septentrionale. Notre même père missionnaire témoigne l’avoir vue au mois d’octobre, ce qui démontre que ses rigueurs avaient surpassé les rayons torrides du soleil des mois précédents. Parfois, sur celle–ci, vient  se superposer celle qui commence à tomber, annuellement, au mois de novembre, et elle est tellement abondante que pendant quelques mois, la même partie de la Montagne devient totalement impraticable aux voyageurs. On attribue, de même, à son nom, le sens d’encens. Et cela parce que les fruits de ses cèdres, il en sera question plus tard, sont pleins d’une certaine gomme très limpide et suave, qui, une fois séchée, exhale un encens parfait, et, étant liquide, elle sert, en tant que baume, à la guérison des blessures. Le môle de la Montagne, aux dires de notre père Vincenzo Maria[3], missionnaire, est très vaste, s’étendant de Tripoli jusqu'à Damas, avec un tour de plus de trois cents milles, embrassant beaucoup de forêts, champs et vignobles, dans lesquels le charme délicieux rivalise avec la fertilité du terrain.  Tous s’accordent pour la considérer très élevée et pourtant, on y accède par un mille de montée, et celle-ci est très difficile, étant obligé de traverser des sentiers étroits formés par la nature, avec des abris en silex acéré. Aussi, comme une forteresse inattaquable, elle  la remporte sur toutes celles fabriquées par les plus excellents architectes. A cette notice universelle du Liban, devrait suivre la plus étendue de ses parties ; mais il  sera plus convenable d’en parler,  quand j’aurai fait précéder celle concernant ses habitants. Ceux-ci sont les maronites. Guillaume de Tyr[4], dans son « Histoire de la Guerre Sainte », affirme qu’ils sont ainsi appelés d’un certain Maron, monothélite hérétique, qui a admis en Jésus-Christ une seule volonté, erreur condamnée par le concile de Chalcédoine[5], sous Léon 1er et qu’ils ont suivie pendant environ cinq cents ans. Ils ont été  ramenés à la vérité enseignée par l’Eglise Catholique, sur intervention d’Aymeric III, patriarche d’Antioche. Ce récit, pourtant,  a été, constamment, rejeté comme faux, par les maronites qui affirment avoir reçu ce nom d’un certain pays de la Syrie, appelé Maronia[6], ou bien de saint Maron, abbé qui vécut avant l’hérésie du dit Maron monothélite. Ils retiennent, pourtant, sans en rougir, aucunement, le nom de maronites, ayant détesté l’erreur en question. Moi, cependant, je n’ai pas trouvé dans le Martyrologe Romain  le nom de ce saint abbé, mais, seulement, celui d’un autre saint Maro ou Maron, martyr durant la persécution de Trajan ; toutefois, il peut y avoir été car il n’est pas sûr que  tous les saints sont énumérés et inclus dans le Martyrologe  Romain, comme il apparaît des paroles  qui terminent sa lecture. Quoiqu’il en soit, le cardinal Cesare Baronio[7] affirme que le patriarche de cette nation, fut présent au 1V concile du Latran,[8] célébré sous le pontificat d’Innocent III en l’an 1215. Dans celui-ci, il fut, tout à fait, instruit de la religion catholique et de ses rites sacrés. D’où, à son retour chez ses concitoyens et sujets, il ordonna de suivre les enseignements de l’Église Romaine dont, par ignorance et non par mauvaise foi, ils se sont fourvoyés quelque peu ; comme ils ont contracté quelque infection des anciens Arméniens,[9] en mélangeant, spécialement, dans le Chrême, quelques arômes, comme on en parlera. Avisé, à ce propos, Léon X envoya, en 1514, quelques religieux franciscains,[10] au Mont Liban, chargés d’une lettre au patriarche. Dans celle-ci, il l’interrogeait sur la façon d’élire le patriarche, quel était le rite et la forme, c’est-à-dire, les paroles utilisées dans l’accomplissement et l’application des sacrements, de manière que, reçues ces nouvelles, il pût les instruire sur la pureté de la foi catholique. 

Le patriarche, appelé Furache fils de Marabet[11], accueillit ces religieux avec des expressions de haute vénération ; et de même, avec une non moindre jubilation, il reçut la lettre du Pape, en la mettant sur la tête, conformément à l’usage des Orientaux ; et pour satisfaire aux interrogations du Pape, il lui écrivit une très longue lettre. Ici j’en transcris, seulement, le titre, et il est comme suit. ‘’Au Pape romain Léon, et à Dieu, les grâces éternelles. Cette divine salutation, je la souhaite à Léon, Pape des chrétiens, bien-aimé de Dieu, catholique éminent, pieux, plein de miséricorde, Vicaire de Dieu et Roi des Rois….’’ Il continue, ensuite, à exposer quelle foi il professe avec ses concitoyens et, ayant énuméré, sans aucune erreur, tous les principaux mystères, il arrive à la confection du Chrême dans lequel ils mélangeaient avec l’huile, non seulement plusieurs drogues, mais aussi le musc, l’ambre, et le baume. De ceci il est mémorable, ce  qui est raconté par ces mots : «  Nous y mettons le baume de la grande et célèbre ville appelée Le Caire, lequel, mis sur la paume de la main, pénètre jusqu’à l’autre partie ; et, mis dans l’eau, il descend  jusqu’au fond. Celui-ci est distillé des arbres qui poussent dans ce lieu où furent déjà lavés les vêtements de l’Enfant Jésus-Christ. Quant à la suavité, il supère tout autre baume. Sans doute, ceci se  rapporte au temps où l’Enfant Jésus s’évada avec sa très Sainte Mère et son Père adoptif en Egypte, Le Caire étant mentionné comme l’une de ses villes. On continue, ensuite, à rapporter la manière, en usage chez eux, lors de l’élection et de la prise en charge du patriarche.[12] Et, puisque nous sommes en train de parler de cette nation, il n’est pas hors de propos d’en raconter quelques nouvelles.  

Une fois le siège patriarcal vacant, on choisit douze prêtres catholiques de bonnes mœurs, ornés de continence insigne et reconnus aptes à l’exercice d’une fonction tellement sainte. Ils sont enfermés dans un monastère réservé à cette procédure et qui a titre de Sainte Marie[13] ; là- bas, on assigne à chacun sa cellule rigoureusement  gardée de manière à ce que personne ne puisse voir l’autre, ni lui parler. Chacun de ceux-ci prend douze bulletins de carte et écrivant dessus le nom de celui qu’il élit pour chaque jour, il le dépose dans l’urne. Et s’étant tous convenus sur un, ils se réunissent avec le clergé et les laïcs et ils l’installent sur le siège patriarcal en applaudissant son élection. Pour le sacre, ils attendent la première Pâques durant laquelle, après avoir célébré trois messes, tout le clergé et le peuple conduisent l’élu et le font asseoir devant l’autel. Ils le dépouillent de ses anciens vêtements et le revêtent de ceux de sa dignité. Ils font ensuite quelques rites propres à eux et que, pour être bref, j’omets ; et alors, le maître du chœur, à haute voix, et répétées trois fois, dit les paroles suivantes : « L’Esprit Saint, vous a voulu comme patriarche et père sur tous les pères pour la dignité du siège des prophètes bénis, et puisque vous avez pris la place du Christ et de saint Pierre, son vicaire, vous serez, par conséquent, notre père à tous ». Alors le patriarche, prostré devant l’autel, dit à trois reprises, et à haute voix : « Je suis l’humble et l’obéissant aux préceptes de Dieu Très-Haut et des saints Prophètes, et si à l’avenir, l’Esprit-Saint me commande autre chose, je l’accomplirai, immédiatement, avec justice et selon les normes de Jésus-Christ ». Ceci fait, les diacres le relèvent du sol et le conduisent dans un lieu, à l’écart, où il assiste à la messe solennelle de l’un de ses évêques ; ou bien, il la célèbre lui-même. La messe terminée, tous les prélats et les autres posent les mains sur la tête de l’élu en disant : « Soit loué le Dieu sublime pour la grâce qu’il nous a accordée ». Ensuite, ils lui consignent le pastoral, de telle manière qu’inférieur des prélats le tient par le bout le plus bas, et les supérieurs par le plus haut et, sur toutes les mains, celles de l’élu ; et de cette façon, il est consacré patriarche. A tout ceci, suit une exhortation prononcée par le maître du chœur. Cela étant, le patriarche continue à dénombrer les vêtements sacrés dont on se servait et leurs significations mystiques, et supplie le Pape de l’en pourvoir, alléguant sa pauvreté et l’exemple des autres Pontifes. Il demande sa confirmation au patriarcat et sa médiation afin que l’évêque de Chypre[14] lui restitue ce qu’il possédait dans ce royaume, et il exprime certaines doléances causées par l’oppression turque dont lui et sa nation souffraient, et il finit par le prier d’octroyer certaines indulgences. 

Informé par une autre voie, de certaines erreurs qui infectaient, par haLe Dans une autre lettre, Léon X l’instruisit de mettre dans le Chrême, seulement, huile et baume ; de délaisser leur coutume de baptiser les enfants au quarantième jour après leur naissance, résultant de ce retard, que quelques-uns seraient morts sans ce sacrement indispensable. Il leur prescrivit les paroles à prononcer durant la consécration de l’Eucharistie, et les rites à observer durant l’ordination des Clercs. Il lui explique quelques dogmes se rapportant aux sacrements du mariage, à la confession, au paradis, au purgatoire, à la procession de l’Esprit- Saint du Père et du Fils, constituant un seul ‘’spiratore’’,  à la réception de l’Eucharistie à Pâques et au primat de l’Eglise Romaine. Il ne lui écrivit pas, cependant, parce  qu’ils erraient dans tous ces enseignements susnommés de l’Eglise Romaine, mais en vue de les prémunir contre l’infection, étant exposés, soit par la grande distance de Rome, soit par leur voisinage avec les Grecs et autres sectaires, soit à cause de l’ignorance, ne pouvant se consacrer aux études, forcés qu’ils étaient par les extorsions ottomanes aux travaux manuels, comme on le dira ; et non moins parce que leurs prêtres sont mariés, selon l’autorisation faite à l’église orientale, dans laquelle, cependant, il n’est pas permis aux évêques et au patriarche d’en profiter ; ce qui fait que ces derniers sont toujours pris dans l’ordre monacal. A ladite lettre, Léon X ajouta l’envoi de deux autres religieux franciscains, les pères Giovanni Francesco da Potenza et Francesco da Rieti qui, expert en leur langue, servait d’interprète.

Le patriarche fut pleinement instruit, et de vive voix, par ces deux, et avec un tel profit, qu’en 1616, il envoya les moines, Acuri Joseph et Elia, comme ses représentants au concile du Latran[15] célébré par le même pontife. Ceux-ci portèrent le mandat de procuration qui contenait la profession de la vraie foi catholique et, l’ayant présenté au concile, et prêté obéissance au Pape, ils y furent admis, s’asseyant, étant moines, derrière tous les évêques.   

Ils ont toujours tenu le même attachement à la religion catholique, singulièrement après l’érection du Collège Maronite[16] dans lequel les jeunes de cette nation sont éduqués par des pères de la Compagnie de Jésus, dans les mœurs vertueuses et dans la pureté de la foi romaine ; à celle- ci ne s’oppose pas le fait de retenir, par les maronites, leurs anciens rites, dans les offices divins, les jeûnes et abstinences propres des Orientaux et le mariage des simples prêtres comme nous venons de le dire. 

 Après cette introduction générale sur la religion professée par les maronites, habitants du Liban, nous allons donner une notice particulière sur cette Montagne et, au cours de notre récit, nous aurons l’occasion de rapporter certains détails relatifs à leur piété chrétienne et à l’observance religieuse des moines. J’ai puisé ce que je raconte dans ce qu’a écrit notre père Celestino di santa Ludvina, religieux d’éminente vertu, missionnaire au nom bien célèbre et fondateur de cette maison du Mont Liban. Il la visita, lui, avec quelques marchands français, d’où la certitude que son témoignage ne laisse aucune place au doute.                                            

Dès le début de la première élévation de la Montagne, se déploie, sur une distance d’environ six milles, une vaste plaine[17] où poussent, en grand nombre, des oliviers et des mûriers pour la nourriture des vers à soie ; et l’ayant dépassée, ils commencèrent à escalader la Montagne. Le long de cette montée, d’environ douze milles, ils rencontrèrent diverses brousses et forêts ; et en marchant parfois, mais assez rarement, dans quelques pistes plates et quelques prés, ils arrivèrent au territoire d’Eden, la ville la plus grande et la plus peuplée de ce qu’il y a, actuellement, au Liban.            

Dans les siècles plus lointains, portant le nom d’Anchera, elle comptait parmi les cités. Son territoire répond, par sa fertilité, au travail de ses habitants ; et il est agrémenté par les légumes des jardins, des vignobles, d’arbres fruitiers et un grand nombre de mûriers ; et d’un très agréable panorama de non moindre utilité. Un certain ermite vertueux, de nationalité française, y demeurait ; nous en parlerons, longuement, ailleurs. Les susdits marchands, natifs du même royaume, en ayant eu quelque nouvelle, désirèrent le visiter ; et le nommé père Celestino, qui l’avait connu, trois ans auparavant[18], alla lui demander son avis au monastère de saint-Serge,[19] distant d’environ la moitié d’un mille de cette terre. Vu qu’il désirait vivre totalement mort au monde, le bienheureux ermite se plia, ά contrecœur, à recevoir la visite, surtout à savoir qu’ils étaient des marchands français. Toutefois, pour faire plaisir au père Celestino, il les admit, mais il les renvoya après quelques brèves paroles, absorbé uniquement par sa solitude bien-aimée et la contemplation des choses célestes ; ce qui fait que, admirant son humble modestie, les marchands en restèrent édifiés. 

Le lendemain,  reprenant le voyage, ils s’acheminèrent vers le lieu où sont plantés ces cèdres tellement célébrés dans les Ecritures Divines, éloigné de la susnommée terre d’environ six milles. Le chemin, qui y conduit par les collines variées qui se rehaussent, est peu difficile. Mais à décrire ces plantes, tout le monde est d’accord qu’il y en a certaines de grosseur immodérée, et pour les embrasser, il faut bien trois ou quatre hommes ; son bois est exempt de corruption, et non peu semblable à nos pins. Les rameaux qui s’étendent dans leur sommet, vu leur large envergure, semblent avoir des frondes fines mais plus petites comme celles de nos romarins ; ils sont pliés en forme d’arc mais avec les pointes toujours orientées vers le ciel ; et ces frondes, en se développant à grand éventail, paraissent former une verte chevelure rose. Ils ne produisent pas de fruits combustibles mais, sur les cimes des branches,  des cônes composés de cercles parfaitement unis durant la maturation, ce qui fait qu’ils paraissent être du bois compact, et lors du dessèchement, ils se détachent l’un de l’autre ; ce sont des fruits semblables à nos pins, seulement quant à la grosseur, et dissemblables quant à l’égalité de l’écorce et de la silhouette ; cependant, aux deux extrémités, ils sont de moindre grosseur ; toutefois, ils ne s’effilent pas de manière à former des pointes. 

On remarque qu’ils  sont appelés cèdres pour avoir une certaine ressemblance avec les fruits de ces arbres, et comme ceux-ci, ils exhalent une odeur agréable, de même, ceux-là produisent une gomme très claire laquelle, une fois séchée, est un encens parfait. Notre père Philippe de la très Sainte-Trinité, visitant le lieu où ils poussent, affirme qu’ils sont quasi au sommet de la montagne et dans une très vaste plaine ; cependant, du côté septentrional, le Liban s’élève, et sa suprême altitude les protège ; mais sur l’autre côté, l’air est tout à fait ouvert. Un peu avant son arrivée, il en vit tombé, et à moitié brûlé ; et bien que les jeunes sont en grand nombre, les plus anciens ne dépassent pas les vingt-et-un[20]. De ceci, il apparaît que le cours des années en a consumé beaucoup, étant donné qu’au temps de Salomon il y en avait des forêts entières. Il en a fait couper un grand nombre, par les Sidoniens, pour s’en servir dans la construction du Temple dont il est question au troisième Livre des Rois. 

La simplicité, pour ne pas dire la naïveté, des habitants du Liban, les a persuadés que sa Divine Majesté, par une particulière providence, en a conservé les plus anciens jusqu’au temps présent, et qu’ils sont  les mêmes que ceux du début du monde. Il les a fait pousser du sol par un commandement efficace, d’où ils leur appliquent ces paroles du psalmiste : « Les cèdres du Liban que lui-même a plantés » ; et ailleurs, ils sont appelés Cèdres de Dieu. Ils n’ont pas pensé  qu’ils aient pu être déracinés au moins par les inondations du Déluge, ni logiquement douté, que beaucoup des plus anciens furent taillés au temps de Salomon ; leur  nombre était si grand qu’ils s’y firent la main ; en plus de la nourriture assignée par ce roi aux ouvriers du roi de Tyr, Hiram, en récompense, il lui fit don de vingt pièces de terrain. Déclinant cette naïveté, je relève, avec le père Celestino, la vénération portée par les pèlerins, et plus encore, par les habitants du Liban, à ce même site. Les uns, avec une affection dévote, escaladent la pente, à pieds nus, l’espace de trois ou quatre milles, bien que le chemin, comme nous venons de le dire, fût très dur ; et, par suite de cette pieuse dévotion, plusieurs affirment y avoir vu des lumières et des flammes prodigieuses lesquelles, durant la nuit, y brillent comme des lampes. Si cela est vrai, il pourrait se rattacher à la sainteté  de ce site, en rapport avec ce que nous venons de relater.  Au six août, on y célèbre la fête de la Transfiguration du Seigneur, instituée quant au seul office par Calixte III,[21] pour une insigne victoire remportée sur les Turcs, mais fêtée le même jour, bien longtemps auparavant, par les Latins el les Grecs ; non seulement les habitants du Liban y participent, mais d’autres cités et contrées de la Syrie. Ils y solennisent ladite fête par la célébration d’un grand nombre de messes récitées sur les nombreux autels de pierre érigés sous les plus vastes et anciens arbres de cèdres. Ceci provient de ce qu’ils estiment que notre Seigneur s’est transfiguré au Mont Liban, alors que la tradition reçue de l’Eglise ainsi que le martyrologe romain disent que ce prodige est arrivé au Mont Tabor, fort éloigné de cette Montagne. Peut- être, ils le font pour célébrer sur une montagne un prodige qui fut opéré sur une autre[22]. 

Pour confirmer cette conjecture, il est bon de savoir qu’au jour de l’Ascension, prêtres et laïcs s’y acheminent en une procession dévote. Ils n’agissent pas ainsi, parce qu’ils estiment que le Christ est monté au ciel à partir de cette montagne ; car il est très sûr, au témoignage de saint- Luc, dans ses Actes Apostoliques, que c’est le Mont des Oliviers qui a joui de ce bonheur. Ils s’y dirigent, en cette même procession, non seulement en ce jour, mais dans d’autres de l’année,  parfois par habitude, et d’autres fois, pour satisfaire à des vœux. Une fois arrivés, ils y restent à prier, et à y célébrer la messe ; et ils affirment avoir obtenu, par de tels moyens, de nombreuses faveurs du Seigneur, et délivrance de maladies et de dangers imminents. Le père Celestino et les marchands qui étaient avec lui, voulurent suivre cette pieuse coutume ; aussi,  y chantèrent-ils les litanies de la Sainte Vierge, et  récitèrent d’autres prières. Ils emportèrent, en s’en allant, quelques branches de cèdres et des fruits, puisque on en trouve en toute saison de l’année.          

Personne ne qualifie, de culte superstitieux, la vénération adressée à ce lieu particulier ; mais qu’on lise le second Livre des Macchabées où il est dit que Dieu choisit les lieux pour les gens et non pas les gens pour les lieux ; et on y continue à en donner les raisons, disant que le lieu participe de la sainteté des bons qui y habitent, comme de la méchanceté de leurs mauvaises habitudes. Le fait de faire tant de prières, et de célébrer tant de messes, dans cette partie du Liban, ne devrait pas nous étonner qu’elle soit sanctifiée, et que les fidèles y demandent des grâces particulières au Seigneur. Ayant satisfait leur pieuse curiosité par la visite de cette partie du Liban, ils descendirent dans une région peu éloignée appelée Besciarrai. L’abondance des eaux, coordonnée au travail des habitants, concourt à rendre la campagne adjacente agréable et fertile. Les eaux jaillissent de diverses  sources, et se répandent en petits rivières et ruisseaux, naturellement divisés, ou bien orientés et entortillés par la main de l’homme pour l’arrosage des jardins et d’autres terrains fruitiers. Beaucoup de vignobles et de champs y sont cultivés, et le terrain se montre, éminemment, reconnaissant de la fatigue des ouvriers. Le Prince du Mont Liban, appelé aussi Préfet, avait sa résidence sur cette terre. Ceci, pour avoir été, dans les temps lointains, la métropole de tout le pays habité par les maronites ; c’est pourquoi, encore aujourd’hui, pour mettre en relief sa prépondérance, on l’appelle Um-el-Balad, c'est-à-dire, mère du pays. Par contre, tout ceci s’appelle Terre de Besciarrai, empruntant à cette terre comme à son lieu d’origine, la dénomination susdite.   

Pareillement, celui qui, sous le titre de prince ou préfet, dominait tout le Liban, s’appelait Prince ou Duc de Besciarrai[23], incluant le tout, sous le titre expressif de la seigneurie du chef et tout ce qui lui est sujet. Il détenait, de même, de nombreux privilèges dont l’avait orné l’ancien roi Bahete,[24] en récompense de ce qu’il lui avait récupéré la ville de Tripoli, actuellement, sous domination ottomane. Parmi lesdits privilèges, la préfecture ou le Ducat du Liban, se comptait héréditaire dans sa maison. 

 Les nombreuses églises qui, encore aujourd’hui, se conservent en parfait état, bien qu’elles soient anciennes, concourent à rendre vénérable cette terre principale. On voit, encore, dans ses environs, un grand nombre de monastères et d’ermitages qui se servent des grottes de la montagne. On y comptait plus de trois cent soixante autels de pierre. Plus sainte est celle qui, au temporel, est sujette au prince susnommé, et sur laquelle sont situés le couvent et l’église dédiés à notre père saint Elisée, distante d’environ trois milles de ladite terre. Mais, puisque ce couvent fut cédé à nos missionnaires, je remets sa description jusqu'au temps où ils entreront en sa possession, et je m’arrête pour donner une notice du couvent patriarcal situé dans cette même vallée, et distant vers l’ouest, d’environ quatre milles du dit Saint Elisée. Son nom est Canabin, qui répond à la diction latine canobion, c’est-à-dire couvent, et il est dit patriarcal à cause de la résidence  du patriarche de cette nation. Le père Celestino et les marchands, se dirigèrent vers celui-ci, délaissant la visite de ladite vallée et de notre couvent à cause de la grande difficulté des routes. Partant de Besciarrai, ils s’y dirigèrent deux heures avant le coucher du soleil. Le chemin[25] qui y conduit n’est pas seulement plat, mais il est agréable, jusqu'à ce qu’on parvienne à la distance d’un bon quart d’heure de voyage du couvent. Là-bas, il fait bon de descendre des chevaux, rencontrant quelque brousse, et obligés de descendre par des rudes sentiers, au bas de la vallée où est situé le couvent. Etant parvenus, ils y furent accueillis avec une grande bienveillance par le patriarche et ses moines ; et alors qu’on leur préparait le dîner, ils visitèrent les lieux de majeure dévotion, pénétrant dans l’église patriarcale à laquelle sert la très vaste ouverture d’un rocher, aménagée par les ciseaux, en forme de temple spacieux, avec voûtes et arcs et d’une facture très ingénieuse. Sortis de là, ils allèrent visiter la grotte de sainte Marina,[26] distante d’environ cinquante pas de la même église. A propos de cette sainte, notre père Celestino dit être de tradition, parmi les maronites que, sous un nom et apparence d’homme elle a vécu comme moine dans le dit monastère ; mais accusée, faussement, d’adultère, en pénitence de son forfait, elle fut enfermée dans ladite caverne et y persévéra jusqu'à sa mort. Quant au récit de cette renommée, il résulte qu’on parle de cette sainte Marina dont la vie est écrite dans le volume corrigé de la vie des saints pères à la page trois cent quatre-vingt-treize ; et moi j’y fais seulement allusion. Un certain citoyen d’Alex- andria avait une fille  d’un précédent mariage ; étant petite, il la laissa ά la garde de quelques-uns de ses parents  et se fit moine. Quelque temps après, avec la permission de son abbé, il alla l’amener avec lui au monastère, disant qu’il était un garçon et qu’il s’appelait Marino ; avec cette simulation, il l’introduisit au monastère, et travailla  à ce qu’il soit revêtu de l’habit religieux. Le père  forma saintement sa fille, conservant le nom et l’apparence de Marino. Après la mort de son père, Marino, allait en ville avec les autres moines pour les affaires du couvent ; quand ils ne pouvaient pas rentrer à temps, ils dormaient à l’auberge publique. Il arriva que la demoiselle, fille de l’aubergiste, tombe enceinte ; quand elle fut contrainte à révéler l’auteur du viol, elle en accusa le moine Marino. Les parents de la calomniatrice allèrent se plaindre auprès de l’abbé, et Marino appelé en justice, avec une humilité admirable et non point imitable, sous une impulsion particulière de l’Esprit-Saint fut permis d’être reconnu coupable. Pour cela, l’abbé, l’ayant frappé et maltraité, le renvoya hors du monastère. L’innocent Marino s’assit au seuil du couvent, et là-bas, il se nourrissait avec les restes de pain que les moines lui donnaient en aumône. Après le temps habituel, la fille de l’aubergiste, donna naissance à un enfant. Une fois sevré, elle le conduisit à Marino et le lui laissa ; d’où avec ladite aumône il se nourrissait lui et l’enfant. Passés cinq ans, l’abbé, à la supplication des moines admirant sa pénitence, l’admit à nouveau au monastère et lui imposa une nouvelle pénitence. Mais peu de jours après, étant mort, quand ils voulurent prendre soin de son cadavre,  ils se rendirent compte qu’elle était femme et reconnurent la calomnie. Le même jour, la calomniatrice fut envahie par le démon et obligée d’aller au monastère où elle confessa avoir diffamé le saint, et révéla le véritable auteur du forfait. Cependant, par l’intercession de la glorieuse vierge sainte, le septième jour après sa mort, elle fut délivrée des vexations du démon. Le martyrologe romain fait  mention de cette sainte Marina au vingt-huit juin. On lui donne le titre de martyre ; cela est contraire à des manuscrits plus anciens ; mais, le cardinal Baronio, dans ses annotations au martyrologe, affirme que cette dernière est celle dont il est question dans la vie des pères. Le même, dans ses annotations sur le volume susnommé, ainsi que Heriberto Raymidi, de la compagnie de Jésus, affirme que le titre de martyre peut lui convenir pour les multiples souffrances subies à cause de ladite calomnie.  Pour le confirmer il apporte l’exemple de sainte Balisa, dont il est  mention au neuf janvier avec le titre de martyre, bien qu’il ne lui convienne sinon ά raison de graves souffrances. D’après ce qui est rapporté jusqu’ici, je déduis que la caverne, mentionnée par notre père Celestino, fut celle o  la sainte se réfugia durant les cinq années de son expulsion. C’est, dans ce sens, qu’il faut entendre ce qu’on dit y être enfermée et y demeurer jusqu'à la mort ; car, à nouveau réadmise au couvent, elle y survécut quelques jours, comme on l’a dit.  Ayant vénéré cette grotte, atelier où l’innocence pénitente avait honoré la calomnie par des diplômes de gloire méritée, et le soleil étant au couchant, ils allèrent là où le dîner avait été préparé. Selon la coutume orientale, le pavé servait de table, et il était recouvert de nattes auxquelles, en signe d’honneur  majeur, on avait ajouté des tapis ou des étoffes de prix. Cependant, elle n’avait pas été préparée ave somptuosité, la pauvreté du patriarche étant égale à celle des gens les plus pauvres, comme on le dira ; et cela, parce que les ministres de l’Ottoman lui enlevaient non seulement ce qui était dû, mais  aussi ce qu’ils pouvaient par la violence. Néanmoins, les hôtes suppléèrent à la frugalité du repas par leur hilarité et la joie de l’esprit. Enfin, ne pouvant plus se retenir, ils commencèrent à chanter quelques hymnes sacrées en action de grâces. Il est d’autant plus vrai ce que dit l’Esprit Saint, qu’un repas charitable d’herbes est plus délicieux que celui de viandes délicieuses, absorbées avec une abominable gloutonnerie. Le patriarche et ses moines furent bien édifiés de cette sainte joie, s’étant assurés que les hôtes avaient apprécié, dans la pauvreté du repas, la richesse de leur affection. Le jour suivant, jour de dimanche, les marchands assistèrent à la messe célébrée par le père Celestino ; et, ayant beaucoup remercié le patriarche par l’intermédiaire du père Celestino, en démonstration de leur gratitude pour son hospitalité affectueuse, ils lui laissèrent une bonne aumône, et lui firent cadeau d’une caisse pleine de confiture et de fruits assaisonnés de sucre, apportée d’Alep à cette intention. Ils lui demandèrent sa bénédiction, au moment de partir pour Tripoli. Le patriarche la leur donna avec des accents de profonde affection qui leur gonfla le cœur. Le père Celestino, cependant, resta toute la journée, et obtint l’autorisation de couper quelques arbres pour en faire des poutres nécessaires à la restauration de notre résidence. Pour une notice plus complète,  à propos du pays  et de ses habitants, il convient de savoir que, sur son étendue, à ce qu’affirme notre père Vincenzo Maria, sont répandus environ trois cents villages et cités ; ces dernières sont tellement petites que le seul  fait d’avoir un évêque ou un archevêque les rend dignes de valeur. Dans l’administrions spirituelle, ils sont sujets au patriarche antiochien de rite syriaque et à leurs propres évêques ou archevêques ; quant au temporel, à leur propre  prince, appelé  dans leur langage, Abu Nafel[27]. Bien qu’ils soient tributaires du Grand Seigneur, néanmoins, confédérés aux druses,[28] descendants, comme il est dit ailleurs, de ces Normands qui furent une fois seigneurs de la Terre Sainte, nation de valeur féroce et belliqueuse, ils se sont toujours préservés des Turcs qui n’ont jamais pu gravir la montagne pour y habiter et vivre mélangés à eux ; aussi gardent-ils authentique, la religion catholique. Ils ont fondé diverses colonies dans les villes environnantes et lointaines de Tripoli : Damasco, Aleppo, Jérusalem, Baruto ou Berito, et ils s’y occupent au trafic des marchandises. Nous avons déjà dit qu’il est  permis à leurs sous-diacres et prêtres de se marier, ce qui ne l’est pas aux évêques, archevêques et patriarches et qui, pour cette raison sont toujours pris de l’ordre monacal. L’habit de ces religieux est de la même couleur que le nôtre ;[29] ils cultivent la barbe et suivent la règle de saint Antoine, père d’innombrables moines. Ils professent une abstinence perpétuelle des viandes comme ils pratiquent des jeûnes rigoureux. Ils sont bien dédiés à la psalmodie ; et le susnommé père Vincenzo Maria affirme que dans la susdite Berrito, il les a vus, à plusieurs reprises, réunis dans une pauvre chapelle, appuyés seulement sur des béquilles, sans jamais s’asseoir, investir dans un pieux chant et d’autres prières, trois ou quatre heures et même plus, dans la matinée ; au chœur, ils n’observent pas une différence de place, cependant, les prêtres seuls s’approchent le plus de l’autel. Suite aux continuelles extorsions de la tyrannie ottomane, la pauvreté des maronites est très grande, bien que le terrain de la campagne, jardins et vignes, soit fertile et riche de pâturages pour la nourriture du bétail. Il arrive donc que les rentes du clergé soient bien minces ; d’où, pour subvenir à leurs besoins, ils ne sont pas exempts de la culture de leurs propres propriétés. Notre père Philippe de la très Sainte-Trinite en fut témoin oculaire, à l’heure où il alla visiter l’archevêque d’Eden. Celui-ci était un religieux assez pauvre qui habitait une petite maison ; il possédait une vigne de faibles fruits qu’il cultivait de ses propres mains et dont  il rentrait, le soir, chargé d’une botte de bois. Il avait, également, un troupeau de brebis peu nombreuses, enfermées au premier étage de sa maison et qui, chaque jour, étaient conduites à paître par son neveu. A tout cela correspondaient ses pauvres ustensiles ; et  le même archevêque, tout en souriant, indiqua son lit à notre père et lui dit que l’archevêque d’Eden n’en avait pas de meilleur. Ce lit était tellement pauvre, qu’au jugement du même missionnaire, il n’y a pas de paysan en Europe qui n’en a pas de meilleur. Enfin,  il s’avère littéralement vrai du Liban ce qui est affirmé au quatrième Livre des Cantiques sacrés, que les eaux vives en jaillissent impétueusement, et particulièrement en hiver ; puisque, outre les nombreux torrents  et rivières qui  en coulent dans les plaines de Tripoli,  Farfar et Albana prennent origine de son côté oriental, ceux du Santo, d’Adon et de l’Eleuthère du côté occidental, l’Oronte au nord, et au sud le Jourdain. Elle est célèbre la question de l’origine des fleuves, et bien qu’on ne puisse douter reconnaître la mer comme première source, les montagnes paraissent en être l’immédiate ; d’où il n’est pas à s’étonner qu’il en jaillisse de si nombreux et considérables du vaste Liban, s’ajoutant à tout cela, ses abondantes neiges. Le plus remarquable, dans cette Montagne, se trouve à son pied, comme s’il voulait le piétiner. Il s’y ouvre une caverne, utilisée par les Macomettani comme lieu de leurs exécrables dévotions ; il y a, aussi, un sarcophage taillé dans une seule masse de pierre, de vingt-sept pieds de longueur, et où, selon la tradition, fut enseveli le cadavre de Josué[30]. 

Ayant présenté, à travers les notices exposées, ce qu’est le Mont Liban, j’entreprends de relater les raisons qui poussèrent nos supérieurs à y vouloir une maison comme résidence. L’idée vint, en particulier, à l’esprit de notre père, Paul-Simon de Jésus-Marie, ayant été l’un des trois premiers missionnaires envoyés par Clément VIII et son successeur immédiat Paul V en Perse ; il nourrissait un esprit tout incliné à favoriser et promouvoir les missions. Dans ses objectifs, il pensait établir une maison en Orient où préparer les candidats au ministère apostolique. Il se rendit compte que pour cela, il est requis un lieu de solitude et de calme où la contemplation des mystères de notre foi habiliterait à les faire prêcher avec plus de ferveur, étant sûr que les auditeurs n’en seraient pas illuminés et enflammés si l’orateur auparavant n’était pas rempli de lumière et d’ardeur.  

Il pensait également, comme il est clair, qu’il est, indispensablement, nécessaire de posséder les langues que parlent les gens des pays où va être prêchée la religion chrétienne. C’est pourquoi, quand le Seigneur envoya les Apôtres  annoncer l’Evangile, l’Esprit Saint les enrichit du don de parler en diverses langues.  Il conclut de ces réflexions que le Mont Liban était le plus indiqué pour ce  projet, vu que les missionnaires auraient pu s’adonner, dans sa solitude, à l’étude de l’oraison et des langues, en l’absence des distractions que présentent les villes surpeuplées ; loin des fâcheuses vexations des Turcs, surtout que tous les habitants du Liban professent la religion catholique. A ces derniers, ils peuvent, d’ailleurs, être de profit par le ministère des sacrements, de l’enseignement  de la piété chrétienne et des vertueux exercices de la vie spirituelle ; les moines maronites n’étaient pas en nombre suffisant pour satisfaire à une aussi grande foule d’âmes, d’autant plus qu’ils étaient obligés par la tyrannie des ministres ottomans à travailler leurs propres terrains, travail dont même les archevêques n’étaient pas exempts . Les prêtres, pour la plus part mariés, aidaient peu ; occupés aux soins domestiques indispensables au gouvernement de la famille, ils étaient oppressés par la pauvreté. On considérait, en outre, que les nouveaux ouvriers de l’Evangile, par ce facile exercice de la charité, se rendraient plus disponibles à celui plus ardu de la conversion des infidèles. Pour mieux l’ancrer dans ses considérations,  la nouvelle apportée par le père Celestino, nouvelle qui lui faisait connaitre la possibilité d’établir une résidence, lui fit grand plaisir. D’autre part, il est bon de savoir que le susnommé père celestino, missionnaire à Alep pendant 10 ans, à son retour d’une visite au Mont Carmel, en 1639, passa par le Mont  Liban. Durant ce voyage, il vit un très ancien couvent, situé dans une certaine vallée que nous décrirons plus tard, dédié à notre père saint Elisée.  Ne se trouvant personne pour l’habiter, il lui parut être bien à propos d’en faire une résidence pour nos missionnaires et il s‘engagea dans son dessein, d’autant plus que le couvent venait de lui être offert, spontanément, par les habitants de ces parages, espérant en rapporter un grand profit spirituel. Alléché par une offre inattendue, il prit courage pour l’insinuer à Georgio Ameira, patriarche d’Antioche et de toute la nation  maronite. Celui-ci, y donna son consentement, avec un grand plaisir ; il ajouta être grandement reconnaissant que le couvent soit habité par les carmes déchaux successeurs de ce saint prophète en l’honneur duquel l’église était dédiée. Il espérait, d’ailleurs, que ses sujets rapporteraient de leurs œuvres et doctrine un éminent profit spirituel. Le père Celestino le remercia fortement, et rejoignant Alep, il avisa nos supérieurs de cette offre susnommée, et il leur exposa combien il estimait convenable d’y établir une résidence pour nous. Trois ans plus tard, réfléchissant à cette offre,  nos supérieurs, et en particulier, notre Préposé Général, Paul-Simon, persuadé par les raisons susdites, se décida à promouvoir le projet. Aussi écrivit-il au même père Celestino qui demeurait a Alep, lui signifiant sa décision et lui ordonnant de se préparer à fonder cette nouvelle résidence, lui rappelant ce qu’il lui avait écrit à propos du couvent de saint Elisée.  

Le très fervent missionnaire se réjouit, grandement, de ce que cette mission lui ait été confiée, réfléchissant à certains motifs qu’il jugeait convenir à notre Reforme de mettre en œuvre pour avoir au Liban cette nouvelle maison comme résidence et, dans ce sens, il discourait sagement.   On ne peut mettre en doute ce que sont d’accord à raconter les plus antiques historiens, soit étrangers, soit des nôtres, que l’Ordre carmélitain, qui eut son origine au Mont Carmel, se soit répandu dans diverses cités[31] de Palestine, Jérusalem, Nazareth, Sarepta de Sidon et au Mont Liban même. Pour s’en persuader, on ne manque pas de preuve claire, d’autant plus qu’y sont conservés des monastères d’antique mémoire dans lesquels il y a des églises et des autels  dédiés en l’honneur de nos très saints pères Elie et Elisée. D’où, manifestement, on constate que ce sont les héritiers de leur esprit prophétique qui les ont érigés et habités. Il existe, pareillement, les divins offices, de temps mémorable, composés en langue syriaque et récités aux jours festifs des mêmes saints prophètes ; ils contiennent d’éminentes louanges à leurs gestes héroïques et leurs miracles extraordinaires. Pour cela les maronites leur professent une dévotion remarquable.  Deux fêtes sont consacrées à notre père saint Elie, au vingt juillet, comme il est de précepte et commun à tout l’Ordre carmélitain, et au Samedi in Albis, pour une dévotion particulière. Deux fêtes, également, sont celles célébrées en honneur de notre père saint Elisée, c’est-à-dire, le 14 juin comme il est fêté par tout notre Ordre, et le 12 octobre. Tout ceci démontre qu’une telle dévotion, envers le premier précepteur de notre Ordre et de son premier successeur saint Elisée, fut introduite par ces premiers pères habitants des abbayes du Liban. Il n’y a personne à ne pas remarquer la convenance de ce que notre Réforme y ait une résidence pour les missionnaires, qui fomenteraient et promouvraient, chez les maronites, la même dévotion déjà introduite. Ce qu’ils ont heureusement obtenu, nous le rapporterons, quand nous traiterons de l’utilité spirituelle qui résultera de cette résidence, une fois fondée. 

Le père Celestino fournit deux autres raisons ; dans la seconde, il essaie de démontrer qu’en fondant cette résidence au Liban, s’avèrerait, plus claire et littéralement vérifiée, la prédiction d’Isaïe, ‘’Convertetur Libanus in Carmelum’’, le Liban serait transformé en Carmel. Et, bien qu’il le démontre ingénieusement, je ne veux pas m’arrêter  à le rapporter, étant, seulement, à ce qu’il me parait, une pieuse considération de notre missionnaire. Elle contribuait, toutefois, à stimuler nos supérieurs à entreprendre avec sollicitude l’établissement de cette résidence. Quant à la troisième, il serait bon de souligner la profonde dévotion,  professée par les maronites, envers la très Sainte Vierge, de façon qu’au Liban, on trouve encore à peine, un petit village, où il n’y a  pas d’église érigée en son honneur depuis des temps lointains, ou au moins, quelque autel consacré à son culte. De cela, on déduit, et non sans une probable conjecture, que nos premiers pères, très obséquieux du culte de la Vierge, aient introduit et contribué à fomenter et promouvoir cette vénération.

Puisque, comme la première chapelle au monde, dédiée à la Mère de Dieu, fut érigée par ces derniers au Carmel, ainsi, il serait tout à fait conforme à la vérité qu’ils aient essayé, avec toute diligence, d’en promouvoir une plus obséquieuse dévotion chez les peuples parmi lesquels ils avaient des couvents. Il convenait, pourtant, de continuer un projet aussi louable et de mettre tout en œuvre pour avoir une résidence au Liban, alors qu’ils pourraient, plus aisément, fomenter chez les maronites le culte de la glorieuse Mère de Dieu à qui, cette nation était déjà,  tellement portée. De cette façon serait réalisé ce qu’Isaïe a prédit, et, dans notre Ordre, on chante dans l’office de la commémoration solennelle de la Bienheureuse Vierge, que la gloire du Liban, unie à celle du Carmel, fut donnée à la Mère de Dieu, étant donné que déjà notre Réforme avait un couvent au Carmel, pour la vénérer plus profondément avec un perpétuel sacrifice de louange. Ce dessein ne fut pas vain, vu que, par l’œuvre de nos missionnaires, le culte de Notre-Dame s’est grandement développé chez les maronites comme il conviendra d’en parler en son lieu. 

Jusqu’alors, les motifs et les raisons avancés se révélèrent approuvés par sa Divine Majesté par une réalisation grandement propice à donner commencement à l’établissement de cette résidence. Pour cela nous rappelons à nos lecteurs ce qui a été déjà dit plus haut, que notre père, Paul- Simon, venait  d’écrire à père Celestino, missionnaire résidant à Alep, de se mettre à l’œuvre. Quand cette lettre de commission lui parvint, le père Stefano était vicaire de notre résidence d’Alep et celui-ci attendait  d’avoir l’opportunité d’obéir aux ordres du susnommé notre Père, en envoyant le père Celestino au Mont Liban. Il ne tarda pas longtemps à recevoir un nouveau coup de pouce pour le faire. Deux notables maronites, natifs de cette région- là et à qui  appartenait la terre sur laquelle se trouvait le déjà nommé couvent de notre père saint Elisée, arrivèrent à Alep ; et,  par des instances répétées, pressèrent notre vicaire d’y envoyer quelqu’un de ses religieux pour en prendre possession. Ils disaient que, s’ils allaient tarder beaucoup, ils se verraient devancer par d’autres religieux qui désiraient l’avoir ; et, dans le cas  que cela arriverait, ils seraient tout à fait exclus. Les habitants de ces lieux désiraient qu’il soit cédé, en particulier, aux carmes déchaux ; et, ayant eu déjà l’ordre du Préposé Général, et ne doutant point du consentement du patriarche, il n’y avait pas de raison pour le délaisser. Ces instances conjointes à l’ordre donné par le Préposé Général stimulèrent efficacement le père vicaire à y envoyer le père Celestino. Toutefois, deux difficultés s’opposaient à cela, en ce moment. La première, c’était le pauvre état dans lequel, en ce temps-là, se trouvait notre résidence d’Alep, étant donné que, pour l’entretien des missionnaires et autres dépenses indispensables, on avait contracté quelques dettes. Aussi arriva-t-il que l’argent nécessaire manquait, soit pour le viatique du Padre, soit pour l’entretien de la nouvelle résidence, sachant que le couvent devait être réparé, comme il se doit à une fabrique quelconque abandonnée depuis assez longtemps. 

L’autre difficulté venait de ce que le père Celestino avait fondé à Alep la confraternité de notre Saint Scapulaire qu’il dirigeait avec un grand profit pour ses membres qui étaient bien nombreux. Les jours de fête, les fidèles étaient instruits, par des exhortations spirituelles à la piété chrétienne et à la vénération spéciale de la Vierge, par le même père qui possédait parfaitement la langue arabe. Chaque mois, on faisait la procession et la communion générale et plusieurs autres exercices de dévotion. Il paraissait, cependant, nécessaire de s’attarder quelque temps, afin que les pères, Bruno du Sacré-Cœur et Paolo di Gesὺ Maria,[32] puissent en quelque manière comprendre et parler arabe, et être ainsi habiles pour suppléer à l’absence de père Celestino. Dieu, pourtant, qui avait inspiré cette œuvre, défit les deux difficultés qui s’opposaient à son accomplissement. La première cessa, étant donné que la Divine Providence disposa que, de la personne dont on pouvait espérer le moins  (le rapport n’en dit pas davantage), lui fut donnée une aumône non seulement suffisante, mais surabondante comme viatique. Ce faisant, notre résidence ne contribua point en argent, mais seulement par quelques livres. A éliminer le second empêchement, servit l’arrivée à Alep de deux pères missionnaires destinés à la Perse. Ce furent les pères Pietro et Barnaba dont le premier, ayant quelque pratique de la langue arabe s’offrit promptement et avec ferveur à dire un sermon dans ladite langue à nos confrères.  

Confiant, entre-temps, dans ce qui  parut, à des langues balbutiantes, une éloquence choisie, il s’appliqua avec beaucoup de zèle à composer le sermon, et par un bonheur admirable, il le mémorisa et le récita d’une manière assez particulière qui fit croire aux auditeurs  qu’il possédait, parfaitement, la langue. Encouragés par ce succès surprenant, les pères Bruno et Paulo s’appliquèrent, de grand cœur, à l’étude de la même langue ; aussi,  purent-ils prêcher et continuer les exercices spirituels de nos confrères sans les interrompre par le départ du père Celestino. Les empêchements résolus, le père Celestino  se prépara, immédiatement, au voyage et, pourvu d’un assez pauvre matériel pour célébrer la sainte messe, il l’entreprit le neuf mars 1643. Il avait, en sa compagnie, quelques marchands français qui, par une dévotion personnelle, allaient visiter les Lieux Saints de Jérusalem. Et alors qu’ils voyageaient,  tout heureux, il leur arriva ce qui les provoqua fortement à louer le Seigneur et sa très Sainte Mère. Au troisième jour, en matinée, le père Celestino, ayant commencé son habituelle oraison mentale, l’un des susdits marchands, natif de Marseille, éminent bienfaiteur de notre résidence d’Alep, appelé Arnaldo, voulant descendre de cheval pour réciter le petit office de la très Sainte Vierge, qu’il récitait fidèlement chaque jour, il arriva que la ceinture, dont il se serrait les hanches, s’empêtra dans la selle du cheval, le fusil, cependant, resta suspendu au pommeau de la selle. 

Le marchand se trouva tellement enchevêtré qu’il ne pût descendre à terre ; l’un de ses pieds  fut retenu dans l’étrier, alors que de l’autre, il se retrouvait suspendu en l’air. Le voyant si mal accroché, le père Celestino alla l’aider ; et s’étant approché de lui, le fusil se retourna, l’orifice en l’air ; il se déchargea et alluma la poudre qui lança sa flamme contre le visage  du père. Il n’eut qu’une légère lésion. Entre-temps, le coup partit, et la balle,  passant à travers son capuchon y fit deux trous ; cependant, une partie du bandeau, qui liait le capuchon  sous la tête, se retrouva brûlée. Tous s’émerveillèrent que la balle ne l’ait pas touché au front, ainsi qu’il aurait dû arriver si, au moment où le fusil fit feu, il n’eut pas incliné, quelque peu, la tête et retourné le visage, pour appeler les servants en aide au marchand. Cet incident, qui délivra le père Celestino de la mort, fut attribué, par tous, à une particulière protection du Seigneur et de sa très Sainte Mère. Sans mettre en compte que, par hasard, notre missionnaire l’ait mérité en n’accomplissant pas ce que règle son institut qui exempt nos religieux de satisfaire, durant les voyages, aux deux heures quotidiennes de l’oraison mentale,  et le marchand qui descendit de cheval pour accomplir plus dévotement ses dévotions envers la très Sainte Vierge. De cette même protection expérimentée, notre Padre retira des sentiments bien vertueux exprimés dans son rapport. Cependant, réfléchissant à ce grave danger, il se répandit en action de grâces au Seigneur et à sa glorieuse Mère, pour un aussi insigne bienfait. Son humble reconnaissance l’excita à repenser aux années écoulées de sa vie, lui paraissant les avoir dépensées, tièdement, au service de sa Majesté Divine, et avoir été coupable de nombreuses fautes ; il versa d’abondantes larmes et exerça de fervents actes de contrition. Avoir été sur le point de mourir se présenta à son esprit, et de là il conclut, combien il est nécessaire de vivre toujours préparé à cet extrême et effrayant évènement, certain de ne pas pouvoir l’éviter et incertaine l’heure prescrite pour sa rencontre ; les mésaventures dans la vie sont assez  nombreuses, alors que ses laps de temps sont mesurés. Ces considérations et d’autres pareilles firent jaillir, en sa volonté, de fermes résolutions de se donner, plus sérieusement,  au service de notre Seigneur et au culte de la Vierge Mère et particulière protectrice de notre Ordre carmélitain. D’où, presque nouveau-né, il projeta d’entamer une vie plus sainte. Finalement, ce bienfait valut de l’encourager, davantage, dans l’entreprise de la nouvelle fondation. Cependant, ayant, au début du voyage, invoqué avec une foi profonde l’assistance du Seigneur, l’intercession de la Vierge et notre père saint Elisée, et jugeant les avoir implorés afin de l’effectuer, il conclut : j’étais déjà persuadé que la fondation du Mont Liban, pour laquelle m’avait envoyé la sainte obéissance, fût certainement décrétée et conclue au ciel. 

Aussi, plein de confiance, poursuivit–il avec joie le voyage et, au lendemain de l’accident, le 14 mars, il arriva avec les susnommés marchands  à Tripoli, tôt, le matin du courant jour du samedi. Il alla se caser dans la maison du consul de France qui était, en ce temps-là, Angelo Avelli, un monsieur de très affables manières, et avec celles-ci, il accueillit notre missionnaire et les marchands français. Ils ne s’arrêtèrent pas longtemps, et ne se perdirent pas en compliments, car notre Padre se prépara, immédiatement, à célébrer la messe de Notre-Dame à la chapelle du dit consul, voulant rendre grâce à Dieu et à sa glorieuse Mère  pour leur protection  durant tout le voyage écoulé. L’ayant terminée, il ne tarda point à traiter de sa mission, s’enquérant où retrouver le patriarche des maronites, Giorgio Amira. Ils lui dirent qu’il était descendu, du Mont Liban, par le chemin qui conduit à Tripoli ; cependant, il ne  se trouvait pas dans cette ville, mais dans l’un de ses villages, appelé Zgharta et distant de la même d’environ quatre milles. S’étant, entre-temps, restauré à la table apprêtée par le consul, il partit, le même jour, pour le susnommé village où il le retrouva. L’ayant salué avec une affectueuse déférence, il lui exposa l’objet de son voyage et sa confiance de l’obtenir, estimant que sa Seigneurie ait persévéré dans son aimable volonté de lui céder le couvent de saint Elisée, comme il l’avait signifié, il y a déjà trois ans. Il ne manqua pas de lui ajouter un nouveau stimulant avec les lettres de recommandation qu’il portait avec lui et qu’il lui offrit pour l’assurer, néanmoins, de combien les supérieurs de l’Ordre désiraient que leurs missionnaires aient une résidence en son Liban pour s’y employer au profit spirituel des âmes.  

Le patriarche, déjà bien avancé en âge, à l’instar d’un nouveau Jacob dans sa vénérable vieillesse, à la vue de son  bien-aimé  Joseph, le reconnut de tout son esprit et, avec une joie inexplicable, l’accueillit, sachant lui, combien de profit spirituel, ses maronites auraient rapporté  de notre missionnaire. Alors que ce dernier demeurait à Alep, il avait établi avec lui une correspondance par de fréquentes lettres écrites durant l’espace d’environ deux ans et demi ; il lui avait donné pleine faculté d’administrer les sacrements et orienter sur les chemins de l’esprit tous ses maronites qui habitaient en la ville susdite. Aussi, à le voir arrivé ici avec l’intention de demeurer au Mont Liban et au couvent de saint Elisée, il lui renouvela, avec la plus grande joie, ses propositions. L’établissement des carmes déchaux au couvent susnommé  convenait à son inclination,  vu que dans le temps où il étudiait à Rome, alors qu’il était élève au collège de sa nation, ils les avaient connus comme pratiquants exemplaires de leur institut. Cependant, non seulement ils coopéreraient à réformer les mœurs des laïcs et à améliorer  celles des ecclésiastiques, mais aussi à faire refleurir, chez ses moines, l’exactitude de l’observance régulière. Aussi, pour tout cela, il se montra prompt à accorder à notre Réforme le couvent de saint Elisée, ajoutant dans sa bienveillance très humaine, ne pas octroyer, par son consentement, une grâce mais plutôt en recevoir. Il devait, toutefois, traiter certaines conditions à poser dans son autorisation écrite, non pas pour interposer des difficultés, mais parce qu’il les jugeait indispensables à l’établissement permanent de la résidence. Il dit qu’en premier lieu, il ne lui était absolument pas possible d’aliéner le dit couvent en donnant l’entière et absolue possession à nos religieux, puisque sa possession réelle appartenait aux habitants du pays de Besciarrai, non seulement parce qu’il est situé dans les limites de sa juridiction, mais parce qu’il avait été construit, dès ses fondations, avec l’argent de leurs ancêtres, comme il en avait été réparé à plusieurs reprises. Ceci, cependant ne ferait pas obstacle à la concession utile et gratuite du même couvent avec l’important terrain adjacent sans être obligé d’en payer le moindre loyer, concourant à cette concession libérale, soit sa volonté, soit celle des fondateurs de la terre susnommée, étant donné que tout le monde le désirait vivement. Les pères ne devraient pas se persuader que, pour n’être pas possesseurs absolus du couvent, ils rencontreraient quelque empêchement ou ennui en tout ce qui concernait la résidence au temporel comme au spirituel, parce que dans le permis ou instrument d’une telle concession, par les moyens les plus efficaces, il interdirait à ses Biscerani de s’immiscer dans son gouvernement et les inquiéter dans les affaires spirituelles. On lit tout cela exprimé dans l’écriture avec laquelle la possession du couvent fut cédée à notre Réforme. Il ajouta, toutefois, à la manière d’un conseil, que cette condition apparaissait peu favorable aux missionnaires, mais qu’elle était, tout à fait, utile pour les exempter de graves dépenses et ennuis ; d’où il leur convient de ne pas avoir la possession absolue pour la simple raison, que le pays des maronites est sujet à la tyrannique domination du Turc et à l’inique exaction de ses ministres. Ceux-ci, par des manières violentes, exigeaient des patrons, propriétaires de terrains fruitiers, d’intolérables impôts ; d’où, souvent, il arrivait que s’étant, pendant toute l’année, fatigués à les cultiver, ou bien à nourrir les vers à soie,  ils étaient contraints, comme des esclaves achetés, à payer tant d’argent, de façon à n’en garder aucun bénéfice ou bien un trop mince. D’où, il s’en suit que si nos religieux possédaient, à la manière de propriétaire absolus,  ils seraient toujours inquiétés, par les mêmes exactions iniques. Il n’en serait pas de même, s’ils vivaient à leurs propres frais, en étant simplement administrateurs du couvent et de ses biens fructifères.  

Celle-ci engendrait l’autre condition proposée par le patriarche, celle, pour les missionnaires de cette résidence d’assurer une annuelle et convenable rente pour leur subsistance, n’étant pas possible que des religieux de nations étrangères la retirent des aumônes seules  offertes par les maronites habitants du Liban, gémissant opprimés par les fréquentes extorsions des Macomettani, par qui ils étaient réduits à une extrême pauvreté. Aussi, au lieu de pouvoir secourir, ils avaient besoin d’être secourus. Cela était clair chez les moines natifs du Liban auxquels, à cause de l’état catastrophique de leur propre nation, incombait le besoin de se procurer la nourriture et le vêtement à la sueur de leurs propres mains, labourant, tissant et se fatiguant à d’autres travaux de plus pénibles souffrances. Devant ces conditions, notre Padre ne fit pas marche arrière dans sa résolution ; et se trouvant satisfait de la première, appuyé sur le sage conseil du patriarche, il répondit à la seconde : avoir espoir en la Divine Providence, que les religieux ne manqueraient pas d’un subside convenable pour leur entretien, prise en considération la pauvreté prescrite par leur institut. Il reconnaissait la vérité de ce qu’il lui exposait à propos de ses diocésains, mais qu’il n’était pas  dans l’intention de nos supérieurs de les aggraver. S’étant entendu à propos des deux conditions, le patriarche le renvoya avec sa bénédiction et lui promit de traiter avec le peuple, habitant aux environs du couvent, de tout ce qui pourrait concerner l’établissement des religieux et leur paisible séjour ; d’où, sans entrave, ils pourraient s’adonner à la direction spirituelle et à l’observance régulière qu’ils professaient. 

Avec cette bénédiction et cette autorisation du patriarche, le père Celestino rentra bien content à Tripoli, où il s’appliqua soigneusement à préparer le nécessaire pour entrer en possession du couvent. Mais afin que les œuvres faites pour Dieu reçoivent du mérite et ne soient pas défaites par les contradictions, elle ne fut pas légère la contradiction qui s’éleva à peine sut-on que le patriarche avait cédé le couvent  de saint Elisée à notre Réforme. Quelques missionnaires d’un autre Ordre[33] et qui avaient une maison à Tripoli, disaient avoir obtenu, il y a trois mois, le dit couvent pour eux-mêmes, aussi avaient-ils  la préférence aux nôtres. Preuve à l’appui, ils exhibaient une certaine écriture qu’ils assuraient être du patriarche et qui contenait l’octroi invoqué. Et bien qu’ils firent du tout pour empêcher ou au moins retarder le départ de notre missionnaire, lui, cependant, ferme dans sa décision,  répondit qu’il lui paraissait étrange que le patriarche ait oublié un octroi écrit si peu de temps auparavant, et quoiqu’il en soit, il ne pouvait, en aucune manière, différer son départ et interrompre ce qui est déjà décidé. Il était obligé à le poursuivre soit par la mission qui lui avait été donnée par ses supérieurs, soit par la claire volonté du patriarche dont il avait reçu l’ordre de se transférer, sans retard, au couvent de saint Elisée et d’en prendre possession. S’ils avaient quelque opposition à faire, ils pourraient la présenter au patriarche qui demeurait dans un lieu à peu de distance de Tripoli. Il affirma, cependant, qu’il était tout à fait dépendant d’un signal du même patriarche ; aussi était-il tout à fait prêt à abandonner le couvent ou bien à le troquer contre un autre, comme il lui plairait d’en disposer, et avec cela, il poursuivit les préparatifs de son départ. Sa constante décision calma, quelque peu, l’excitation provoquée par les opposants, se rendant compte de la non-consistance de ce qu’ils affirmaient, comme nous l’exposerons mieux à l’avenir. C’est pourquoi, le père Celestino se hâta de partir dès qu’il put, désireux de prendre possession et de célébrer la première messe, à la nouvelle résidence, pour la prochaine fête du patriarche saint Joseph, protecteur particulier de notre Réforme. Il ne manqua pas, comme il le dit lui-même, d’expérimenter son assistance favorable pour parvenir à son objectif. Etant sorti de Tripoli en direction du Mont Liban, il rencontra un maronite de noble condition et de première autorité dans le pays de Besciarrei. Dans son territoire, se trouvait le couvent de notre père saint Elisée. A peine entamée conversation avec lui, il se convainquit qu’il était puissant dans ce pays qu’il dirigeait à sa guise. Il se rappela, également, que le fils aîné de celui-ci, étant allé, peu de temps avant, du Mont Liban à Alep, où il demeurait alors, non seulement l’avait invité au couvent de saint Elisée, mais aussi, avec des instances pressantes et nombreuses, il l’avait sollicité à en prendre possession, lui montrant l’accord total de sa famille. C’était le désir, surtout de celle-ci qu’il soit confié aux carmes déchaussés, et il  était fâcheux que les pères aient tellement tardé à y fixer leur habitation. Par ces réflexions, il se persuada qu’il devait lui exposer l’objectif de son voyage ; et l’ayant démontré, il ajouta que les instances faites par son fils à Alep, l’encourageaient à requérir sa protection. Il était, pourtant, certain qu’il partageait le même sentiment de son fils vu que celui-ci ne se serait  hasardé à lui offrir le couvent s’il ne savait pas se conformer au bon vouloir de son père. Tous deux, d’ailleurs, partageaient le sentiment du patriarche dont il avait déjà obtenu l’autorisation et la bénédiction ; il avait, cependant, rencontré l’opposition de quelques religieux qui prétendaient au même couvent alléguant qu’il leur avait été cédé par le patriarche, quelques mois avant la concession faite à ses supérieurs et à lui-même. Ayant entendu cela, le noble maronite voulut aller, immédiatement, avec notre Padre, chez le patriarche ; et, introduit en sa présence, il lui dit que ses parents, qui habitent à Alep, connaissant le père Celestino, ses mœurs exemplaires, son fervent zèle à exercer la charge de missionnaire apostolique, ses manières certaines dans la direction spirituelle des âmes, lui avaient écrit et chaudement recommandé de l’assister de la façon la plus efficace, affirmant qu’il se refléterait en abondant profit des âmes, si le couvent de saint Elisée était confié aux carmes déchaussés, puisque à Alep, ils étaient en vénération, en tant qu’excellents ouvriers de l’Evangile. Il le supplia, cependant, de les préférer à ces religieux qui, alléguant sa concession précédente, prétendaient au même couvent. Fort surpris, à la nouvelle de cette contradiction, le patriarche se rappela que, réellement, il avait donné l’autorisation invoquée à ces religieux, mais qu’elle n’avait pas été obtenue sans quelque astuce. 

Cependant, il est bon de savoir qu’environ trois mois avant le départ de père Celestino d’Alep, deux de nos missionnaires, les pères Pietro et Barnaba avaient débarqué à Sidon... Ceux-ci, avant de rejoindre Alep, par où ils devaient passer, avaient répandu à Berrito et Tripoli que le père Celestino, dans peu de temps, sur l’ordre des supérieurs, serait venu au Mont Liban pour y établir une résidence pour nos missionnaires, retenant comme certaine l’autorisation du patriarche dont ils étaient fort voulus. Excités par ces paroles, les susnommés religieux décidèrent de prévenir les nôtres et leur interdire l’entrée au Liban ou, pour le moins, de les exclure du couvent de saint Elisée. Dans cet objectif, ils se hâtèrent d’aller chez le patriarche et, par de chaudes instances, le supplièrent de leur octroyer le dit couvent. 

Le patriarche montra qu’il n’était pas, tout à fait, disposé à le céder, alléguant la raison suivante. Son prédécesseur dans le patriarcat leur avait octroyé au Liban un autre ancien couvent sous le titre de saint Thomas, et ils y avaient habité pendant quelque temps. Mais, n’ayant point de subside annuel et ne pouvant compter, pour leur subsistance, sur les seules aumônes des maronites,  ils s’étaient retrouvés obligés de l’abandonner. Aussi conclut-il que, s’ils étaient munis de subside annuel et suffisant, ils devraient retourner au couvent déjà abandonné ; et si cela leur manquait, il ne convenait pas  de leur octroyer le couvent de saint Elisée, vu que,  pour la même raison, ils allaient l’abandonner. Ces pères répondirent qu’ils avaient été obligés d’abandonner  le couvent de saint Thomas, non point par l’impossibilité de se nourrir, mais plutôt, pour l’incommodité intolérable de son site et autres inconvénients qu’ils avaient expérimentés. Les mêmes inconvénients, n’apparaissant pas dans le couvent de saint Elisée, ils y auraient, cent pour cent, persévéré. Sous une vive insistance en vue de cette concession, et ne se souvenant pas du permis octroyé au père Celestino, de sa vive voix dans la précédente année de 1639, comme nous l’avons dit plus haut, le patriarche se plia, quoique à contrecœur, à céder par écrit, à ces pères, le couvent de saint Elisée. A cette manière peu sincère d’agir s’ajouta ce qui fit cesser tout à fait l’opposition. Le supérieur des religieux prétendants affirmait avoir demandé au patriarche ladite autorisation, non seulement, sans en être chargé par ses supérieurs de l’Europe, mais expressément contre leur volonté, vu qu’il avait reçu de ses supérieurs, qui résidaient en France, l’ordre de ne pas accepter ou fonder une autre nouvelle résidence en Syrie et Palestine et particulièrement au Mont Liban, à raison de la grande pauvreté de ses habitants qui ne pouvaient pas lui fournir d’aumônes suffisantes au maintien des missionnaires ; il  n’était pas digne de l’institut qu’ils professaient qu’ une rente annuelle leur soit accordée. Il est tellement sage le conseil de ne pas déclarer le dessein de nouvelles fondations, avant qu’elles ne soient établies, d’où notre Mère sainte Thérèse le recommanda, à plusieurs reprises, dans son livre des Fondations.  

Partant de tout cela, le patriarche décida de ne pas prendre en considération la licence, la jugeant subreptice, contraire à sa première promesse faite au père Celestino, et obtenue contre la volonté des supérieurs de ces pères. Il se détermina à livrer, à notre Réforme le couvent de saint Elisée, et il se confirma dans cette décision pour les raisons suivantes. Premièrement, il savait que telle était la volonté de ces maronites à qui appartenait la possession territoriale du site où le couvent était érigé, et eux-mêmes lui faisaient, expressément, instance en faveur des carmes déchaux. En second lieu, il disait que l’institut de notre Réforme s’adaptait plus à ce que professaient les religieux de saint Antoine dont il y en avait beaucoup sur la même montagne. Ceux-ci jeûnent perpétuellement et se privent des viandes, et, en cela, nos religieux quand ils ne sont pas malades, leur sont totalement égaux ; quant au premier point, ou bien ils les dépassent ou bien ils ne leur sont pas inférieurs, jeûnant plus de sept mois l’année, bien que non point de la même extrême rigueur des Orientaux, comme  nous aurons à en référer. La troisième raison comportait, en elle-même, une convenance assez plausible, le couvent était dédié, comme on l’a dit, à saint Elisée, et tout l’Ordre carmélitain, se prévalant de la succession de ce saint prophète, était reconnu, d’une façon particulière, héritier de son institut et de son esprit. Pour ces motifs donc, le patriarche révoqua la licence donnée à ces religieux, la déclarant obtenue d’une mauvaise façon, et renouvela celle déjà délivrée au père Celestino ; aussi, celui-ci, avec sa bénédiction, accéléra son départ pour le Mont Liban, au cours du dix-huitième jour de mars, désireux de célébrer la première messe à la nouvelle résidence, le jour suivant, où l’on célèbre la fête de notre protecteur et patriarche saint Joseph.


Photo: Deir Mar Licha, Qannoubine

 

Deuxième narration 

L’opposition soulevée, tout à fait calmée, et une fois obtenue la concession renouvelée du couvent, le père Celestino se dirigea, tout heureux, au Mont Liban. Le susnommé notable maronite voulut l’accompagner pour le seconder, à l’occasion, de son autorité respectée, avec un autre maronite, natif de Besciarrei lequel, pendant diverses années, avait été domestique de notre résidence d’Alep et, avec beaucoup d’instance, il avait sollicité nos missionnaires de se transférer au Mont Liban. La raison en est que, dans ladite terre, habitait un grand nombre de ses parents, et il désirait qu’ils jouissent de la direction spirituelle de nos missionnaires. Durant ce voyage, les peines qu’ils souffrirent furent bien grandes ; étant temps de carême, les orientaux, en ces journées,  jeûnent avec une extrême rigueur, ne déjeunant que trois ou quatre heures après-midi,  estimant, comme une transgression  du jeûne, de se nourrir d’un peu de pain ou boire un peu d’eau. En cela, ils sont tellement tenaces que même les voyageurs l’observent, alors même qu’ils marchent à pieds. Ce qui est le plus considérable, dans la piété chrétienne, n’est pas la seule abstinence des aliments mais, plutôt, le jeûne des vices. Saint François disait : ‘’La charité seule rend vraiment saint, non les œuvres pénales avec lesquelles les méchants, aussi, peuvent se mortifier’’. Vers trois heures de l’après-midi, quoique fortement gênés, ils parvinrent à un couvent assez célèbre de saint Antoine où, dans les siècles passés, vivait un grand nombre de moines qui observaient avec rigueur la règle de ce saint Abbé. 

Leur vertu exemplaire  leur avait mérité soit la dignité patriarcale soit des mitres inférieures à celle-ci et auxquelles ils avaient été élus.  Dans le temps, cependant, où passèrent nos voyageurs, on déplorait la décadence de la discipline monastique et le nombre des religieux était très restreint,  les ayant réduits à un état aussi déplorable la tyrannie turque désolatrice d’une grande partie du monde. C’était bien à cause de l’avide avarice de celle-ci même que ces quelques peu nombreux moines étaient contraints à se nourrir du travail de leurs propres mains. Néanmoins, avec des signes de grande charité, ils reçoivent les hôtes qui passent par là. Avec les mêmes expressions, ils accueillirent notre Padre avec les deux maronites ; comme la pénurie du temporel ne correspondait pas à la grande bienveillance, tout le servi à table fut une soupe de lentilles et une salade. Les voyageurs, encore à jeun, exténués par le voyage, se restaurèrent à ce pauvre déjeuner ; toutefois, remerciant grandement,  ils voulurent immédiatement poursuivre le voyage pour arriver au couvent de saint Elisée dans la matinée suivante et y célébrer la sainte messe. Mais, peu de temps après, ils rencontrèrent deux janissaires envoyés au Mont Liban par le gouverneur de la ville[34] pour percevoir ce qui manquait au payement complet des taxes. Ceux-ci avaient l’air des soldats dont parle saint Ignace martyr, les qualifiant de léopards, car se jetant sur le maronite qui, comme nous l’avons dit plus haut, était le plus respecté sur la terre de Besciarrai et, de façon insolente, ils lui demandèrent huit Balleri, monnaie propre du pays. Le maronite s’excusait, humblement, disant qu’il n’avait pas sur lui, l’argent demandé ; et il les priait d’attendre, seulement, deux jours, après quoi, il aurait satisfait la taxe qui lui était imposée. Mais rien ne servit à plaquer les deux bêtes sous apparence humaine ; aussi, le frappant avec les bâtons portés toujours par les ministres de la justice, ils le jetèrent à terre, cruellement meurtri. Effectivement, le maronite, n’ayant pas l’argent, ne pouvait pas les satisfaire, mais ces barbares, ne lui prêtant pas foi, dégainèrent le cimeterre, le menaçant de mort. Le maronite maltraité se taisait ; aussi les janissaires, persuadés que vraiment il n’avait pas l’argent, lui lièrent les mains par derrière pour le conduire au gouverneur de Tripoli. Emu d’une aussi  impitoyable barbarie, le père Celestino, par d’affables manières, intervint auprès des janissaires, les suppliant de ne pas torturer une personne aussi importante, d’autant plus que le terme dans lequel il promettait de les satisfaire était très bref, ne pouvant pas donner l’argent qu’il n’avait pas. Le maronite, étant son compagnon de voyage, et ne pouvant le poursuivre s’il n’allait pas avec lui, il leur demanda la faveur de ne pas l’en priver. Devant cette prière aussi humble, l’un de ces impitoyables, fort loin de se calmer, se tourna à regarder le Padre d’un visage courroucé, et l’assaillant à coups de bâton et de poing, menaçait de le précipiter de la montagne. Il l’aurait, par hasard, exécuté si l’autre, moins cruel, ne fût accouru à le lui arracher des mains. Notre missionnaire accepta avec sérénité de cœur et de visage un affront aussi injurieux et l’offrit à sa Divine Majesté, comme il l’affirme lui-même, en préparation à la fête du jour suivant, et pour l’heureuse réussite de la nouvelle résidence, sachant que les peines souffertes par amour du prochain, sont le sacrifice le plus agréable à Dieu. Son cœur ne supportait pas de voir son bienfaiteur si maltraité ; aussi, interrogea-t-il l’autre maronite, son compagnon, sur la façon de le libérer. Il pensait, d’ailleurs, que  gagner la bienveillance du notable maronite lui serait d’un grand profit dans son projet de fondation. Son compagnon lui répondit que l’unique moyen était de lui donner l’argent requis ; et que s’il l’avait, il ne perdrait rien à le lui prêter ;  et par cet acte de charité, il gagnerait la bienveillance de beaucoup de gens, le maronite étant fort estimé dans son pays. Notre missionnaire sauta sur l’occasion, et lui passant, secrètement, l’argent, il lui dit de le donner aux janissaires comme si c’était le sien. S’étant exécuté, le maronite fut relâché ; aussi, poursuivirent-ils le voyage ;  et arrivé, à Besciarrai, le maronite restitua ponctuellement l’argent à notre Padre, en lui rendant grâces. De l’événement rapporté, on constate combien était inhumaine la manière turque de traiter les chrétiens, alors qu’ils s’acharnent tellement pour toucher si peu d’argent, non pas nié, mais non immédiatement payé. Sortis des mains des barbares, et bien qu’ils aient été meurtris, ils reprirent rapidement le voyage, non peu retardés, par ladite malheureuse rencontre. 

Cette nuit-là, il leur fut impossible de rejoindre le couvent de saint Elisée. Toutefois, ils ne purent avancer, d’un pas accéléré, comme ils le désiraient, à cause d’un autre  sinistre incident. Le soleil était déjà sur le point de se coucher, dans un ciel obscurci par des denses nuages, quand une tempête se déchaina assez furieuse ; fortement terrorisés, ils pensèrent que l’enfer voulait leur interdire le voyage, entrepris en vue d’un projet aussi saint. On entendait des grondements de tonnerre retentissants, suivis d’un grand nombre de foudres déchaînées, alors que tombait une abondante pluie, un mélange de neige et de grêle ; des vents opposés, luttant impétueux entre eux, paraissaient vouloir ébranler et déraciner la montagne même. Ils marchaient, entretemps, à grande difficulté, et non sans grave danger, surtout lorsque survint l’obscurité de la nuit. Se rendant, enfin, compte, qu’il  aurait été téméraire de vouloir atteindre le dit couvent, au risque de s’égarer, ou de s’exposer au danger manifeste d’être précipités de l’escarpement de la montagne ; ils décidèrent de s’arrêter dans un village voisin,[35] et de se réfugier dans la maison du curé où ils furent hébergés avec une très pauvre nourriture, mais avec une riche affection. La matinée suivante, réveillés à temps, ils poursuivirent leur voyage. Désireux d’atteindre le couvent à une heure opportune pour apprêter et orner, en quelque sorte, l’église pour y célébrer  la première messe, ils laissèrent la voie commune, plus longue ; et par une autre plus brève, mais non pas moins dure, et qui, à première vue, semble impraticable et précipitée,  ils descendirent dans la vallée où le couvent est situé. Etant parvenus, après un voyage désastreux, ils virent la tristesse passée compensée par les applaudissements et la joie inattendue des habitants de l’entourage. Ils accouraient tous, pour baiser le scapulaire de notre missionnaire se félicitant de son arrivée, tellement désirée et attendue de leur part. Mais, se tirant d’aussi joyeuses acclamations, le père Celestino se mit, immédiatement, à préparer le nécessaire pour célébrer la sainte messe. Il orna l’église autant que le temps le permettait, non pas avec un apparat somptueux, mais avec des verdures et diverses manières. Bien qu’en ce temps-là, la fête du saint patriarche n’était pas célébrée, par les maronites, comme fête de précepte, néanmoins, tout le monde voulut assister à la messe de notre missionnaire ; à la fin de celle-ci, notre Padre, bien versé dans le langage de ce pays, prononça un sermon  à la louange  du saint patriarche. Que personne ne s’étonne qu’il pût le dire à l’improviste, et tout à fait meurtri qu’il était, soit par les coups reçus, soit par la tempête précédente et la fatigue du voyage. Le père Celestino était doué d’un esprit très fervent et d’une éloquence, non apprise selon  des préceptes rhétoriques, ni étudiée dans les livres, mais insufflée du Seigneur dans l’oraison et les saintes méditations. Cela m’est manifeste non du rapport d’autrui, mais pour l’avoir écouté, lors des sermons domestiques prononcés par lui à l’oratoire de notre couvent de  ‘’La Madonna della Vittoria ». En les disant, il s’enflammait d’une telle ardeur, que ses paroles paraissaient, ouvertement, être autant de flammes ou étincelles jaillissant du feu de l’amour de Dieu qui lui brûlait le cœur. Les maronites, à l’écoute de ce sermon, commencèrent à s’enflammer dans la dévotion du très saint époux de la Vierge ; et notre missionnaire, en véritable héritier de l’esprit de notre mère sainte Thérèse, décida, à l’imitation de la sainte réformatrice, de faire du tout pour propager, dans le Mont Liban, le culte du Saint. Dans cette perspective, il alla en traiter avec le patriarche Joseph[36] et lui représenta les raisons les plus efficaces pour l’induire à faire célébrer la messe, à la manière aussi solennelle qu’en usage dans l’Eglise latine, c’est-à-dire, de précepte. Il lui représenta les éminentes vertus du nourricier du Verbe incarné, non inférieur en mérite et dignité aux saints Apôtres, vu que la sainteté et l’abondance de la grâce justifiante des élus de Dieu, se mesure à l’objectif et ά la charge dont ils sont mandataires de sa Divine Majesté. Saint Joseph,  ayant été  élevé à celle de père putatif du Verbe incarné, les Evangélistes n’hésitèrent point à écrire qu’Il lui fut sujet, témoignant d’une façon inexplicable de sa prééminence. Le Seigneur, en outre, l’ayant choisi comme époux de la Vierge qui, de par sa dignité de Mère de Dieu, jouit d’une  grandeur infinie, que Dieu ne peut en communiquer de plus grand à une simple créature, on ne pouvait douter que son époux lui fût aussi semblable. Il lui parla de sa toute puissante intercession célébrée, avec la plus haute vénération, par notre mère sainte Thérèse, puisque, comme il lui dit, le Fils de Dieu daigna vouloir lui être sujet sur terre,  il lui conserve la même intimité au ciel en exauçant ce qu’il lui demande. Aux autres saints, le Seigneur a fait don de porter secours dans certaines nécessités particulières, comme à l’abbé saint Antoine de délivrer du feu, mais à saint Joseph, il a tout donné. Dans ses entretiens familiers avec les maronites, il parla des mêmes prérogatives, et ses raisonnements furent tellement efficaces, qu’il obtint que la fête soit célébrée comme de précepte, avec beaucoup de solennité et de concours. Notre missionnaire se réjouit, surtout,  d’avoir donné principe à l’établissement de cette nouvelle résidence en propageant la dévotion au saint époux de la Vierge. Si ceci avait été le seul fruit spirituel de son action, et qu’il en ait eu des souffrances majeures, il se serait estimé récompensé. Il en aurait, même, embrassé de plus dures pour répondre, au moins en quelque sorte, aux innombrables bénéfices, avec lesquels, ce saint a obligé toute notre Réforme à l’élire et à le vénérer comme protecteur extraordinaire, en célébrant une fête particulière, avec office et messe propres et rite de double majeur, au troisième dimanche après la Pâque de la Résurrection.   

Cependant, avant de rapporter combien cette résidence de nos missionnaires fut utile au profit spirituel des âmes, la description du  site et de la fabrique de ce couvent apporterait du mérite à l’œuvre, ayant entre les mains, des informations particulières, tout à fait distinctes, laissées par le père Celestino, lui-même, dans son rapport latin original. Commençons par les débuts. C’est une profonde et très agréable vallée ; s’étirant en longueur, elle descend sur une très grande distance. Des deux côtés s’élèvent des rochers très hauts  et inaccessibles ; et en sa partie orientale, à la distance d’environ six milles, on voit les nombreux arbres de cèdres dont il a été question plus haut. Dans la partie occidentale opposée, et à la distance d’environ quatre milles, se situe le couvent patriarcal appelé Canobin. Assez supérieure est la distance de Damas, métropole de la Syrie, laquelle, à midi, est loin de l’espace de trois journées de voyage ; au nord on voit la ville de Tripoli dont elle est éloignée d’environ trente milles. La partie la plus basse de cette vallée sert de lit à un torrent très rapide, appelé par les habitants « Saint ». Quelques-uns pensent que la sainteté lui fut attribuée du fait que sa source se trouve au-dessous des racines des susdits cèdres, arbres qui ont la réputation  d’être sacrés, étant, par hasard,  fréquemment, nommés dans les Ecritures Saintes, et honorés en tant que symboles des justes, ou bien d’autres éminentes et divines prérogatives et dons surnaturels. D’autres estiment que ce titre leur a été donné de par la  sainteté de la vallée même, vu que, dans les temps les plus éloignés, elle était sanctifiée par un grand nombre d’églises, couvents et ermitages qui étaient fabriqués avec une merveilleuse architecture, sur les deux rives du fleuve, sur une longueur de cinq ou six milles et, particulièrement, en diverses cavernes de la montagne. Ceux-ci étaient habités par un pareil nombre de religieux et ermites qui, à l’instar des bienheureux anges du ciel, jour et nuit, chantaient les louanges du Seigneur, et avaient changé les solitudes du Liban en paradis terrestre de mœurs innocentes. Quelques maronites, au seuil de l’extrême vieillesse, affirmaient, qu’aux jours du dimanche et autres fêtes de l’année, on y célébrait un si grand nombre de messes solennelles que,  par suite de l’épaisse fumée de l’encens et autres arômes qui se condensait dans l’air, un très grand et odoriférant brouillard recouvrait, en grande partie, la vallée. Cela est dû particulièrement à ce que les Orientaux, à n’importe quelle messe, consument beaucoup d’encens, surtout au Liban, où on l’extrait des cèdres, en grande quantité. Les eaux du même fleuve sont de parfaite et salubre qualité ; et le murmure continuel de son cours incite à lui correspondre, de vive voix, en louanges  divines. En ce qui a rapport à sa construction, elle est, sans doute, très ancienne et, nous l’avons dit plus haut, souvent, elle a été refaite par les habitants des environs. Elle est toute incluse dans une très vaste caverne à laquelle sert d’appui un rocher de majeure ampleur ; aussi,  le même rocher sert de toit à l’église et, surélevé à une grande altitude, il lui sert de rempart contre le vent du nord. Il y a dans son intérieur sept autels ; le premier de ceux-ci, est dédié à notre père saint Elie, le second, et il est le principal, est érigé en honneur de son premier fils spirituel, et c’est notre père saint Elisée. Il n’est pas fait mention des autres, aussi, me convient-il de le taire. Près de la porte de l’église, est située la fabrique du couvent qui s’étend sur soixante palmes en longueur, quant à la largeur, elle est inégale, car, à l’entrée, elle n’est pas plus de quatorze palmes ; et, tout en croissant, elle se dilate jusqu'à trente. La hauteur ne dépasse pas vingt-huit palmes. Aux temps les plus éloignés, soit l’église soit, l’habitation des religieux, se trouvaient au premier étage ; aujourd’hui, elles sont dans l’autre. Il y avait, de même, au plus intime, d’autres ateliers et diverses remises pour le bétail. Dans la partie supérieure, qui donne à midi, cinq arcades perçaient le mur externe où la place évidée pour les fenêtres fut fermée pour se préserver du froid. Il y avait de l’espace suffisant pour y construire cinq cellules, selon les dimensions prescrites par notre institut, avec d’autres ateliers. A la dilection des regards, se déploie une perspective si agréable que la parole est impuissante à exprimer puisque, à largeur de regard, on admire des jardins, des champs, forêts, fleuve, collines, qui, par la variété des objets présentent un charme riant et caractérisé. Il y avait, également, sur l’autre flanc de l’église, une autre construction plus grande, le double de celle déjà décrite, laquelle servait comme demeure soit au séculier à qui échouait l’entretien du couvent, soit aux pâtres et cultivateurs des propriétés appartenant à celui-ci. Elle servait, pareillement, à l’élevage du ver à soie, et à la réception des étrangers. Celle-ci, aussi, aurait été cédée à nos religieux s’ils avaient voulu s’obliger à restaurer une autre maison de campagne voisine, fort en ruine, et qu’on pouvait la  réparer, disait-on, pour seulement vingt-cinq écus. A ces deux constructions s’ajoutaient, à peu de distance du couvent, quelques cavernes jadis habitations des anciens ermites, et parmi celles-ci, il y en avait une de trois ou quatre chambres, qui avait une église ou chapelle contigüe. Le père Celestino jugea, entre temps, qu’elle aurait été bien à propos pour les exercices spirituels, auxquels nos religieux ont l’habitude de s’y retirer, chaque année. Le père Celestino se fixa dans le couvent décrit en premier lieu, sans aucun compagnon ; et s’écoulant le temps de carême, où il y avait le jeûne, il y endura une extrême pauvreté et un jeûne extrêmement rigoureux ;  tous les ustensiles nécessaires à un couvent lui manquaient ; et, pour enlever toute ombre de scandale, il voulut se soumettre au rigoureux modèle de jeûne observé par les Orientaux, spécialement, les moines et les solitaires. Ceux-ci ne prennent le moindre repas sinon que quelques heures avant le coucher du soleil ; et, s’abstenant du vin et du poisson, ils mangent, seulement, légumes et herbes cuites, et presque rien d’autre. Plus sévère, fut l’abstinence de notre missionnaire, soit qu’il jugeait convenir de se montrer exemplaire en austérité, soit, manquant de toute provision, il ne voulait pas commencer à demander l’aumône, craignant d’en être importuné en retour. Il arriva donc que jusqu'à Pâques qui, en cette année de 1643, tomba au cinquième jour d’avril, il n’alluma jamais de feu, souffrant un très grand froid, et se nourrissant seulement de noix et figues sèches dont il avait fait provision de son propre argent. Le Seigneur disposa, cependant, qu’une aussi extrême rigueur de son serviteur fut tempéré,  étant donné que l’un des habitants voisins, se rendant compte de ses peines, lui portait, chaque jour, une soupe de légumes ou d’herbes champêtres ; et avec cela, il se contentait comme d’une table somptueuse. Cependant il ne se serait pas satisfait d’une aussi frugale nourriture, surtout au milieu de tant d’occupations laborieuses qu’il eut à traiter immédiatement, s’il n’eut été nourri, intérieurement, avec les douceurs de l’esprit par le Seigneur qui, aux dires de David, ne dédaigne pas de nourrir, de la rosée du ciel, les petits du corbeau. Les éminentes vertus de ce père, connues de moi et admirées pendant de nombreuses années, servirent, également, à lui faire souffrir un jeûne aussi rigoureux ; qu’on pense, d’ailleurs, qu’il était hollandais, nation qui a, en grand horreur, de boire de l’eau crue. D’ailleurs, cela ne convenait point au climat du Liban, alors que la neige, quasi continuelle, le rend très froid. Vivant dans une aussi pénible rigueur, on lui rapporta que la prochaine fête de l’Annonciation de Notre-Dame, était célébrée, solennellement et à grand concours de peuple, en l’église de Canobin, couvent patriarcal. Le fils de la très Sainte Vierge, se réjouit à cette nouvelle, et décida de ne point négliger une conjoncture aussi opportune pour donner principe à satisfaire  à sa charge de missionnaire apostolique. Dans les quelques jours qui manquaient à ladite fête, il composa un sermon dans le langage du pays, en honneur de la Vierge Marie, prenant en considération le mystère sublime de l’incarnation du Verbe Divin, et dans la matinée de la même solennité, il se rendit à l’église susnommée, à une distance de plus de quatre milles. Là-bas, il assista à la messe solennelle, et après le chant de l’évangile, il  prononça son sermon, en présence de tout le clergé et du peuple. Il en recueillit un fruit bien grand, ayant été l’un de ceux qui avaient voix de la vertu, laquelle, pénétrant par l’oreille, arrive jusqu’au cœur des auditeurs ; aussi, se termina-t-il, non seulement par un vain applaudissement au prédicateur, mais bien plus, par leur componction. Tout cela fut reconnu aux effets, puisque du prêche, les maronites se rendirent compte que notre père était un homme de Dieu, comme il avait la poitrine pleine de l’Esprit, qui se diffusait tellement dans ses paroles. Aussi, plusieurs le choisirent-ils comme directeur de leur propre conscience, de leur vie, et des exercices spirituels auxquels ils se dédièrent sérieusement. Il s’appliqua lui, d’assez bon grès, à leur administrer le sacrement de pénitence, et à leur enseigner l’exercice de la piété et des vertus chrétiennes, soit dans des sermons publics, soit dans des exhortations privées. Et cela, dans deux objectifs : premièrement, pour avoir jugé  convenable, dans ces débuts, de capter la bienveillance des maronites, et de les attacher aux religieux de notre Réforme, sachant que la pieuse affection est un moyen pour les induire à exécuter les salutaires orientations des directeurs des âmes ; car, aux dires des théologiens, elle est une bonne disposition pour attirer les hommes à embrasser les mystères de la foi catholique et s’y engager. D’ailleurs, se voyant offrir une très abondante moisson, il réfléchit à l’immense pénurie d’ouvriers  évangéliques, puisque, en ce temps-là, aucun couvent de religieux mendiants n’était, encore,  fondé au Liban ;[37] et au surplus, dans les quarante, entre terres et villages qui s’y trouvaient, pouvait-on, à peine,  trouver quelqu’un, même médiocrement instruit, qui pût y exercer l’office de curé et y fût habile à prêcher la parole de Dieu, et enseigner les ignorants et les gens de la campagne. Il lui paraissait, entretemps, s’avérer les paroles du prophète Jérémie, ‘’ les petits réclamèrent du pain et il n’y avait personne pour le leur rompre ‘’ ; c’est-à-dire, les ignorants réclamèrent  la nourriture de la parole  de Dieu, pour être animés  à œuvrer vertueusement ; et, en l’absence de maîtres spirituels, ils n’étaient pas instruits des mystères des Ecritures Divines. Emu de cette pieuse affection, il voulut, durant la prochaine Semaine Sainte, bien qu’il fût seul, faire de son mieux pour célébrer les fonctions  de ces jours saints. Auparavant, dans les jours précédant le jeudi de la Scène du Seigneur et l’institution du très Saint Sacrement de l’autel, il se consacra à écouter  les confessions, souffrant en cela la plus grande incommodité qui puisse être imaginée. Arrivé le jour susnommé, ils reçurent, tous, le saint sacrement de l’Eucharistie. Celle-ci demeura  exposée au sépulcre, durant toute la nuit suivante et la matinée. A l’exhortation de notre missionnaire, ils y assistèrent, à tour de rôle, comme il est de coutume chez les latins. Il ne manqua, non plus, que certains se donnent la discipline jusqu'à l’effusion du sang. D’autres montrèrent leur vénération par de nombreuses inclinaisons et prostrations qu’ils ne cessèrent  qu’épuisés et baignés de sueur. Il ne voulut, non plus, omettre la fonction sacrée du lavement des pieds, et l’exécutant avec une fervente humilité, notre missionnaire les lava à plusieurs donnant à chacun une dévote image, ou une croix ou une médaille. Tout cela fut exécuté, à la grande consolation et joie de l’esprit ; les maronites en restèrent émus, vu la nouveauté et la sainteté des rites sacrés. Notre missionnaire rejoignit son but, puisque dès ce jour et plus haut, ils augmentèrent de vénération pour les religieux de notre Réforme, et par conséquent, ils mirent à profit leurs salutaires orientations comme il nous conviendra d’en rapporter. 

Le jour suivant de la Résurrection du Christ notre Seigneur, le père Celestino alla à ‘’ la terre première ‘’ à laquelle, au temporel, notre couvent est sujet, pour célébrer avec les habitants, le très solennel jour, et les disposer à recevoir les saints sacrements de l’Eglise. Entre-temps, on lui fit savoir qu’il y avait parmi quelques-uns, des dissensions déclarées, et qu’ils y persistaient déjà depuis quelques mois ; s’en sentant très attristé, il s’appliqua immédiatement à remettre la paix. Il exhorta, en public et en privé, à se réconcilier dans la paix de la charité chrétienne, devise unique et propre de ceux qui professent l’Evangile. La paix étant l’hérédité laissée par notre Seigneur à  ses disciples et Apôtres, d’où tant de fois il la leur avait annoncée ;  personne, d’ailleurs, ne peut se réclamer du caractère et titre de chrétien, s’il nourrit la discorde. Terminé le sermon avec d’autres motifs efficaces et la messe solennelle, une  démonstration publique de réconciliation eut lieu ; puisqu’ils allèrent à la maison du chef principal du pays et, par un amiable échange, ils se souhaitèrent la fête tout heureux. Ils s’embrassèrent et, s’étant donné le baiser de paix, ils mangèrent tous, à une même table. Les félicitations déjà faites au père pour la concession du couvent furent renouvelées, et ils se réjouirent de ce qu’il avait choisi celui qui est voisin de leur terre alors que, de débuts aussi saints, on se promettait des progrès spirituels supérieurs. Heureux pour cela de voir les pères  établis, ils décidèrent de supplier le patriarche, à nouveau, de confirmer par un authentique écrit, le permis déjà accordé. Le patriarche répondit, de bon gré, à leur requête et, par une autorisation signée et régulièrement formulée, il réaffirma la possession donnée, en plus des autres facultés ajoutées.  

Ayant donné une aussi solide initiation à cette nouvelle résidence, et les festivités de Pâques terminées, il vint à l’esprit de père Celestino d’aller au Mont Carmel, visiter le père Prospero, vicaire de notre couvent. 

En décidant de réaliser ce projet, il avait deux buts : l’un pour s’entretenir avec ce missionnaire tellement accrédité et déjà marqué par l’âge, homme plein de Dieu, et qui l’avait soutenu jusqu'à ce moment, puisqu’il ne doutait point de recevoir, de sa prudence plutôt divine qu’humaine, des conseils salutaires pour promouvoir ce qui était déjà commencé. En cela, il était tout à fait sagement humble de ne pas se confier, dans une œuvre aussi importante, au service de Dieu, à son propre sens ; l’Esprit Saint conseille de ne pas s’appuyer sur sa propre prudence. Et en plus, pour lui demander quelque mobilier à fournir à la nouvelle résidence, poussé par l’extrême absence de tout le nécessaire et convaincu de le recevoir du charitable serviteur de Dieu. Parti en voyage, il parvint à Sidon où, par un bonheur inexplicable, il rencontra le père Basile de saint François, déjà fondateur de notre maison de Bassora et missionnaire de très célèbre renom. Ce dernier se trouvait en compagnie de Michele Condoleo ;  étant parti de Babylonie sur Damas, peu de jours avant, il était arrivé à Sidon, en vue de visiter le saint Mont Carmel, et profiter de quelque navire pour repasser en Europe, ayant été substitué au procureur de notre mission de  Perse. Etant amis depuis belle lurette, la rencontre fut des plus joyeuses à désirer,  s’entendant parfaitement dans la vertueuse propension à promouvoir les missions, et coopérer au salut des âmes. Ils s’entretinrent de tout cela avec grand  plaisir, échangeant mutuellement ce qu’ils avaient opéré au service de notre Seigneur et à l’exaltation de la foi. Immense fut la joie de père Basile, à la nouvelle de l’établissement déjà fait de la résidence du Mont Liban, mu d’un certain espoir qu’il allait être de grand profit spirituel à la nation maronite, en extrême pénurie de sages maîtres pour la direction des âmes, comme on vient de l’indiquer. D’accord, également, dans le dessein de visiter le saint Mont Carmel, ils y montèrent ensemble. Accueillis avec beaucoup de joie et  de bienveillance par le père Prospero, ils entrèrent à la chapelle de la très Sainte Vierge et, prostrés devant l’image sacrée, ils lui rendirent grâce pour sa favorable protection ; et le susnommé père Vicaire, exultant d’une joie intérieure, entonna, à haute voix, l’hymne Te Deum Laudamus. Poursuivant tous, avec des expressions de tendre consolation, ils ne purent retenir leurs larmes. Ils retrouvèrent, là-bas, deux marchands français, originaires de Marseille, qui y étaient parvenus, deux jours auparavant, au retour du pèlerinage sacré à Jérusalem. Les marchands étaient exceptionnellement affectionnés à cette sainte Montagne, reconnaissant dans ses vestiges, encore en ruines, combien Dieu, aux siècles révolus, fut glorifié par une multitude de religieux, et déplorant la désolation qu’on y voyait, effet de la barbarie turque et  de la superstitieuse secte de Macometto. Ils n’étaient pas moins édifiés par l’exacte observance régulière qui s’y observait par nos religieux, bien qu’en nombre réduit, de l’austérité, la vie retirée et l’exercice de l’oraison vécus. Le père Prospero était particulièrement admiré de tous ; il superait tout le monde en mortification et vertu, nullement inférieures à celles des plus célèbres et anciens ermites de la Nitrée et Thébaïde. L’un des susnommés français, exalté par la sainteté du lieu, et la conversation édifiante des pères, avait décidé de satisfaire à sa dévotion, en s’y attardant plusieurs jours, le calme de la  solitude silencieuse se révélant être plus recherché que les divertissements bruyants des villes surpeuplées. Saint Jérôme appela celle-ci prison, et celle-là paradis terrestre. Le père Celestino écrit, dans son rapport, de cette même exacte observance régulière et de l’austérité de la vie pratiquée par nos religieux ; mais, en ayant déjà parlé en son propre lieu, il ne convient pas de le répéter. Nos deux pères, Celestino et Basile, recréés, plutôt, par une spirituelle consolation de l’âme que par le repos du corps, le premier manifesta au père Prospero, les objectifs pour lesquels il s’était transféré au Carmel, et il en reçut des salutaires conseils et promesses d’être aidé pour autant que le lui permettait sa pauvreté. Entre-temps, on avisa le père vicaire que, le père Thomas et deux autres de nos religieux étaient parvenus à Chypre et que, de là, ils s’embarqueraient pour la Syrie et la Palestine. A cet avis, le père Celestino décida de partir, le jour suivant, pour la Ptolemaïde. Et cela parce qu’il voulait regagner le Mont Liban en compagnie des deux susnommés marchands qui étaient déjà partis pour visiter Nazareth et le Mont Tabor. Par contre, le père Basile qui s’était plu beaucoup dans la solitude du Carmel, et dans l’exacte observance du couvent, voulut y rester les dix jours des exercices spirituels auxquels, chaque année, nos religieux ont l’habitude de se consacrer. Et en plus de cette coutume, il désirait, par ce recueillement, se préparer à son long voyage en Europe. Cela étant, le vicaire voulut aller, le jour suivant avec le père Celestino à Ptolemaïde, et là-bas, gardant quelques objets sacrés pour son couvent, il en donna quelques-uns à la résidence du Mont Liban, parmi lesquels, ce qui immédiatement servait au sacrifice de la messe, avec d’autres pauvres ornements pour l’église. Il lui donna, également un peu de livres et quelques rares ustensiles pour les religieux. Sa charité, non satisfaite de tout cela, il le pourvut d’une bonne aumône pour le voyage. Ayant fait cela, il voulut, le même jour, retourner à son couvent du Mont Carmel ; aussi, bien que vieux et extenué de souffrances et de fatigue, il marcha plus de vingt-cinq milles. Tellement était ardent, son désir de se cacher dans la solitude, et la ferveur de s’exercer à  l’observance régulière. En partant, il recommanda chaudement le père Celestino, au procureur séculier du couvent, afin  de le pourvoir et de le régaler, aimant pour soi la rigueur et exerçant avec le prochain la tendre affection d’une mère. Le père Celestino s’y arrêta pour cette seule nuit ; et le matin suivant, il partit, avec les marchands susnommés, sur Sidon, distante de Ptolemaïde deux journées de voyage. Etant arrivés à la distance d’environ neuf milles de Sidon, ils rencontrèrent le père Thomas de saint Joseph, le père François de Jésus et frère Avertano, convers, dont nous avons déjà annoncé la venue. Ils allaient au saint Mont Carmel puisque, notre père Paul-Simon de Jésus Marie, Préposé Général de ce temps-là, avait envoyé le père Thomas, son visiteur général, au Carmel et, soit lui, soit le frère Avertano, devaient, au terme de la visite, se fixer dans notre résidence d’Alep. Le père François avait été destiné à la résidence du Mont Liban, à laquelle il désirait s’amener immédiatement avec le père Celestino. Néanmoins, s’enquérant de ce qui était le plus expédient, ils déterminèrent qu’il poursuive son voyage avec les autres et qu’il aille au saint Mont Carmel ; aussi, avec de tendres embrassements de charité, ils se séparèrent. Le père Celestino rejoignit Sidon, et poursuivant son voyage, il parvint à Tripoli. Là-bas il retrouva, également, deux autres de nos missionnaires qui rentraient des Indes, les pères Charles et Thomas qui y attendaient l’opportunité de s’embarquer pour l’Europe ; ils avaient été déviés du voyage direct par lequel ils devaient passer par Alep, à cause d’une raison d’importance. Exerçant dans cette ville, la charge de douaniers, les hébreux sont persuadés que les venants des Indes portent sur eux-mêmes des diamants, comme il arrivait parfois, et dont on s’est servi chez nous autrefois ; aussi, à cause de l’avidité douteuse du gain, avec des manières qui ne manquaient pas de violence importune, rudoyant les passagers, et parfois surtout les religieux, persuadés qu’ils voulaient, sous la pauvreté professée, pratiquer le transport de ces pierres précieuses dont profitent les marchands pour leur propre bénéfice, en se dérobant à la paye de l’énorme taxe. Nos missionnaires, voulant  échapper à si insolentes vexations, s’amenèrent directement à Tripoli. D’autant plus, que de cette diversion, ils se trouvèrent joyeux de la rencontre de père Celestino ; les retrouvailles inattendues de ses propres frères bien aimés, sont tellement heureuses dans des pays aussi éloignés, tellement la charité est plus forte que l’amour de la chair et du sang. Le père Thomas désirait aller à Jérusalem pour visiter et vénérer les lieux saints, habituellement vénérés par les pèlerins ; pour ce voyage, il avait non seulement l’autorisation, mais aussi, l’argent nécessaire, et, sous les menaces de la chaleur de l’été, il pria le père Charles de partir avec lui, le plus vite possible, pour la Ptolemaïde ; vu qu’à partir de cette ville ou du saint Mont Carmel, dans un voyage de trois jours on parviendrait à Jérusalem. Son compagnon répondit à son désir de bon gré ; ayant déjà, lui, lors d’un premier voyage au Levant, visité ces lieux, et voulant s’arrêter au saint Mont Carmel jusqu’au retour de père Thomas, ils partirent, donc, le jour suivant ; et pour montrer leur propre affection à la nouvelle résidence du Liban, ils firent don au père Celestino, d’un tapis pour s’en servir pour l’église. Ayant, en outre, quelques ustensiles de cuisine supplémentaires, qui avaient servi durant le voyage ; les voyageurs aux pays les plus éloignés, sont tenus d’emporter avec eux, non seulement les provisions alimentaires mais aussi  le matériel nécessaire à les cuire ; ils les lui abandonnèrent pour être déjà, tout près, de rentrer en Europe. Les ayant reçus avec beaucoup de remerciement, le père Celestino se prépara au retour au Mont Liban, en ayant une excellente conjoncture. Puisque, les deux susnommés marchands français, avec qui il était parti d’Alep et qui, rentrés du pèlerinage de Jérusalem, devaient regagner la même ville, ils voulurent, avant d’y retourner, visiter le Mont Liban. Etant parvenus au couvent de Canobin et s’y arrêtant pour un seul jour, comme nous l’avons dit plus haut en rapportant les nouvelles de cette Montagne, il partit pour son couvent de saint Elisée qu’il rejoignit sur la fin de mai, courant encore l’année 1643. Autant, il se réjouissait en pensant aux débuts heureux de la nouvelle résidence et au fait de savoir combien il allait être profitable à la direction spirituelle des âmes, autant il s’attristait à se voir encore seul et insuffisant à satisfaire  au surplus  qui était requis, soit à la réparation  de la maison, soit aux fonctions visant la culture et le salut des âmes. L’habitation devait être réduite à une forme, au moins en quelque sorte, proche des concepts de notre Réforme, et être fournie des ustensiles indispensablement nécessaires ; et se retrouvant dans une solitude, entouré de pauvres gens, il n’avait pas les moyens de le réaliser. Il ne pouvait, également, s’y mettre personnellement, le retenant occupé longtemps ceux qui avaient recours à lui pour se confesser, pour recevoir conseil, et la direction spirituelle des âmes. Les jours de fête, la charité et la charge de missionnaire l’obligeaient à leur prêcher la parole de Dieu et leur administrer les sacrements, non seulement dans sa propre église, mais aussi dans les terres et villages des environs vu que, dans certains de ceux-ci, il n’y avait aucun prêtre ; aussi, notre missionnaire s’y rendait-il pour célébrer la messe ; et il fallait porter sur soi tout le matériel nécessaire. Il entendait pareillement les confessions de ceux qui voulaient recevoir la sainte Eucharistie et d’autres qui mettaient l’occasion à profit. 

Se rendant compte de la nécessité de les instruire dans la piété chrétienne, il leur disait un sermon, immédiatement après l’évangile, ou bien à la fin de la messe. Après les vêpres, il faisait réunir  les enfants et les personnes le plus ignorantes pour leur dévoiler les mystères de notre sainte foi, leur enseignant ce qui était nécessaire pour obtenir le salut éternel. Quand il y avait des malades, il allait leur rendre visite, les consoler et leur donner des conseils spirituels et ainsi, il les disposait à se confesser. Il faisait de même avec les pauvres et les affligés, et si jamais il y avait des inimitiés, parmi quelques-uns, il s’efforçait, par toute manière, de les ramener à l’entente. Il ne se fatiguait pas moins pour arracher certains abus pernicieux et parmi ceux-ci, il y avait  le fait de différer, quelques mois, le baptême des enfants, invoquant pour cela, des excuses frivoles. Déjà, nous l’avons dit plus haut, Léon X les avait réprimandés et ordonnés de ne pas différer le baptême jusqu’au quarantième jour, comme ils en avaient l’habitude, c’est pourquoi, ils paraissaient retenir encore quelques vestiges de cette antique erreur.  

Contre ceci, notre missionnaire s’écria ardemment, soit en public soit en privé, le reprouvant pour être contraire aux canons et aux coutumes de l’Eglise Romaine, et parce qu’ils exposaient les enfants au grave danger de se perdre éternellement, étant à cet âge aussi tendre, sujets à mourir. L’ayant exagéré avec son habituelle ardeur d’esprit, il remarqua que l’abus était émondé en grand partie ; c’est pourquoi il s’anima d’autant plus à l’extirper radicalement. Il prit à cœur, pareillement, de les induire à corriger une autre habitude dépravée. Et ceux-ci autant que les autres Orientaux, comme nous l’avons écrit dans la Mission d’Alep, ont l’habitude, fréquemment et pour toute légère raison,  de jurer ou proférer en vain le très saint nom de Dieu ; et ils conservent à l’état adulte, d’autant plus enracinée, une habitude aussi irrévérencieuse vers Dieu, parce que dès leurs plus tendres années, ils s’y accoutument, les enfants l’apprenant de leurs propres parents[38]. Notre missionnaire remarqua, par conséquent, qu’il lui fallait se fatiguer beaucoup pour l’enlever, se souvenant que les Apôtres n’avaient pas pu délivrer ce jeune homme possédé du démon pour le motif que, dès l’enfance, il s’était emparé de son corps, et cependant, le pouvoir tout puissant de Jésus-Christ l’expulsa. Dans ce but, en ses entretiens publics ou privés, il leur démontrait combien cette habitude était détestable, et combien dangereuse pour les faire tomber dans le grave péché du parjure ; et ils ne furent pas rares ceux qui mirent à profit ses salutaires  avertissements en se corrigeant de cette mauvaise habitude et de l’abandonner totalement. Il n’est pas donné de moyen plus proportionné et efficace pour induire les chrétiens à la réforme des mœurs dépravées, que la fréquentation des sacrements, veines à travers lesquelles leur sont communiqués la grâce du Rédempteur, et le culte de sa très Sainte Mère qui l’obtient par ses très puissantes intercessions. Sur ces deux points surtout, il  se donna beaucoup de peine. Du premier, il en reconnut le grand besoin, étant non peu négligé des maronites, puisque nombreux sont ceux qui, deux ou trois fois l’année se confessent-ils et reçoivent-ils la Sainte Eucharistie. Notre missionnaire détesta une aussi pernicieuse négligence à se valoir de remèdes tellement salutaires laissés par Jésus-Christ à notre nature infirme et couverte de plaies par le péché ; et il leur démontrait, par quelle abominable ingratitude, ils répondaient à ce divin bienfait. Ses paroles ne furent pas vaines, aussi, en grand nombre, se confessaient-ils et communiaient-ils une fois le mois, alors que d’autres, appliqués plus sérieusement au commerce de leur éternel salut, fréquentaient souvent les Saints Sacrements. En ce qui concerne le second, les maronites étaient bien disposés, étant éduqués à la dévotion envers la très Sainte Vierge. Ceci est manifesté par les nombreuses églises et les nombreux autels dédiés, depuis les plus anciens temps, en son honneur, et un jeûne particulier dont on parlera un peu plus tard. Profitant donc d’aussi bonnes dispositions, notre missionnaire donna d’abord, à plusieurs qui le demandèrent spontanément, le saint scapulaire de Notre-Dame du Mont Carmel, leur enseignant les prières,  récitées habituellement par les confrères, pour acquérir les indulgences accordées par les souverains pontifes, et les devoirs qu’ils ont pour jouir de l’insigne protection de la Vierge même. Il introduisit également la majeure fréquence de réciter le rosaire de la glorieuse Mère de Dieu, leur prescrivant les manières particulières de le réciter dévotement ; et, à sa grande consolation spirituelle, il vit son culte répandu, plusieurs récitant, chaque jour, la troisième partie du rosaire, ou son chapelet. Notre missionnaire, voulant, en outre, réparer l’ignorance de ces pauvres gens, obligés à l’exténuant travail des mains et surtout à celui de la campagne pour se nourrir, sous les violentes extorsions des Turcs, il traduisit, en langue arabe, quelques prières appropriées de la Sainte Eglise à la Mère de Dieu, s’avisant qu’en comprenant le sens des paroles, ils les réciteraient avec une affection majeure.  D’autant plus que chez les maronites,  la messe, encore, et autres prières publiques ne sont pas récitées en latin, suivant, eux, le rite de la Syrie. Parmi les susdites oraisons furent particulièrement la Salve Regina,  le Sub tuum praesidium, ses litanies[39] et autres prières semblables. Il arrivait donc qu’ils les récitaient plusieurs fois durant le jour et, d’une façon particulière, dans les malheurs, les dangers et les afflictions. En vue de les enflammer dans la vénération de la Vierge, tous les samedis de l’année, dans sa propre église, il introduisit qu’on chante solennellement en langue arabe les litanies de la Vierge Marie, et il faisait de même, lors des grandes solennités de l’année, dans les autres églises, quand il allait y célébrer la messe et prêcher. La même sainte coutume fut adoptée par les maronites avec un grand profit spirituel, car elle fut, grandement, répandue parmi eux. Cette nation, ayant également, de temps immémorial, la coutume d’offrir à la Sainte Vierge beaucoup de prostrations, de jeûnes, d’aumônes et autres exercices dévots, et de même, de s’obliger par des vœux à sa particulière vénération alors que notre missionnaire, par ses exhortations et ses fonctions sacrées, les eut enflammés en son culte, ceux-ci se multiplièrent. Les maronites retirèrent tout cela et autre utilité spirituelle, de notre fervent ouvrier de l’Evangile ; ce profit augmenta quand d’autres missionnaires arrivèrent pour l’aider, comme on le dira.   

Cependant, on ne peut aisément expliquer combien furent graves ses souffrances du temps où étant seul, et il le fut pendant de longs mois, il se vit obligé de satisfaire à tout ce que nous avons rapporté. Très fréquemment, soit dehors soit à l’intérieur de sa résidence, il se retrouvait privé de n’importe quel secours et nourriture ; surtout, durant ses continuelles et fatigantes occupations d’âme et de corps, alors qu’il avait à parcourir les villages de son entourage, partout où l’appelait le besoin spirituel des âmes. Cela n’arrivait pas rarement puisque, comme on l’a dit, il y avait tant de villages qui n’avaient pas de prêtre.  Et ceux où il y en avait, ils étaient presque tous mariés et obligés à maintenir la famille par le travail des champs. Les évêques n’en étaient pas exempts. Ils pouvaient, peu ou du tout, s’adonner au service des âmes. Il arriva donc, et ce ne fut pas rare, que notre missionnaire, à son retour de ses fonctions à sa résidence, grandement extenué et à jeun, de ne trouver autre chose à manger que pain et olives, des herbes crues, macérées dans du vinaigre, ou du lait acidulé et longtemps conservées. Il en faisait afin de n’être pas contraint à perdre du temps pour allumer du feu et y cuire sa nourriture. Et quel que soit le sujet que nous traitons, je n’ai pas à omettre de le relater, afin de mettre en relief, combien fut pénitente la table de notre missionnaire ; et avoir pu souffrir, sans une aide particulière du Seigneur, une aussi austère façon de vivre ; et combien ses nombreuses et fatigantes occupations demandaient que sa nourriture fût meilleure et de plus grande consistance.  

Les habitants de la Syrie, et particulièrement ceux qui vivent à la montagne,[40]ou hors du pays, ont l’habitude, donc, au début du printemps, de cueillir, quand ils pointent, les tendres surgeons des arbres, de térébinthe en particulier. Ils font de même, des premières pousses de diverses herbes qui naissent à la campagne. Cela fait, ils les plongent dans l’eau afin que, macérées, elles abandonnent l’âpreté de leur propre saveur. Les lavant ensuite et les essorant diligemment, ils les assaisonnent avec du sel et lait acidulé, ou mieux avec du vinaigre ; ils les mettent, ensuite,  dans des vases en terre cuite, où elles se conservent pendant longtemps. De la même manière, ils assaisonnent quelques espèces d’origan vert, fenouil, rave et autres racines d’herbes forestières. En en faisant provision, ils les ont toujours prêtes pour en offrir aux hôtes selon la diversité des temps, vu que, durant les jours où sont interdis les produits laitiers, ils offrent de celles assaisonnées dans le vinaigre.  Cet usage est, en particulier, propre aux couvents religieux, l’hospitalité[41] y étant observée avec plus d’exactitude, d’où, à n’importe quel hébergé, ils offrent cette nourriture. Pour telle raison, ils en ont toujours une abondante provision, d’où, à n’importe quelle heure on y va, ils peuvent en donner à huit ou dix personnes. Par ce pauvre présent, sans être obligés de leur faire attendre la cuisson de la nourriture, ils estiment avoir satisfait à l’hospitalité tellement vénérée chez eux. Ceci également, comme nous y avons fait allusion, formait fréquemment tout le menu de notre missionnaire, d’où, chacun reconnait combien était-elle austère sa mortification, alors qu’une telle nourriture pouvait très peu restaurer les forces abattues du missionnaire épuisé. Il se plaisait pourtant, lui aussi, à se conformer aux maronites en cette nourriture, en faisant provision pour ceux qui lui rendaient visite. En cela, elle est digne de considération une aussi céleste politique, observée par le serviteur de Dieu, malgré ses extrêmes peines, ayant appris de l’éminent missionnaire apostolique et docteur des gentils, saint Paul, à se conformer à tous, pour acquérir tous à Dieu. 

Se faire au goût des autres, pour des raisons d’intérêt temporel, est digne de blâme ; le faire, par contre, pour coopérer au salut des âmes est méritoire de beaucoup de louange[42]. Pendant le temps où il fut, particulièrement, seul, sachant ne pas donner d’embarras aux compagnons, notre missionnaire s’efforçait, en tout ce qui est permis, de se conformer aux maronites dans leurs coutumes vertueuses ; pour cela, outre l’hospitalité déjà mentionnée, cette nation étant habituée, durant les jours du jeûne, à faire beaucoup de prostration, il n’omettait pas de les imiter. 

Les mercredis et vendredi, les maronites ne mangeaient pas d’œufs et de produits laitiers par abstinence prescrite, lui aussi s’en abstenait. Jeûnant eux, pendant quinze jours avant les fêtes des saints Apôtres Pierre et Paul et de l’Annonciation de Notre-Dame, il observait les mêmes jeûnes, pratiquant de même l’austérité du jeûne quadragésimal déjà décrit ailleurs. Il ne se comportait pas ainsi, quand il avait avec lui quelqu’un de nos religieux, observant avec eux ce qui est prescrit par notre institut et l’Eglise Romaine, soit parce que, n’étant pas vu des  maronites, le but prétendu par lui cessait, soit parce qu’il estimait que ses compagnons n’étaient pas tenus à suivre son exemple. Mais si quelqu’un voulait, spontanément, s’accommoder aux habitudes des maronites, il jouissait de le servir à majeure édification, en observant non seulement ses propres jeûnes mais les leurs aussi. De cette façon de se conformer à la nation maronite, il s’ensuivit que beaucoup d’entre eux se prirent d’affection pour notre Padre et s’entretinrent avec lui, avec plus de confiance. Le patriarche, également, pour la même raison, et toujours plus confiant en lui, le chargeait de beaucoup de missions graves et lui déléguait d’amples facultés sur ses sujets ; aussi, pouvait-il encore administrer les sacrements qui, selon les canons sacrés, reviennent aux seuls curés ; et lors des fêtes les plus solennelles de l’année, il l’invitait à prêcher en sa présence. Quand il lui arrivait, parfois, de diminuer les facultés à certains missionnaires, il déclarait ne pas inclure le père Celestino dans sa restriction. Et il ajoutait vouloir qu’il jouisse de cette exemption privilégiée, car il le comptait parmi les fils de sa nation maronite, et parmi les plus fidèles et zélés défenseurs de son siège patriarcal. De cette affection sincère au père Celestino et aux religieux de notre Réforme, l’attestation la plus manifeste et autorisée fut l’authentique écriture par laquelle, sous forme de bulle ou d’instrument, il accorda la possession du couvent de saint Elisée au père susnommé et à ses successeurs ; sa teneur, traduite du latin dans notre italien, est comme suit. (‘’Mais il était déjà temps que notre missionnaire, quasi opprimé par les nombreuses et grandes occupations de sa charge, ait reçu quelque réconfort ; et à le lui donner, arriva à la veille de la Pâque de Pentecôte, à notre résidence du Liban, le père Thomas de Jésus’’) Georgio Amira, de par la Divine providence, patriarche d’Antioche, à tous ceux qui verront nos présentes, bénédictions et salutations sempiternelles dans le Seigneur. 

L’année 1643, le onzième jour de mai, comparurent en notre présence Abu keiruz, Principal de la terre de Besciarrai, et le plus ancien Hanna ; avec eux il y avait le diacre Odom et sciamas Joufet fils de Sciaqut, et autres habitants du pays de Besciarrai. Ils nous ont présenté la lettre de leur communauté Besciarrense, demeurant en la cité d’Alep. Tous les susdits, et également les habitants à Alep, demandèrent, par un sentiment unanime, comme chose de leur volonté spontanée, que le père Celestino de sainte Ludvina, religieux carme déchaussé, et tous les autres qui seront religieux carmes déchaux  de la Congrégation de saint Elie et de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge du Mont Carmel, habitent au couvent de saint Elisée, situé au Mont Liban, tout près de la susdite terre de Besciarrai. Ils convinrent tous également que les susnommés religieux, pour leur majeure paix et tranquillité, ne doivent pas s’immiscer dans l’administration temporelle et les rentes du prénommé couvent ; mais, seulement s’appliquer au culte de sa Divine Majesté, au service de l’Eglise et aux autres exercices spirituels qui leur sont prescrits par leurs Règle et Constitutions, et soient totalement occupés à promouvoir la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ils pourront, cependant, construire, à leur gré, dans le même couvent ; mais ils ne devront, en aucune manière, reconnaitre les ministres et percepteurs des Turcs, ni payer les charges (ragipesi), ou impositions, comme tributs au Sultan, touchant la même terre de Besciarrai ou n’importe quelque autre charge imposée à la même terre. De tout ce que nous avons dit, nous faisons appel, en témoignage, à Dieu le meilleur et le plus grand. Déjà nous avions donné notre autorisation et notre bénédiction patriarcale à tout ce que nous avons rapporté, et de nouveau, nous voulons que les susnommés religieux habitent, à perpétuité, au susdit couvent ; et ordonnons que personne ne leur cause aucune gêne. Que personne ne s’oppose à leur habitation dans le même couvent ou les contrarie, ou qu’il ait l’audace ou présomption, sous n’importe quel prétexte, de les expulser ; leur dessein étant de coopérer au culte du Très-Haut, au salut du peuple et à la construction du couvent. En foi de tout cela, nous avons délivré la présente, scellée  de notre cachet et soussignée de main propre. Donnée au Mont Liban, en notre monastère de Canobin, le onze du mois de mars[43], 1643.   

Par l’émission de cette bulle patriarcale, la possession du couvent de saint Elisée resta totalement confirmée à notre Réforme ; et le fait de ne pas avoir accordé la domination des propriétés tournait en avantage de nos missionnaires, restant pour cela exempts des perturbations et extorsions des ministres macomettani. Il manquait seulement que quelque notre missionnaire vienne soulager le père Celestino presque totalement écrasé par les nombreuses et graves occupations de sa charge, et par la grande gêne qu’il souffrait à cause de l’extrême pauvreté et besoin de tout le nécessaire. Le Seigneur ne tarda pas à le consoler puisque, peu de jours plus tard, y arriva le père François de Jésus,[44] c’est-à-dire, la veille de la Pâque de l’Esprit Saint laquelle, cette année-là, tomba le vingt-trois de mai. D’une lettre écrite de cette Montagne, il est évident qu’il a été religieux de notre province de Genova. Ce nouveau missionnaire apporta au père Celestino, non seulement une grande joie, mais un plus grand soulagement. Puisque, outre qu’il était religieux d’éminente vertu et fervent esprit, sa Divine Majesté l’avait doté de multiples et industrieuses manières pour l’accommodation décente et propre de la maison et de l’église. Pour cela, dans une pauvreté quasi extrême, il faisait briller le décor, enrichi de la seule beauté de la disposition harmonieuse et du partage ajusté. Les jours de fête, il ornait l’église avec la seule pompe d’une exquise propreté, par laquelle elle apparaissait d’autant plus considérable, que la simplicité ressemble à la pureté de l’esprit. Profitant de la même habileté dans l’arrangement de la maison, il divisa, avec quelques nattes composées de cannes fines, quatre petites cellules, pour la réduire en forme d’habitation religieuse. Aussi, les séculiers, entrant à l’église et à la maison, admiraient-ils, dans cette pauvre propreté, l’esprit des fondateurs des religieux dont toute la pompe des couvents était estimée violation profane de la pauvreté  évangélique professée des religieux. Ils s’affectionnèrent pareillement à notre Réforme qui, à l’imitation des anciens, prescrit à ses religieux de se régler aux mêmes ordonnances. La maison et l’église étant arrangées, autant que ces débuts le permettaient, les deux missionnaires ne furent pas moins soucieux de l’observance régulière. Ils établirent celle qui est prescrite par notre institut aux maisons d’études, où l’on est dispensé de la récitation de matines à minuit, et s’accordèrent sur son exacte satisfaction. Les heures canoniques étaient récitées à temps fixe, et avec les pauses propres aux maisons susdites, comme s’il s’agissait d’une nombreuse communauté de religieux ; et ils se réunissaient pour les deux heures quotidiennes de l’oraison mentale. Ils avaient fixé une partie du temps de chaque jour pour le consacrer à l’étude de la langue arabe, ne pouvant, sans celle-là, satisfaire à la charge de missionnaire. Les dimanches, ils s’entretenaient de ce qui était considéré opportun au profit des âmes et, en particulier, ils traitaient des cas de conscience, pour ne pas tomber en erreur dans le ministère du sacrement de pénitence, dans les conseils qui leur étaient demandés, et dans les doutes qu’on leur proposait. Tout cela ne les dispensait point du service de la cuisine, puisque n’ayant pas de frère convers, et voulant épargner les dépenses en engageant un séculier, ils la faisaient à tour de rôle, à chacun une semaine.  Lors des fonctions externes comme missionnaires, pour lesquelles ils allaient dans les villages des alentours, pour autant qu’il était possible, ils ne se séparaient pas l’un de l’autre, mais ils l’exerçaient ensemble afin que, avec l’aide mutuelle, ils réussissent plus profitables et plus exempts de danger, se rappelant que pour une raison semblable, le Seigneur Jésus envoya ses disciples à prêcher, deux à deux. De cette exactitude de l’observance régulière, de ce mode d’agir, cauteleux et charitable, il se fit chez les maronites une grande conception de la sainteté de notre institut, et étant promptement servi dans les besoins spirituels, on ne peut exprimer combien ils en étaient édifiés, et avec quelle révérence ils se comportaient envers les deux missionnaires ; et cela servait merveilleusement à ce qu’ils profitassent d’une façon majeure de leurs salutaires orientations. Etant toujours vrai, que l’estime du maître se reflète en valorisation de la matière, l’esprit humain raffiné embrasse le plus splendide du génie. Alors que, heureusement, la résidence établie tendait au profit spirituel des maronites, la fête de notre père saint Elisée, titulaire du couvent, allait être célébrée le 14 juin, c’est pourquoi, nos missionnaires se préparèrent à la solenniser ; et à défaut d’apparat somptueux, ils décidèrent de lui substituer le profit spirituel des âmes. Aussi, convient-il de savoir que les maronites, et en particulier les habitants de la terre voisine de Besciarrai, cultivent une intense dévotion à ce saint prophète et ceci, soit pour être natif du très vaste pays de la Syrie où Abelmeula, sa propre patrie, est située, étant connaturel aux hommes de vénérer de plus, ceux dont la sainteté qui les orne, apporte une nouvelle splendeur au propre pays ; soit parce qu’une telle dévotion fut léguée aux maronites par nos ermites carmes habitants du Liban et fils de l’esprit du saint prophète. Aussi, arriva-t-il, que beaucoup de cette nation affirmèrent, à notre père Celestino, s’être réjouis au maximum, que l’ancien  couvent de saint Elisée ait été remis aux carmes déchaux qui reconnaissent comme fondateurs de leur propre Ordre, les saints prophètes Elie et Elisée, cependant que beaucoup d’églises ont été élevées au Liban en honneur de ces saints. Ladite dévotion est aussi attestée par le nombreux concours de gens venus participer à sa fête ; et en celle-ci, le père Celestino, par un sermon dit à sa louange, les enflamma à le vénérer. Notre missionnaire rapporte aussi, à son intercession, le fait d’avoir enfin conduit à sa fin son dessein ; et pour se la mériter, dès qu’il commença à traiter de la fondation de cette résidence, il s’était obligé, par un vœu, à jeûner à pain et eau en sa vigile, et il l’accomplissait ponctuellement. Pour se montrer pareillement reconnaissant, il fomenta chez les maronites la même dévotion, et il la vit grandement favorisée ; puisque, dans leurs nécessités et dangers, ils avaient recours au saint prophète ; et pour se rendre dignes de profiter de son intercession, lors de sa fête, ils se confessaient et recevaient la sainte Eucharistie. Quelques-uns, pour obtenir quelque grâce, s’obligeaient par vœu à lui vouer des hommages particuliers. D’autres, l’ayant invoqué avec confiance, pour leurs malades et autres grâces particulières, après avoir récupéré leur santé et le bienfait demandé, ils lui offraient de l’huile pour la lampe, de la cire, de l’encens ou quelque parement pour son autel selon les possibilités de chacun. Ceux qui, également, du Mont Liban, partaient sur Alep, avaient l’habitude d’offrir quelque don à l’église du saint ; mais puisque cette dévotion, ainsi qu’on est en train de rapporter, s’était quelque peu profanée, nos missionnaires s’employèrent à extirper l’abus introduit. On doit aussi savoir qu’outre ladite fête, on en célèbre une chez les maronites, en honneur du même saint, telle que celle qui est propre de ce couvent, introduite de temps immémorial, au douzième jour d’octobre. Pour cette fête, un office propre est assigné, assez long, composé avec un rite particulier et de multiples louanges au saint, et ils ont l’habitude de le chanter. De même est instituée une solennelle et nombreuse procession dans laquelle quelques reliques de saints sont portées. A cette fonction suivait le dîner, pour lequel on dépensait les rentrées du couvent, y participant tout au plus, quelques centaines de personnes. Pourtant ce banquet n’est pas aussi plantureux à requérir une dépense exorbitante, puisque outre le pain, la nourriture qu’on apprête pour tout le monde est la suivante. Ils prennent trois ou quatre brebis ou chèvres, et divisées en quatre parties, elles sont déposées dans quelques chaudrons où ils  bouillent toute la nuit jusqu’à ce que la viande soit séparée des os. Etant ainsi cuite, on y met du blé épluché, en proportion, et ceci, se mijotant et se mélangeant à la viande désagrégée, se condense sous forme de soupe qu’ils appellent Harise[45]. Ils l’estiment une nourriture délicieuse et elle forme le plat principal apprêté en cette solennité comme en d’autres de l’année, et lors des funérailles publiques. Personne ne fait exception à cette même nourriture, comptant ce geste de charité à mode de suffrages pour le repos du défunt. Habitude, à peu près semblable en usage en Europe, qui consiste à distribuer une soupe plus ordinaire. Comme il n’y a pas d’œuvre aussi sainte fut-elle, que la malice humaine, sous incitation de l’astuce diabolique, ne puisse dépraver, nos missionnaires s’avisèrent que beaucoup de gens se rendent à cette deuxième fête par avidité de cette nourriture appréciée des maronites plus que par dévotion à notre père saint Elisée, ils décidèrent de faire de leur mieux pour améliorer la coutume introduite, et l’échanger contre la nutrition spirituelle de l’âme. Pour cela, voyant beaucoup de monde s’y rendre, le jour précédent et avant le coucher du soleil, ils récitaient les litanies et autres prières vocales. Ils leur disaient quelques sermons familiers dans lesquels ils leur racontaient la vie des saints à la fête desquels ils s’étaient rendus ; ils leur proposaient leurs vertus et les incitaient à les imiter. Par un autre sermon, dit durant la vigile de la fête, ils les exhortaient à se confesser et recevoir, le jour suivant, la sainte Eucharistie, leur enseignant ainsi, la véritable manière de célébrer les fêtes ; à être modérés dans le manger, à ne pas se divertir dans des vaines réjouissances, mais à imiter les vertus des saints. En ce dessein, les fêtes ont été ordonnées par la sainte Eglise, pour épurer sa propre conscience par le sacrement de pénitence et nourrir l’âme avec le divin sacrement de l’autel. Leurs temples matériels sont ornés pour rappeler à ceux qui s’y rendent que les temples spirituels des âmes des fidèles ne doivent pas être moins ornés. Cela étant, ils se mettaient à entendre leur confession, et à grandes peines, ils s’employaient, durant la majeure partie de la nuit, afin qu’ils soient prêts à communier le matin suivant. Durant le temps également de la messe solennelle, l’un d’eux prêchait en honneur du saint ; et par ces manières, non moins saintes qu’industrieuses, ils obtenaient que cette fête fût  célébrée, ainsi que les autres, avec l’esprit propre aux vrais fidèles. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils interdirent que ladite nourriture soit donnée. Le père Celestino relate, à ce propos, un événement particulier, auquel il n’attribue pas le titre de miracle, bien que persuadé, vu les circonstances, qu’il fut une grâce particulière obtenue du Seigneur, grâce à l’intercession de notre père saint Élisée. Quelques jours avant la fête, qui était célébrée en octobre, la femme du gouverneur du Mont Liban tomba gravement malade. Ne rapportant aucune amélioration, à la suite des remèdes appliqués par les médecins, ils eurent recours aux divins. A cet effet, ils envoyèrent appeler le père Celestino en vue d’écouter la confession de la malade. Notre missionnaire y alla, et l’ayant confessée, il l’encouragea à recourir, avec beaucoup de confiance, au Seigneur par l’intercession de notre père saint Elisée, dont la fête était toute proche. La malade s’exécuta de tout son cœur et s’obligea, par un vœu à Dieu et au saint Prophète, que si elle recouvrait la santé, de coopérer avec son argent à célébrer la fête du saint à laquelle manquaient environ dix jours. La guérison suivit le vœu, à l’étonnement du médecin, et on estima que l’intercession du saint y avait collaboré. Aussi, aux frais du gouverneur, fut-il préparé pour ladite fête, un plantureux banquet. Le concours des gens des alentours fut supérieur à l’ordinaire, ayant été prévenus par la nouvelle de la grâce obtenue. Aussi, la fête fut-elle célébrée avec plus de joie et de profit spirituel des âmes, ayant été plus abondant  le nombre de ceux qui se confessèrent et communièrent, et plus abondante l’aumône dispensée aux pauvres, et non moins accrue la dévotion à l’égard du saint. La veille de sa fête célébrée, comme nous venons de le dire, le 14 juin, les deux missionnaires de cette Montagne avaient reçu une grande consolation spirituelle, ayant été rejoints par le père Basile de saint François que, là-haut, nous avons laissé au saint Mont Carmel où il attendait l’opportunité de quelque navire faisant voile vers l’Europe, voulant se transférer à Rome pour avoir été élu en remplacement du procureur de nos missions en Perse. Mais, ayant attendu, en vain, pendant deux mois, la commodité de s’embarquer, il décida de quitter le Carmel pour aller au Liban, non pas pour y rester, mais pour le visiter et passer de là en Europe. Il s’y arrêta, néanmoins, pour un mois, non point sans un très grand profit aux maronites. Le père était très versé en langue arabe, ayant été fondateur de notre  maison de Bassora en Arabie ; et, y étant resté pour de nombreuses années, il n’avait pas moins de connaissance des mœurs des chrétiens orientaux à cause du long temps durant lequel il avait exercé la charge de missionnaire. C’est pourquoi, pendant les quelques jours qu’il y resta en bonne santé, il  acquit grandement l’affection des habitants du Liban ; il s’y dépensa beaucoup pour le salut de leurs âmes et aussi fut-il, d’eux- mêmes, intensément désiré et prié de rester en permanence, mais pour la raison susnommée il ne put leur faire plaisir. Les maronites s’en attristèrent beaucoup, et leur déplaisir devint bien majeur pour la grave maladie qui lui survint. Le mal croissant, le chagrin des deux pères Celestino et François ne fut pas moindre, craignant sa mort. Tout en l’assistant de toute leur attention, ils étaient  grandement édifiés des actes de ses exemplaires vertus. Faute d’aide médicale dans cette solitude, de soulagement d’aliments et  de remèdes proportionnés à son mal, et dont il aurait joui dans d’autres couvents, il souffrait en toute humilité et résignation admirables ; il était heureux, qu’il lui soit offert l’exercice et l’expérience de sa pauvreté religieuse. Un certain prêtre maronite qui s’était affectionné à lui, venu le visiter durant cette maladie, lui fit cadeau de quelques-uns de ses premiers fruits ; et bien que le présent apparût tout à fait inconvenable à son infirmité, néanmoins, notre Seigneur s’en servit pour répandre sa bénédiction, d’où il résulta être un remède salutaire pour son mal. Parmi ces fruits, il y avait quelques petits melons,[46] assez supérieurs et plus salutaires que ceux de notre Europe, et pourtant les maronites ont l’habitude d’en apporter aux malades. Le malade les accepta avec des expressions de grande joie ; et étant don du charitable prêtre, il se persuada que la Divine Providence les lui envoyait pour le guérir. Aussi, bien que beaucoup eurent-ils jugé qu’ils lui apporteraient une aggravation du mal, il voulut y goûter ; et à la stupéfaction de tout le monde, il s’améliora immédiatement, et dans peu de jours il retrouva la santé. N’ayant pas encore récupéré ses forces, et à défaut, de nourriture convenable pour le remonter, au Liban, il partit avec le père Celestino sur Tripoli.  Là-bas, avec une nourriture  appropriée et salutaire, il réacquit des forces suffisantes pour poursuivre son voyage et  partit sur Chypre, d’où il s’embarqua pour l’Europe et nous, déjà, écrivant le récit de la mission du Saint Mont Carmel, nous le vîmes y mourir dans la charge de vicaire de ce couvent, s’avérant ainsi la prédiction de notre père Prospero, et réalisant son désir de mourir sur cette Sainte Montagne. Quelques jours après le départ de père Basile arriva au Liban, sur la fin de juillet de la même année, père Paul de Jésus Marie. Celui-ci était membre de notre province de Paris, et dix mois auparavant, père Paul-Simon, Préposé Général de notre Réforme, l’avait envoyé comme missionnaire à Alep, ensemble avec père Bruno du Sacré-Cœur de la même province ; les exemples et les orientations de cet héroïque ouvrier de l’Evangile l’avaient grandement favorisé ; et s’appliquant d’une façon assidue à apprendre la langue arabe, il y avait fait un si grand progrès que, comme nous en parlâmes plus haut, avant le départ de père Celestino pour fonder la résidence du Liban, c’est-à-dire, en six mois, il avait réussi à prêcher en cette langue ; un miracle tout à fait singulier et qui fit s’apercevoir, clairement, qu’il jouissait de quelque participation à ce don que l’Esprit saint, de toute plénitude, communiqua aux saints Apôtres. Cependant, pour la posséder il n’avait point omis le zèle le plus attentionné, puisque à Alep, il prêchait en sa langue française maternelle à la chapelle du consul du Roi très Chrétien, en en remportant beaucoup de louange, il ne suspendit jamais l’étude de cette langue orientale pour s’y rendre mieux préparé à la conversion des infidèles et  la formation des chrétiens orientaux plus nécessiteux de ses enseignements. Il employa, également, l’ardeur de son esprit  apostolique pour réduire à l’obéissance de la sainte Eglise Romaine les schismatiques, et détromper les hérétiques. Du fait d’avoir converti l’un de ceux-ci, je garde un souvenir certain, et l’événement  fut comme je me mets à le rapporter. Un certain français de la famille Estoile  fut à Alep mais, de passage seulement, puisqu’il voulait se transférer en Perse où demeurait l’un de ses frères qui, par le moyen du trafic mercantile, avait amassé beaucoup de richesses. Ils étaient tous deux infectés des erreurs de Calvin, hérésiarque d’abominable mémoire. Il lui arriva, toutefois, de s’arrêter à Alep pour être tombé gravement malade. Le mal s’aggravant, on désespérait déjà de son salut corporel et, afin que son âme ne périsse éternellement, quelques missionnaires d’autres Ordres qui demeuraient dans ladite cité, firent l’impossible pour l’amener à la connaissance de la vraie religion. Mais le malheureux hérétique entêté, persistant dans ses erreurs, déçut leur espérance de le convertir. Père Paul, toutefois, ne désespéra point d’en remporter victoire, et voyant l’état du malade empirer, il supplia le Seigneur, avec des prières ferventes, d’illuminer avec les lumières de la véritable connaissance, l’esprit de l’hérétique et  briser d’un coup de son bras, tout puissant, le cœur pétrifié du calviniste en prêtant à sa langue une pénétrante efficacité. De cette manière, confiant dans son assistance, il parla au malade, il lui démontra les duperies de sa doctrine erronée, et le Seigneur daigna le disposer à la détestation de son hérésie. L’ayant abjurée, et professé la religion catholique, il le  réconcilia avec l’Eglise ; et lui ayant administré les sacrements, il le vit expirer avec certains indices de son éternel salut. L’acquisition de cette âme, beaucoup plus précieuse qu’un monde, l’encouragea à des entreprises plus distinguées. Quand il lui parvint l’ordre de notre Préposé Général de se transférer au Mont Liban soit pour se perfectionner en langue arabe, soit pour se consacrer à la formation des maronites, le serviteur de Dieu obéit promptement, préférant la volonté des supérieurs aux nombreux applaudissements dont il jouissait dans la cour du Consul de France ; et, en y allant de bon gré, il rencontra  de graves dérangements qu’il prévoyait souffrir dans la nouvelle résidence du Mont Liban. Il écrivit tout cela dans une lettre originale datée du Mont Liban le huit août de cette année, 1643. Etant arrivé aux environs du début du mois susnommé, peu de jours suffirent pour le rendre fort aimé des habitants de cette Montagne. C’étaient ses manières, dit le rapport, toutes diffuses d’une douce placidité et d’humble civilité, il traitait tous ceux qui recouraient à  lui avec un affable sérieux, il les formait avec des orientations salutaires. Il avait une façon singulière de consoler les affligés, encourager à souffrir les difficultés et à enseigner les ignorants. On ne doutait point de l’éclat qu’il aurait rendu à  la splendeur de la nouvelle résidence, et de sa grande coopération au profit spirituel des maronites. Mais, qui peut sonder la profondeur des dispositions divines! Alors que, d’aussi heureux débuts, on espérait beaucoup de grandes réalisations et, dans sa saine et robuste constitution aucun signe n’indiquait qu’il allait manquer de sitôt, un mois à  peine s’était écoulé depuis son arrivée quand, au début de septembre, un brusque flux de sang commença à  lui retirer ses forces ; le mal, au lieu de cesser, s’accrut minant sa vigueur naturelle. Réfléchissant, dans cette solitude, soit au manque d’assistance médicale, soit à  l’absence de tout remède capable de lui redonner des forces, le malade pria père  Celestino de lui permettre de se transférer à Tripoli où trouver tout le nécessaire pour se soigner. En ces jours-là, père Carlo qui, durant le triennat précédent, avait exercé la charge de visiteur général, et qui du Carmel, où il avait en vain attendu l’occasion de s’embarquer  pour l’Europe, s’était transféré au Liban, fut consulté à ce propos par père Celestino et, avec son approbation, il l’envoya à Tripoli avec père François de Jésus. Ils partirent le cinq septembre à la tombée du jour, et arrêtés pour la nuit suivante au village voisin, le matin bien tôt, ils reprirent le voyage et parvinrent à Tripoli avant la montée des chaleurs. Ils allèrent immédiatement parler au médecin qui était français et natif de Marseille, il était à la fois chirurgien et spécialiste comme il était de coutume dans les pays orientaux. Il habitait alors dans ce qui était appelé Camp des Francs[47], c’était une habitation assez grande construite à la manière des cloîtres religieux avec de nombreuses chambres soit au premier soit à l’étage supérieur et séparées entre elles. Celles- ci étaient louées aux marchands et gens de passage. Dans le même camp et dans une chambre voisine à lui, le médecin le fit héberger et s’appliqua de toute son attention à le soigner. Pourtant ses soins ne lui profitèrent point puisque, deux jours après, ils se rendirent compte que son mal avait empiré et, se manifestant assez en danger, ils décidèrent entre-temps d’envoyer aviser père Celestino et l’appeler pour assister le malade. Père François partit dans ce dessein laissant le malade aux soins des pères Capucins. Il voyagea à grande rapidité, et au huitième jour du mois susnommé, il atteignit la terre d’Eden. Par une inspiration particulière du Seigneur, le père Celestino s’y était transféré pour  prêcher la fête de Notre-Dame, puisqu’elle y était célébrée en grande solennité par les habitants qui y participent en grand nombre, aussi, reçu-il l’annonce avec beaucoup plus de rapidité que s’il avait été à la résidence saint Elisée. Cela était requis pour une majeure consolation du malade pressé par la maladie déjà bien aggravée. Il prit le départ le même jour et arrivé à Tripoli, il retrouva le malade réduit à l’extrême faiblesse et presque  au bout de sa  vie.  Père  Paul se consola outre mesure de l’arrivée de notre missionnaire parce qu’ayant contracté avec lui une confiance particulière, il lui ouvrit toute son âme,  et s’étant confessé à lui, il s’occupa à se préparer à la mort imminente. Deux étaient les dispositions de l’infirme, dans la première, il s’offrait, avec une parfaite résignation, à l’accomplissement des vouloirs divins, acceptant de mourir avec une humble résignation, si le Seigneur l’avait décrété. L’autre exprimait le désir de recouvrer la santé dans le seul but de servir sa Divine Majesté et sa gloire avec plus d’ardeur, et de dédier tout le temps qu’il vivrait à la charge de missionnaire, et particulièrement, au Mont Liban. Il se voyait réaliser une particulière impulsion interne à s’engager dans la formation spirituelle des âmes des maronites et, espérant dans l’aide divine, de coopérer beaucoup à leur salut, ayant eu une preuve d’être satisfait de son service par la remarquable bienveillance démontrée à son égard dans le peu de temps passé au Liban, étant celle-ci, une disposition excellente à profiter de ses conseils spirituels. Mais, parce que le Seigneur avait disposé autrement, à l’extrême abattement de ses forces, lui survint un autre accident plus grave et fâcheux. Une douleur âpre et extrêmement piquante l’aiguillonnait au côté du cœur, aussi,  pour le soulager et alléger sa douleur le médecin lui administra une confection de jacinthe, et lui appliqua un autre remède pour le libérer des humeurs pernicieuses. Mais sa vigueur naturelle n’étant pas suffisante pour le supporter, il resta immobile au lit, de façon qu’ils le crurent mort. Mais les pouls le révélant encore vivant, ils lui administrèrent le sacrement de l’Extrême-Onction. Ce paroxysme le retint immobile pendant une demi-heure environ, après quoi, presque réveillé d’un profond sommeil, avec un visage illuminé d’une joyeuse sérénité, il ouvrit les yeux et les fixant vers le haut il s’exclama : «  Voici que je vois les cieux ouverts, je vois le soleil, la lune, les étoiles, je vois ma patrie à laquelle je m’en vais pour y jouir éternellement de mon Dieu. Oh combien sont aimables, O Seigneur des Vertus, nos tabernacles, déjà mon âme me manque de  l’ardent désir d’y être transféré. Ainsi, ce cerf assoiffé aspirait à s’abreuver et éteindre ses amoureuses ardeurs à la source de l’eau vive de son Dieu. Néanmoins, il voulut à nouveau accuser ses fautes pour recevoir l’extrême absolution sacramentelle pour y rendre l’envol plus libre vers la patrie tant désirée. Répétant, ensuite, des fréquents et fervents actes de contrition et d’amour de Dieu, il expira, placidement, laissant, dans ceux qui l’entouraient, une sainte envie d’une mort tellement vertueuse. Pour ensevelir le cadavre, il fallait en avoir une autorisation écrite du kadi ou  juge des Mahométans (aggravation dont sont exempts ceux qui meurent au Mont Liban et y sont ensevelis) et pour l’obtenir il fallait payer environ douze écus de monnaie romaine. Cet argent se le partagent les ministres des Turcs, la goinfrerie de leurs intérêts ne pardonnant point, même aux morts, aussi il fallut la satisfaire. Comme lieu de sa sépulture fut choisie l’église, dédiée depuis des temps reculés à l’Apôtre saint Thomas[48], église maronite, située à la distance d’environ un mille de la cité. Le défunt y fut transféré en cortège funèbre solennel, y participant en plus des religieux, le chevalier Consul de la couronne de France et tous les marchands de la nation française. Les obsèques célébrées, nos deux missionnaires s’en retournèrent au Mont Liban, fort attristés de la perte d’un si éminent ouvrier de l’Evangile. Heureux, cependant, de l’avoir vu mourir avec des signes certains de son éternel salut. Les maronites ne le pleurèrent pas moins, s’étant fort affectionnés à ses aimables manières non moins exemplaires de vertu et de douceur.


Hermitage Saint Michel, wadi Qannoubine

 

Troisième narration 

Cette mort de père Paul de Jésus que nous venons de rapporter, une autre l’avait précédée, faisant quelque peu douter, si cette résidence du Mont Liban n’allait pas être abandonnée, comme on le dira. Le vingt-sept juillet de cette année, mourut, dans notre couvent de Notre-Dame de la Scala, notre père Paul Simon de Jésus Marie alors qu’il exerçait, pour la troisième fois, la fonction de Préposé Général à laquelle il avait été élu au chapitre général de 1641. De cet éminent religieux, missionnaire et prélat,  j’ai écrit plusieurs fois, particulièrement dans la mission de Perse ; aussi, en ce lieu, seulement j’y fais allusion, comme ayant, sans aucun doute, surpassé tout le monde, à promouvoir les missions ; avant sa mort, il projetait d’en instituer d’autres, en particulier, une au grand Le Caire, célèbre et populeuse cité de l’Egypte, celle qui occupe la seconde place, parmi les plus célèbres villes en possession du Grand Seigneur. La nouvelle de cette mort parvint au Mont Liban à la suite de celle de père Paul de Jésus-Marie, et le père Charles qui s’y trouvait comme nous venons de le dire, et qui avait exercé la charge de Vicaire général, l’ayant entendu, se disposa immédiatement à partir sur l’Europe. Reconnaissant dans le père François de Jésus, une grave indisposition corporelle dont il se serait difficilement soigné au Mont Liban, avant de s’embarquer, il conseilla à père Celestino de l’envoyer à Alep afin de pouvoir y être soigné avec des remèdes appropriés. En s’attardant au Liban, ce dernier craignait d’encourir une sérieuse maladie et sa peur augmentait à l’idée de l’approche de l’hiver durant lequel, les rigueurs du climat lui seraient très nocives. Le subside nécessaire à l’entretien de deux religieux manquait ; aussi, la pénurie du temporel rendait impossible le soulagement du père fatigué. Le retenir, là-bas, mal portant, lui serait non seulement de nulle utilité, mais il lui apporterait une surcharge. A savoir que le père Thomas de saint Joseph, qui demeurait à Alep, avait été destiné au Mont Liban, avant la mort de notre Préposé Général, le persuada de ne pas manquer d’aide dans les multiples occupations de la nouvelle résidence. Le père Celestino ne répugna pas à ce sage conseil, et le père Charles déjà parti, il permit au père François de Jésus de partir sur Alep, et celui-ci, sur la fin d’octobre, se mit en route. Là-bas, il n’évita pas, avec le changement de climat, la grave maladie qui le menaçait au Mont Liban, vu qu’elle lui revint peu de temps après son arrivée. Les médecins s’appliquèrent à le soigner, et avec l’assistance charitable des pères de cette résidence, avec les remèdes profitables prescrits, notre Seigneur fut servi en lui rendant la santé. Il s’y attarda pour une année s’adonnant avec un infatigable zèle à se perfectionner dans l’apprentissage de la langue arabe. Après ce temps, il attendait d’être renvoyé au Mont Liban, mais le vicaire de cette résidence, pour quelques émergences graves, l’envoya à Rome en vue d’en traiter avec nos supérieurs. Etant donc parti, le père Celestino resta seul en sa résidence, se consolant avec l’espoir d’être rejoint le plutôt possible par le susnommé père Thomas. Mais s’attardant, et l’urgence faisant pression, le père Celestino lui écrivit, le sollicitant de venir lui apporter le réconfort nécessaire. La considération de la résidence nouvellement fondée s’était tellement accrue que les maronites y recouraient toujours en nombre plus grand pour y recevoir les sacrements et y être instruits dans la piété. Il convenait aux  pères d’aller dans les villages des alentours où les réclamaient les besoins spirituels des âmes, quelques villages étant privés de prêtres. Aussi, à ceci et à d’autres besognes, se sentait-il obligé par la charité du missionnaire, tout en réfléchissant à l’impossibilité de s’en acquitter tout seul. Le père Thomas était un religieux de grande vertu ; et, quant au zèle  d’ouvrier évangélique, il était très estimé, comme on le dira au moment où nous le verrons arrivé à cette résidence. Aussi, répondit-il qu’il était fort disposé à faire plaisir au père Celestino, mais ce qui le retenait à Alep c’est qu’il n’avait pas encore reçu l’ordre de partir pour le Liban bien que l’intention de l’y envoyer en ait été exprimée, précédemment, par le défunt Préposé Général. 

Il nourrissait l’espoir de quitter, bientôt, Alep pour le Liban, désireux d’y jouir, à nouveau, de la compagnie de père Celestino,  de profiter de ses exemples et, à son instar, s’enflammer dans l’accomplissement de la fonction de missionnaire. La mort, cependant, du Préposé Général retarda son désir ; ce dernier lui avait écrit qu’il pensait l’envoyer au Mont Liban,  mais il ne lui avait pas dit d’y aller ; il devait, par conséquent, attendre les dispositions du Vicaire général qui lui avait succédé à la direction. IL regrettait, entre-temps, intensément, de ne pas pouvoir aller lui rendre service, pensant qu’il était là- bas tout seul et oppressé par les occupations de sa charge. Il devait se consoler en réfléchissant aux dispositions divines, règles certaines de nos vouloirs ; et, entre-temps, suivre et exécuter ce que sa Divine Majesté lui inspirerait au plus grand avantage de sa mission. Par cette réponse, le père Celestino se vit plongé dans de graves angoisses. Il lui manquait le réconfort et l’aide de n’importe quel religieux, le subside en argent nécessaire pour se nourrir et pourvoir la résidence de tout ce dont elle avait besoin. Avec la menace de la saison de l’hiver, très rigide dans cette montage, il commença donc à tituber dans le dessein d’y persévérer, bien qu’il n’ait nullement résolu d’abandonner le Liban. Pourtant il se sentait peiné de l’avoir entendu de quelqu’un des nôtres ; et c’était celui-là même, dont il espérait le soulagement, qui faisait du tout auprès des supérieurs afin de les persuader d’abandonner tout à fait cette mission. Il décida pour cela, d’écrire une lettre à notre Vicaire général qui était alors le père Germano ; et de sa  lettre originale qui est assez longue, moi, j’en rapporte l’essentiel. En elle il reprenait, dès le début,  à rappeler l’objectif affirmé du défunt Général en l’envoyant fonder la résidence du Liban, à rapporter la mort de  père Paul, l’un des compagnons envoyés pour l’aider, le départ pour Alep de père François à raison de ses indispositions et le manque de tout subside. Il disait qu’il était resté seul et obligé d’avoir recours à un religieux maronite. Il avait entendu que quelques-uns jugeaient ne pas convenir de poursuivre cette mission, basant leur avis, soit sur l’incommodité du site, soit sur d’autres raisons. Pour ce qui  revenait au premier, il allait en envoyer un rapport fidèle, et, pour ce qui concernait le second, au terme de sa lettre, il leur proposerait et leur répondrait. Au reste, il était prêt à exécuter ce qu’ils détermineraient. Il leur signifiait, entre-temps, que s’ils décidaient de la soutenir, il convenait d’assigner à chaque missionnaire vingt écus annuels, lesquels ajoutés à sa messe quotidienne seraient suffisants, mais le subside susnommé est indispensable pour être contenu dans l’entente avec le patriarche. Il continuait à leur donner des informations à propos d’une autre affaire et poursuivait à les prier de satisfaire à une dette contractée au bénéfice de la résidence ; au moment de quitter Alep, il s’était servi de cinquante écus envoyés par son frère pour lui acheter quelques livres arabes ou syriaques manuscrits. Il concluait en écrivant ce qu’il pensait de la fondation d’une maison au grand Le Caire, que le feu Préposé Général lui  en avait révélé l’intention de  fonder. A la lettre, il avait joint le rapport sur le site dont il est question plus haut, et quelques raisons par lesquelles il essayait de persuader de la convenance de poursuivre la mission du Liban. En dernier lieu, il exposait et résolvait les arguments de celui qui pensait être opportun de l’abandonner, et moi (succinctement) je les traduis du latin. 

Il disait, en premier lieu, que la résidence du Liban ne pouvait être maintenue si l’on n’établissait pas un hospice à Tripoli, puisque les dépenses seraient multipliées alors que les rentes manquaient. Le père Celestino réclamait ouvertement la nécessité de l’établissement du dit hospice pour la commodité des religieux qui allaient et venaient ; il niait, cependant, que les dépenses se multiplieraient, étant donné que, dans d’autres voyages, nos religieux étaient obligés de passer par cette ville ; l’expérience avait démontré que l’on dépensait plus d’argent en l’absence d’hospice qu’en son existence. A Tripoli, les maisons se vendent à très bas prix, de manière qu’au prix de quatre-vingts écus, on pourrait en acheter une assez commode, une vaste habitation dans laquelle, l’hiver, la majeure partie des religieux pourraient y rester, alors que la mineure serait au Liban. Durant l’été, par contre, les deux maisons serviraient à une même communauté de missionnaires, ce qui équivaudrait à deux missions, ne manquant pas à Tripoli et dans les villages des alentours beaucoup de maronites, d’où la possibilité de s’engager dans la formation spirituelle de leurs âmes. Une raison de plus pour soutenir l’utilité de cet hospice, c’est la commodité de cette ville pour les  missions du Levant, puisque les religieux envoyés d’Europe pourraient immédiatement y aborder. On objectait, en second lieu, le fait que le Mont Liban est infesté de Druses, restes des Normands déjà possesseurs de la Terre Sainte ; on craignait fort que, à savoir que nos pères y ont un couvent, de leur causer des ennuis intolérables. Le père répondait que l’objection naissait de faux rapports ; ces peuples étaient calomniés ne s’étant jamais vérifié causer de tracas à aucun couvent. Dans d’autres rapports, il révélait que ceux-ci étaient en bonne entente avec les maronites[49] pour réprimer l’arrogance des Turcs ; et pour cette raison, ces derniers n’ont jamais pu s’emparer du Liban. Il disait qu’il avait lu une lettre du Prince des Druses écrite au patriarche, dans laquelle il lui promettait que personne de ses vassaux ne causerait d’ennuis ni aux couvents, ni aux individus religieux. Sans doute, les Druses  sont d’un penchant féroce, mais qu’ils n’en faisaient usage, que contre les Macomettani du fait qu’ils les haïssaient fortement, pour leur avoir, dans les siècles passés, usurpé la domination de la Terre Sainte ; aussi, ne cessaient-ils point de leur susciter des tribulations de la manière la plus hardie. 

Il ajoutait, en troisième lieu, que les couvents situés au Mont Liban, ainsi que toutes les institutions, en dehors de la ville, avaient des impôts relatifs à payer aux ministres du Turc ; et qu’ils étaient, souvent, obligés d’accueillir des hôtes et des passagers ; ceci exigeait par conséquent des rentes démesurées pour satisfaire, soit à l’avarice gloutonne des turcs, soit à satisfaire les hôtes. Le père Celestino ne cachait pas l’obligation de payer les susnommés impôts ;[50] il ajoutait, cependant, ne pas dépasser la somme de quarante écus et qu’on pouvait s’en acquitter avec les rentrées du couvent. Pour payer cela, on pouvait retirer cette somme des seuls mûriers et des vers à soie ;  il possédait, en outre, cent cinquante chèvres dont il recevait beaucoup de produits laitiers ; non moins abondantes étaient les récoltes de grain, des olives, et autres fruits. Ceux qui estimaient revenir aux religieux l’accueil et l’entretien des étrangers, se trompaient, vu que la charge de ceux-ci retombait sur le procureur séculier du couvent qui habitait dans la demeure contigüe à notre résidence, comme il a été dit là-haut ; et ensuite la dépense n’en est pas une grosse somme, puisque tout compte fait, on consommait, au couvent, environ cinq boisseaux de froment, chaque année. Quantité assez légère vue la récolte des champs que possède le couvent, qui recueillait de ceux-ci, à peu près, plus de cent. Il voulait par-là corriger la fausse estimation de celui qui enflait, tellement, les dépenses. Dans la quatrième opposition, on invoquait l’ennui que les religieux auraient reçu des maronites eux-mêmes, étant donné que, tourmentés par les extorsions des Turcs, ils étaient, en majorité, très pauvres, d’où ils auraient, fréquemment, demandé à emprunter de l’argent ;  à le refuser on risquerait d’essuyer leur malveillance qui causerait majeure inquiétude, alors que le leur accorder tournerait en grave embarras aux religieux ; ils ne pourraient le récupérer sinon au moment de la récolte, et en recevant des grains au lieu de l’argent. Et si jamais, sous l’injure de la saison, la récolte résulterait mince, ils resteraient exposés au danger de le perdre, obligés de le recouvrer par les moyens bruyants de la justice. Le père Celestino réfutait cette objection en exprimant son expérience, affirmant que très peu avaient demandé d’emprunter de l’argent et ceci avait été donné à un nombre mineur, et seulement  à l’approche des récoltes ; non plus en somme supérieure à ce qui était suffisant pour acheter le grain dont on avait besoin pour nourrir les religieux. Mais déjà cet ennui n’était plus à craindre vu que, presque tous les cultivateurs des champs, en une journée entière, et avec douze paires de bœufs auraient labouré et semé une grande partie de terrain dont on recueillerait du grain suffisant à la nourriture annuelle de quatre religieux. Par contre on lui avait promis de le pourvoir de tout le nécessaire, vivres et vêtements pourvu qu’il reste au Mont Liban. De cette façon, l’ardent missionnaire essaya d’éliminer tout empêchement à la résidence déjà établie. Il avait été parcimonieux de ses graves souffrances et le Prophète de dire : ‘’Ce qui est semé dans les larmes, est recueilli dans la joie ‘’ ; aussi, ne peut-il être perdu sans regret correspondant. Mais notre missionnaire fut exempt de cela, comme nous en parlerons, l’année suivante. Présentement, il est, à bon escient, de référer le récit soit du réconfort que, par d’autres voies, lui fut envoyé, soit de son œuvre alors qu’il était seul avec le religieux maronite. Il attendit, six mois, le père Thomas de saint Joseph. En ce temps-là, le prieur de notre couvent à Malte, était le père Isidore de saint Joseph, de nationalité flamande, et connu de moi, plus tard, dans la charge de Définiteur général ; mis au courant des détresses dans lesquelles se trouvait le père Celestino, il décida de satisfaire à un zèle ardent, toujours nourri, de promouvoir les missions. Aussi, lui envoya-t-il, non seulement, l’aumône pour sa messe quotidienne mais beaucoup de mobiliers servant à pourvoir cette résidence. Ayant eu le consentement des religieux de son couvent, il lui envoya un apparat complet pour la célébration de la messe, quelques ustensiles nécessaires aux religieux, et non peu de livres choisis, parmi lesquels figurait toute l’œuvre du docteur de l’Eglise saint Jérôme. 

Il poursuivit également son action charitable en le secourant avec d’autres aumônes en monnaie et mobilier. Il conserva la même affection envers cette résidence durant les années suivantes, ayant été élu et confirmé dans la fonction de Procureur général. Son inclination y contribuant, cette charge l’obligea à promouvoir, avec sollicitude, les missions ; il n’omit aucun soin, il n’épargna aucun industrieux effort pour satisfaire à sa charge. Il rechercha des subsides pour l’entretien des missionnaires, il les réconforta par les paroles et les incita à se dépenser ardemment dans la conversion des infidèles et le salut des âmes ; aussi, de par son infatigable et vigilante attention, se virent-ils bien favorisés. Moyennant ces aumônes généreuses et les subsides dont il fut aidé, le père Celestino, manquant de tout autre missionnaire, reprit grand courage pour s’adonner aux fonctions propres du missionnaire. Réfléchissant, cependant, à l’imminent hiver, tel que fut le premier de son séjour au Liban, il resta quelque peu perplexe à l’égard de la façon de se comporter pour coopérer au salut des âmes. Il craignait l’obstacle causé par les rigueurs du froid et l’abondance de la neige qui tombe dans plusieurs parties du Liban, durant ladite saison, et les rend impraticables. Ceci fait que quelques villages et terres de la Montagne seraient totalement abandonnés, et les habitants iraient à Tripoli où les rigueurs de la saison sont plus modérées. A leur instar, notre missionnaire pensait quitter le Liban, mais n’ayant pas, en ce temps-là, d’hospice propre dans ladite cité, il ne savait pas où se réfugier. Il ne s’attarda pas dans cette perplexité, les habitués du pays lui ayant dit qu’il pouvait rester dans son couvent de saint Elisée, peu touché par la rigueur de l’hiver et l’abondance des neiges autant que les autres parties de la Montagne. Car, protégé du vent du nord par les hautes montagnes qui dominent la vallée où il est situé, il jouissait, dans la même saison, d’un continuel aspect de soleil[51]. Leurs dires étaient confirmés par les nombreuses familles qui, des plus hauts escarpements de la montagne, descendaient dans la même vallée du couvent pour se dérober aux rigueurs excessives. Se fiant au témoignage de ces maronites, notre Padre décida de ne pas quitter son couvent et de coopérer  autant que possible au salut des âmes. L’expérience correspondit au témoignage précédent. Durant l’hiver suivant, en confrontation avec les autres parties de la Montagne, il y souffrit un froid tolérable et se réjouit plus encore en se rendant compte que l’hiver était le temps le plus opportun pour satisfaire à la charge de missionnaire: En raison de la neige et du gel, les maronites, ne pouvant s’occuper de la culture des champs, étaient plus libres de s’adonner aux exercices de la piété chrétienne. Notre missionnaire poursuivit à y rester durant les saisons suivantes de l’hiver, non seulement pour ladite fin, mais parce qu’il y jouissait de beaucoup de quiétude dans sa solitude, et s’en servit pour l’exercice de la contemplation divine. C’est pourquoi, à la façon d’une conque laquelle, se remplissant dans l’oraison de l’eau vive versée de la source de la grâce sanctifiante, épandait son excédent sur le prochain par les exercices de la vie active. Demeurer au couvent rendit, également, beaucoup de consolation spirituelle à notre missionnaire ; aussi, pendant de longs mois, à peine une fois, se rendit-il à Tripoli pressé par d’urgents motifs. La majeure commodité dont il pouvait jouir en ville ne l’allécha point à y demeurer ; ayant expérimenté les nombreuses distractions causées par le vacarme de la cité et l’abstention du service de sa Divine Majesté,  il expédiait ses affaires avec toute célérité et s’en retournait à la solitude de son couvent, où ne lui manquaient point les occupations propres à sa charge qu’il exerçait à majeur profit de son âme et de celle du prochain, vu que, non seulement, les jours des fêtes, mais aussi durant les jours de la semaine, les maronites s’amenaient à notre église,  pour se confesser et plus fréquemment recevoir la Sainte Eucharistie ; d’où l’offre d’une majeure opportunité pour les instruire, soit dans les mystères de la foi, soit dans l’accomplissement des commandements divins et l’exercice des vertus chrétiennes. L’affluence était plus nombreuse, les dimanches et jours de fête, pour cela, le matin, il leur disait un sermon, et après les vêpres, il leur dispensait le catéchisme, y participant non seulement les enfants et les jeunes, mais aussi les plus âgés, chantant, ensuite, les litanies de la très Sainte Vierge. Il s’était convaincu, d’après expérience, combien était grand le profit spirituel qu’offraient les dits exercices, la fréquentation des sacrements et les avertissements salutaires, quand sur la fin de l’automne, à l’entrée de l’hiver craignant qu’il ne voulût quitter pour la cité, où le froid était plus tempéré, instantanément ils le priaient de rester au couvent pour ne pas les priver de la consolation spirituelle et du fruit qu’ils rapportaient de la fréquentation de l’église. Durant les années suivantes, l’affluence des fidèles croissant, et les habitations voisines ne suffisant point à les recevoir, ils souffraient l’incommodité que suscite le fait d’habiter, nombreux, dans une même maison ; ils divisaient les grandes chambres avec des stores, préférant les souffrances et la gêne en vue du profit spirituel de leurs âmes. Les maisons, également, étant incapables de les recevoir, ils choisissaient plutôt d’habiter avec leurs familles dans les cavernes et les grottes des alentours que rester privés d’aussi fructueux et saints exercices. Notre missionnaire s’attendrissait face à si grande dévotion et, pour y répondre, il ne s’épargnait devant n’importe quelle fatigante œuvre pour coopérer à leur ardente piété. Cette dernière, servira, au dernier jour, de remontrance et faire rougir les chrétiens d’Europe qui négligent, au milieu de tant de confort, le profit spirituel de leurs âmes. Les maronites profitaient pareillement de la saison d’hiver durant laquelle ils étaient empêchés de vaquer au travail de la campagne, pour l’instruction de leurs enfants en les envoyant auprès de notre missionnaire, soit pour leur enseigner à lire et écrire, soit pour les éduquer aux mystères de la foi, et à cet âge tendre, imprimer dans leurs âmes les préceptes vertueux, n’ignorant pas le profit de les former dans la sainte crainte de Dieu. Notre Padre ne se fatigua pas en vain, puisque à l’âge adulte, plusieurs d’entre eux continuaient à fréquenter les Saints Sacrements, et poursuivant leurs exercices spirituels, s’ornèrent de mœurs vertueuses et servirent d’exemples aux autres. Une nouvelle splendeur s’ajoutait à la gloire du Liban, par ces exemples de perfection chrétienne ; et, étant parvenu à l’année 1644 qu’englobe notre narration, et pieusement persuadé que ses admirables vertus le(52) feront briller parmi les étoiles de l’éternité auxquelles sont comparés les justes, je ne dois pas négliger le récit de sa vie merveilleuse de sainteté. Et bien qu’il ne fut pas religieux de notre Réforme, néanmoins, avoir vécu, dans notre couvent de saint Elisée, en habit d’ermite, pendant quelques mois avant sa mort, me persuade qu’un tel récit n’est point étranger à mon histoire. En l’écrivant, je suis le comportement de deux de nos religieux missionnaires qui l’ont connu et familièrement traité ; ce sont le père Philippe de la Très Sainte-Trinité, dans la troisième partie de son livre intitulé «Decoro del Carmelo», et le père Celestino qui, dans son rapport sur cette mission et résidence, relate minutieusement les événements de sa vie sur trois chapitres entiers. Etant quelque peu prolixe je me retiens de l’enregistrer, cette gratitude étant due à celui qui, par son affection envers notre Réforme, vécut les derniers mois de sa vie dans ladite résidence et l’édifia par les exercices de ses vertus héroïques. Le récit de cette vie résulterait utile à susciter chez les lecteurs le dédain des vanités, pompes et plaisirs du monde, auxquels l’Evangile est préféré. La pauvreté, la mortification et l’abandon de tout le sensible, étant, celui-ci, un grand écueil pour atteindre le salut éternel, alors que, comme a déclaré Christ notre Seigneur, c’est la voie qui y mène ;  et, étant extrêmement étroite et austère, sont peu nombreux ceux qui y marchent.    (A qui revient ce pronom personnel ? La suite de la lecture révèle qu’il s’agit du saint ermite François de Chasteuil.  S’agit-il d’n creux dans le texte ?)  

Dans la province de France, située aux pieds des Alpes et Dauphiné et dont le nom est Provence, se dresse Aix, cité de titre archiépiscopal, et dans laquelle siège le Parlement[52]. Dans celle-ci naquit le Serviteur de Dieu, - j’ignore en quelle année - de la très célèbre famille de Gallup où son frère de Chasteuil remplit l’honorable charge d’avocat royal parmi les sénateurs du dit Parlement. Au baptême, on lui donna le nom de François, presque en présage d’imiter le séraphique saint dans le dédain de tout le temporel, l’une de ses plus éminentes vertus. La même prémonition se fit discerner durant les années de son enfance, puisque répondant à la vertueuse éducation de ses parents, il l’orna par de dévots exercices de piété chrétienne. Ayant appris, avec une diligente application, les lettres humaines, il s’appliqua à acquérir les sciences les plus nobles et, devenu excellent philosophe et mathématicien, il y obtint le doctorat. Ne se contentant point des sciences naturelles, il s’adonna à l’étude de la Sainte Bible, minière des plus hauts enseignements de la théologie sacrée. Pensant en outre, à l’instar de saint Jérôme, que pour une parfaite compréhension de ce divin livre, il fallait surtout la possession des langues grecque et hébraïque il s’adonna à leur étude et ajouta ce noble ornement aux sciences déjà acquises. Il poursuivit avec le même zèle, l’étude de la Sainte Ecriture et de la théologie positive et, lisant avec une attention infatigable ses exposants et commentateurs, il en retira une parfaite connaissance. C’est pourquoi dans le cas où il fut interrogé à propos des passages les plus difficiles de ce très profond livre, avec une admirable et facile clarté, il y satisfaisait en fournissant le sens vrai. Mais, doté de ces richesses d’esprit, sa soif d’en savoir plus ne s’assouvit pas, et de nouveau imitant saint Jérôme, il désira visiter les lieux de la Palestine et de la Terre Sainte où s’effectua notre Rédemption, et qu’il savait être profitable à une plus parfaite compréhension des Ecritures Saintes. Ce qui le poussait en outre à entreprendre ce voyage c’était le dessein d’apprendre, dans ces pays, les langues chaldéenne, syriaque et l’arabe, avec cela posséder six ou sept langues, le français maternel, le latin, le grec, l’hébreu, le chaldéen o syriaque et l’arabe, avec lesquelles, sur ce champ, il aurait égalé le grand docteur dans l’exposition des Ecritures Saintes. En vue de réaliser ce dessein, une coïncidence propice lui fut offerte, puisque en cette saison, le Roi très chrétien de France envoya, comme son ambassadeur à la cour de l’Ottoman, monsieur de Marcheville ; François ne perdit pas l’occasion, étant chevalier de naissance et orné de tant d’éminentes qualités et langues, fut admis par l’ambassadeur de très bon gré en qualité de l’un de ses familiers. Arrivé dans la ville impériale de Constantinople, il déplora l’état catastrophique de la puissance grecque écroulée laquelle, aux siècles passés, avait couronné la religion catholique d’étoiles de première grandeur par ses sujets fort saints et savants. Dans cette capitale, il reprit l’étude de la langue grecque et l’acquit avec une perfection majeure. De l’hébreu déjà acquis, il se servit pour débattre, avec les maîtres ou rabbins des hébreux, les textes de la Divine Ecriture, qui démontraient, ouvertement, leur vaine attente du Messie, celui-ci étant déjà venu et il n’est  autre que Jésus Christ. Aussi, dans quelques disputes enflammées, tenues avec ces gens perfides, il leur en remontra combien ils vivaient dans l’erreur. S’arrêtant pendant quelques mois dans cette ville, et ayant compati à ses temples magnifiques, et en particulier à l’auguste sainte Sophie, profanés en mosquées mahométanes, il décida de partir pour vénérer les lieux de Terre Sainte. Dans cet objectif, obtenu du Grand Seigneur, Amurât IV[53], un large sauf conduit, il partit pour ladite visite. Durant ce voyage il monta également au Mont Liban vers l’année 1630, et son premier dessein était d’apprendre la langue syriaque sur Giorgio Amira, alors archevêque de Eden, ensuite patriarche d’Antioche des Maronites, célèbre pour avoir promulgué en imprimé une grammaire de cette langue, livre qui fut hautement apprécié. Mais, sa Divine Majesté l’orientant vers un autre but, il entreprit un autre mode de vie plus parfait tout en satisfaisant à son dessein projeté. Séduit par l’agréable solitude de cette Montagne, il décida de s’y fixer pour le reste de sa vie ; et, en habit d’ermite, de s’adonner uniquement à la contemplation de l’Eternel. Pour cela, déposés ses précieux vêtements et vêtu d’un habit de pénitent, et congédiés ses serviteurs en leur distribuant son argent, il se retira au couvent de saint Jacques l’Interciso (découpé), à peu de distance de la terre d’Eden, et se soumit à la direction de Elia(55), moine maronite de l’institut de saint Antoine, s’adonnant avec une infatigable assiduité à apprendre la langue syriaque sous le magistère du susnommé archevêque ; il en profita jusqu'à la posséder parfaitement. Son application à l’étude de la perfection monastique ne fut pas moindre, à commencer par la mortification dont se purifient les débutants pour se rendre dignes des divines communications qui se diffusent seulement dans les cœurs purs. Bien qu’éduqué dans la délicatesse, il se prescrivit d’abord l’abstinence de la viande et, s’adonnant à plus de rigueur, il abandonna les produits laitiers et les poissons, se nourrissant seulement d’herbes, légumes et fruits secs ou frais selon la diversité des saisons. Du vin, il en buvait rarement, mettant en pratique ce que l’Apôtre a écrit à son disciple Timothée, quand il lui prescrivit d’en boire un peu, non par plaisir, mais pour soutenir la faiblesse de l’estomac. Allant plus en avant, il prenait un seul repas autour de midi, et persista dans ces rigueurs plusieurs années sans en excepter un seul jour. Il s’habillait de laine sur la chair nue, d’une autre tunique de tissu bas et grossier et d’un manteau. Il avait changé toutes les douceurs séculières. Assez plus graves furent ses souffrances, et ses abstinences plus rigoureuses. Quand les habitants d’Eden, suite à l’intolérable tyrannie des Maomettani furent obligés de l’abandonner(56), il se nourrit, pendant longtemps, de seul pain et eau, et il s’estimait s’asseoir à une table délicieuse quand il y ajoutait quelques noix et olives apportées par des étrangers. Il se retrouvait, parfois, dans une extrême nécessité, ayant manqué même de pain, d’où le Seigneur, compatissant son serviteur, l’en approvisionna d’une façon merveilleuse inspirant quelques maronites, habitant à la distance de six milles, de lui en apporter. Dans ces difficultés fort dures, sa constance insurmontable le fit tenir, n’ayant jamais voulu quitter l’emplacement choisi ; aussi, y persévéra-t-il l’espace d’environ quatorze ans. Au bout de cette période, le Seigneur prédisposa qu’il le change et se transfère à notre couvent de saint Elisée selon le mode que nous sommes en train  de rapporter. Le père François de Jésus, étant parti du Liban sur Alep, comme l’avons dit, et passé environ un mois depuis que le père Celestino était resté seul sans aucun de nos religieux, il arriva que deux notables des maronites du Liban vinrent lui rendre visite. Dans leurs entretiens, ils lui firent savoir que le saint ermite François, ( on ne l’appelait pas d’un autre nom), se trouvait dans les environs de Eden dans l’extrême besoin de tout le nécessaire, non seulement matériel, mais aussi spirituel, vu que tous les habitants  avaient abandonné leurs terres sous les insupportables et violentes vexations des Turcs. Il leur paraissait, par conséquent, un geste digne de sa charité, d’aller l’inviter chez lui, dans son couvent, où il jouirait d’une nourriture, non pas délicieuse, mais au moins suffisante. Ils ne pouvaient pas suffisamment admirer son héroïque constance et confiance en Dieu, sa quasi indiscrète mortification, alors qu’il persévérait dans un lieu, où il manquait précisément de tout le nécessaire. Notre missionnaire, qui était au courant des éminentes vertus de l’ermite, répondit que c’était un grand honneur pour lui de l’héberger dans sa résidence, mais il craignait, cependant, d’en être empêché par les habitants de Eden et ses environs, alors qu’ils avaient joui, pendant quatorze ans de ses salutaires enseignements, et admiré l’éminente perfection de sa vie. Cependant, il ne voyait pas convenable de les priver d’un si vivant exemple de saintes mœurs et spirituelle consolation sans le consentement du patriarche. Les deux maronites lui répliquèrent qu’ils se chargeaient, eux-mêmes, d’en traiter avec le patriarche et en obtenir l’autorisation. Ils s’offrirent, également, à vaincre toute opposition de ceux d’Eden ; et l’ayant effectué, les deux maronites et notre missionnaire s’accordèrent sur le jour où ils iraient l’inviter. Au jour fixé, ils s’amenèrent au susnommé monastère où il s’était enfermé et le père Celestino lui offrit son couvent et tout majeur confort que sa pauvreté et assistance pussent lui réserver. Connaissant l’extrême pauvreté dont il souffrait, il désirait grandement lui venir en aide, dans la seule récompense de profiter de sa sainte conversation. L’invitation fut vivement appréciée par l’ermite François, et avec beaucoup d’actions de grâces et d’humble reconnaissance du bienfait, il l’accepta. Ils se mirent d’accord cependant, sur le jour où il allait se transférer avec tout son mobilier. Ceci consistait en un très pauvre lit composé d’un seul matelas, d’une couverture et de trois caisses remplies, en grande partie, de livres, délices sacrées de ses études. Ce transfert s’effectua sur la fin de novembre de 1643. En route, l’ermite confia à notre missionnaire, avoir reconnu dans la proposition qui lui avait été faite, la singulière Providence de sa Divine Majesté. Il était sûr, en effet, de ne pouvoir survivre longtemps puisque, suite à l’extrême inanition, déjà ses forces extrêmement affaiblies, lui venaient à manquer. Pendant de longues semaines, il n’avait pas goûté ά quelque chose de cuisiné, il avait mangé seulement quelques morceaux de pain endurcis par le temps et très peu d’olives. Il reconnaissait, d’après quelques conjonctures et indices, que ce changement d’habitation était une disposition du Seigneur, vu qu’il avait été invité par des pulsions intérieures à changer de lieu. Il ne voulait  pourtant pas, lui cacher ce qu’il lui était arrivé quelques jours auparavant ; et il pensait qu’il ne  devait pas dédaigner comme un vain songe, soit pour en voir l’effet réalisé, soit pour ne pas être quelque chose d’inouï, que sa Divine Majesté avait daigné lui révéler pendant le sommeil, quelques futurs événements. Alors qu’il dormait, il avait vu un religieux vêtu de l’habit des carmes déchaussés lui dire d’une voix claire : ‘’  Que fais–tu là ? Lève- toi et viens avec moi ‘’. Cet incident accrut en lui l’impulsion d’abandonner ce lieu. Aussi a-t-il accepté de bon gré l’offre faite par notre père. A cette nouvelle, le père Celestino se réjouit fortement,  se rendant compte d’aller à la rencontre des désirs d’un ermite tellement vertueux, et surtout de concourir au bon vouloir de sa Divine Majesté. Ils arrivèrent à notre résidence tout joyeux, et plus joyeux furent les habitants de la voisine terre de Besciarrai et de ses environs pour la venue d’un homme aussi saint ; aussi l’accueillirent-ils avec une longue ovation. Une caverne près de l’église de notre père saint Elisée lui fut assignée comme habitation ; on disait qu’elle avait été la première habitation du même couvent, et qu’elle avait été la propre chambre de l’évêque. Elle en portait le nom parce qu’il y avait demeuré de nombreuses années. On constata, quand il mourut,  six mois après, que sa Divine Majesté  avait disposé qu’il soit venu à notre résidence afin de jouir d’une plus grande quiétude et pouvoir, avec plus de commodité, fréquenter les Saints Sacrements, et ainsi mieux se préparer à mourir saintement. Aussi le serviteur de Dieu ne négligea pas cette conjoncture propice à atteindre le salut éternel. Son emploi de temps le plus assidu fut l’étude et la méditation profonde de l’Ecriture Sainte. Rencontrant des passages d’intelligence plus difficile, il s’arrêtait à les méditer ; et pour en pénétrer le sens vrai, il priait humblement le Seigneur de l’éclairer. Pour se rendre digne de cette lumière divine, il lisait avec une grande révérence la Sainte Ecriture, gardant la tête à découvert, restant à genoux ou s’essayant à terre à la manière des Orientaux. Et puisqu’il y consacrait plusieurs heures, soit de jour, soit de nuit, trouvant son agrément à y méditer la loi du Seigneur, aussi lui arrivait-il de garder la tête presque  toujours découverte, non sans une grande souffrance, l’hiver battant justement son plein. Il lisait toujours l’Ancien Testament en langue hébraïque, il en avait trois exemplaires différents avec la Bible de Paganini. Il l’avait lue, plusieurs fois, du début jusqu’ à la fin, en y réfléchissant avec beaucoup d’attention. Cependant il lisait, le plus souvent, le Nouveau Testament en langue grecque, chaldéenne ou arabe, estimant être les plus fidèles. Avec la lecture assidue du texte hébreu il en avait acquis une grande pratique, aussi, pour n’importe quelle occasion offerte, il alléguait des versets entiers et des textes de l’hébreu, en gardant la mémoire pleine et prompte ; et dans le même idiome il récitait tout le psautier composé de cent cinquante psaumes. En traitant les passages difficiles de l’Ecriture Sainte il combinait les textes, expliquant l’un par l’autre. Il se faisait un devoir d’en lire les commentateurs ou exposants, les ayant déjà lus, avant de se transférer en Orient. Cependant, à toute difficulté de l’Ecriture Sainte, posée soit par nos religieux soit par d’autres, il était tellement prompt à répondre et à résoudre les plus embrouillées, de manière à étonner celui qui l’écoutait. Dans ses entretiens familiers, il déclarait, à propos de certains doutes expliqués, que l’exposition adoptée par lui, se retrouvait chez les saints Pères et chez d’autres exposants ; cependant, il ajoutait que d’autres passages resteraient sans explication, s’il ne l’avait, lui, déduite d’autres textes hébreux, auxquels il les avait confrontés. Tout cela fit que le père Celestino se rendit compte que l’ermite avait un riche trésor de notices rares et cachées ; aussi jugea-t-il  qu’il ne convenait pas de les laisser ensevelies, mais qu’un tel trésor devait être exposé pour le profit du public. Là-dessus, plusieurs fois, il le pria de vouloir le divulguer par écrit, afin que plusieurs puissent s’en valoir. Le serviteur de Dieu répondit qu’il nourrissait, depuis longtemps, un profond désir de l’effectuer, et qu’il avait décidé, au cas où le Seigneur aurait prolongé ses jours, de laisser à la postérité quelques-uns de ses commentaires et industrieuses expositions. Pour cela, il avait besoin de l’assistance de quelque écrivain bien versé en langues chaldéenne et hébraïque pour mettre par écrit ce qu’il voulait exprimer dans ces langues. Il avait, de même, insisté avec empressement auprès de père Celestino d’œuvrer en vue de faire venir d’Alep quelqu’un de bonnes mœurs et bien calé, car il aurait cherché, auprès de ses amis, assez d’argent pour le payer. Notre missionnaire ne s’attarda pas à le satisfaire ; et déjà, il s’etait mis d’accord avec un homme qui, par l’œuvre de nos missionnaires d’Alep, avait abjuré les erreurs d’Eutychès et Dioscures[54] et, avec beaucoup de zèle, il s’était dédié aux exercices spirituels. Il ne manquait pas d’une éminente compréhension des dites langues et il  les écrivait, en leurs caractères, avec la même perfection ; mais quand il arriva au Liban, notre ermite était déjà mort. Cependant, tout resta enseveli avec son cadavre ; car il était tellement assidu à la lecture et méditation de l’Ecriture Sainte, et ses forces tellement épuisées, qu’à grand peine s’obligeait-il à écrire de sa propre main, et rarement répondait-il aux lettres familières de quelques-uns de ses amis. Trouvant son agrément surtout dans cette méditation de la Sainte Ecriture, il était un exact gardien de sa cellule ; il n’en sortait, jamais pour se distraire en se promenant à la campagne, mais seulement pour une nécessité inévitable, et quand il devait aller à l’église. Bien que la saison fût très froide il ne quitta jamais sa cellule à la recherche du feu. Il ne parlait que très peu et rarement aux domestiques, aux étrangers seulement, quand il était obligé, et alors il s’en tirait à bref entretien. Dans cette retraite et ce silence rigoureux, il gardait sa conscience très nette ; et, néanmoins, il allait à confesse deux fois par semaine en plus des fêtes occurrentes, c’est-à-dire, le samedi et le dimanche, il se confessait et recevait la Sainte Eucharistie avec des sentiments de très tendre dévotion. Il poursuivit, également, durant les mois passés dans notre couvent, ses rigoureux jeûnes et abstinences qui étaient plus austères durant l’Avant et le Carême. Il renonçait tout à fait au vin ; les mercredis et vendredis il jeûnait au pain et à l’eau. Il ne consentit jamais à prendre quelque soulagement malgré les instances faites par le père Celestino, son confesseur, en raison de son extrême faiblesse. Durant le carême suivant, seulement les dimanches, et dans son unique repas, il admit une soupe d’herbes ou légumes, et les autres jours, au seuls pain et eau et fruits secs, renonçant encore aux fruits le mercredi, vendredi et samedi. Son lit était posé à même le sol, et à cause de la grande humidité, seulement, il se servait d’un matelas unique ; et il ne s’y posait à dormir que poussé par l’extrême besoin, se suffisant de trois ou quatre heures de sommeil. Par suite de cette austérité il s’était tellement épuisé que la pâleur de ses traits représentait le portrait d’un mort vivant. 

Arrivé à la fin du Carême, il lui survint une fièvre lente qui, dégénérant en fièvre hectique le consumait peu à peu. Le père Celestino s’en avisa ; et, prenant en compassion ses forces déjà quasi totalement abattues, il essaya de le persuader de se restaurer par une meilleure nourriture. Pouvoir sans scrupule manger des viandes, toutefois se contenter de tempérer, par quelque soulagement, l’excessive rigueur, et manger quelque soupe permise à tout le monde en temps de carême. Il répliqua, néanmoins, avec une constance aussi humble qu’invincible, et supplia notre père de ne pas l’obliger à interrompre son habituelle austérité. Déjà Pâques est tout proche, et il espérait que le Seigneur lui donnerait des forces suffisantes pour poursuivre son dessein. Il avait entrepris cette manière, aussi rigoureuse, pour le seul amour et inspiration de Jésus Christ et il était résolu à y persévérer jusqu'à la mort, aussi le suppliait-il de lui permettre de continuer son projet. Il dit tout cela avec une grande ardeur d’esprit que notre père, pour ne pas le contrister lui permit de poursuivre jusqu'à Pâques. En celle-ci, bien qu’il ait mangé des œufs et du laitage, il ne voulut pas goûter à la viande et au bouillon gras ; et avec cette mince nourriture il s’améliora quelque peu, mais il ne reprit jamais ses premières forces. Il était également tourmenté par une toux assez aigüe et véhémente, ce qui indiquait que la fièvre n’avait pas cessé, d’autant plus qu’à chaque amélioration, se considérant vigoureux, il reprenait ses rigoureuses abstinences. La fièvre lente et incessante, l’obligeait à garder le lit, bien qu’il fît pression sur lui-même, se sentant assez robuste dans l’ardeur de l’esprit plus qu’il n’eut la vigueur du corps affaibli. Cette ferveur le poussait, chaque matin, à rejoindre l’église, voulant assister à la messe ou bien la servir ; et la grande faiblesse faisant son affaire, et ne pouvant se tenir debout, parfois il y allait marchant, ou plutôt se trainant, à quatre pattes. Il garda cette flamme de l’esprit jusqu’ à la fin de sa vie, ne voulant point perdre la couronne promise seulement à celui qui persévère jusqu’au bout, comme on le dira bientôt.  

On remettra le récit de sa maladie et sa mort à plus tard, devant, auparavant, rapporter la consolation reçue du Seigneur, quelques jours avant son départ. Comme nous venons de le dire plus haut, le père Germano avait succédé au défunt père Paul Simon, Préposé général, sous le titre de Vicaire général, suivant la prescription de nos constitutions que le premier Définiteur prenne la place du défunt sous le titre de Vicaire. Cette mort fit craindre au père Celestino la prépondérance de l’opposition, de ceux-là qui jugeaient de l’inconvenance de persévérer dans la résidence du Liban. Pour cela, sur la fin de l’année écoulée, il avait écrit une lettre au susnommé notre Vicaire, dans laquelle il essayait de soutenir la résidence déjà établie. Nous l’avons rapportée plus haut, remettant à cette année le récit de son effet, et nous nous exécutons. Le susnommé Père, satisfait des motifs invoqués par le père Celestino, et suivant la voix de son zèle, vivement enclin à favoriser et promouvoir les missions, il décida par conséquent  de faire tout son possible pour venir en aide à la résidence du Mont Liban. Dans ce but, il ordonna que soit envoyé un subside convenable pour l’entretien des religieux. Il fit également peindre un grand tableau,[55] où était représentée la Sainte Vierge en train de remettre à notre père saint Simon Stock le saint scapulaire, les saints Prophètes et Fondateurs de notre Ordre, Elie et Elisée, et notre glorieuse Réformatrice, sainte Thérèse. Il l’envoya plus tard à notre résidence, chargeant les pères de l’exposer dans leur église. Il voulut pareillement réaliser le dessein du feu Préposé général d’envoyer au Liban le père Thomas de saint Joseph qui demeurait en notre résidence d’Alep, et il lui envoya la patente. De cet éminent missionnaire nous avons déjà donné une information, quand nous avons écrit sur la fondation de notre résidence d’Alep, et bien que le père Celestino, dans son rapport,  parle longuement de ses vertus uniques, nous le laissons tomber jugeant de son inopportunité. Je signale seulement qu’il avait été envoyé de Rome avec le père Prospero pour fonder notre résidence d’Alep et y avoir vécu, se soumettant, comme un novice, à l’esprit quelque peu austère de ce père-là, jusqu’ à son départ en vue de récupérer le saint Mont Carmel. A la suite de ce départ, il gouverna, en charge de vicaire, pendant de longues années, d’une façon digne de louange, la même résidence ; et, rendu très calé en écrire et parler arabe, il fut un missionnaire d’une grande renommée. Il arriva à cette résidence du Liban, le vingt-deux avril de l’année en cours, 1644, vingt-cinq jours après Pâques célébrée le vingt-sept de mars. Soit le père Celestino, qui l’avait connu à Alep, soit l’ermite François, se réjouirent de son arrivée d’une façon particulière. La consolation de ce dernier fut plus grande durant les quelques jours qu’il eut à ses côtés le père Thomas, étant, celui-ci, doté d’une admirable placidité et mansuétude, d’autant plus qu’ils étaient natifs, tous deux, du même royaume, la France. Echangeant entre eux des entretiens spirituels, ils s’enflammaient l’un l’autre dans l’amour de sa Divine Majesté. Cette nouvelle réjouissance d’esprit réconforta beaucoup le malade François ; et la joie se diffusant dans son corps, bien qu’extrêmement épuisé, lui fit recouvrer un peu de force. On jugeait entre-temps que sa vie serait prolongée de quelques mois, cependant, il était  vain d’espérer la guérison de sa santé. Bien qu’en apparence  seulement, quelques indices de cette santé se manifestèrent la veille de la Pâques de l’Esprit-Saint, le jour précédant sa mort. C’étant, en effet, confessé et ayant, en notre église, reçu la Sainte Eucharistie avec des sentiments de fervente dévotion, il parut  récupérer ses forces, exprimant cela par l’épanouissement de ses traits. Le jour même, après les Vêpres, le père Celestino avait quitté pour un village important du Liban, appelé Hassrona. Les habitants l’attendaient, parce que, célébrant la fête de l’Esprit-Saint avec beaucoup de solennité et un grand concours de fidèles, ils voulaient, le soir même et la matinée suivante, se préparer, par la confession, à recevoir la Sainte Eucharistie. Parmi ces derniers, l’archiprêtre, particulièrement affectionné à nos religieux, exhortait les gens de sa paroisse à écouter avec attention le sermon de notre missionnaire et aller à confesse chez lui. Ayant rempli les fonctions propres à sa charge en écoutant les confessions et prêchant lors de la messe solennelle, il quitta après les Vêpres. Mais il ne rentra pas au couvent, il se dirigea vers un autre village appelé Béqua kafra ; le père Thomas devait l’y rejoindre le lundi suivant. Un éminent bienfaiteur, gouverneur de ce village, les avaient invités à célébrer la fête, étant donné qu’il manquait de curé. Aussi, avaient-ils à y entendre les confessions et célébrer les messes ainsi qu’ils en avaient l’habitude lors des autres fêtes de l’année. En quittant le couvent, le père Thomas confia le soin de l’ermite malade à un prêtre, religieux maronite, qui avait assisté à sa messe, et à d’autres séculiers, bien qu’il n’ait eu aucune crainte pour sa mort. Il advint, cependant, vers une heure environ de la nuit, le malade s’aperçût que l’heure de sa mort menaçait, il interrogea le prêtre maronite où étaient les carmes déchaussés, et lui ayant répondu qu’ils étaient partis pour le village voisin, de Béqua Kafra, il s’informa de l’heure de leur retour. Le maronite répliqua qu’ils avaient été invités par le chef du lieu pour y célébrer la fête du lendemain, vu qu’il  n’y avait aucun prêtre ; mais qu’ils seraient, sans doute, rentrés le même lundi. S’il désirait qu’ils retournent plutôt, il enverrait les aviser. François répliqua qu’il n’y avait pas de quoi, pourvu qu’ils retournent le lendemain. Mais quelque peu plus tard, il lui survint une brusque défaillance, et se sentant plus aggravé il demanda de quoi écrire, et, ne pouvant manier la plume, à cause de son extrême faiblesse, il disposa de vive voix de son pauvre mobilier. Il le distribua à ceux qui l’avaient servi, en leur rendant grâces. Ayant ensuite fait écrire que, par reconnaissance, il laissait ses livres en héritage à nos religieux, il le soussigna.  La nuit bien avancée, il demanda aux assistants de le laisser seul et d’aller se reposer, mais il pria le prêtre maronite  de retourner le voir peu de temps après minuit. Il s’exécuta, et entré dans sa cellule, il lui parut dormir ; mais s’approchant pour mieux l’observer, il le reconnut déjà mort. Il en avisa les autres. Autant qu’ils s’attristèrent pour l’accident inattendu, autant ils furent édifiés à le voir si placidement étendu, aussi versèrent–ils beaucoup de larmes de tendresse. Dans la matinée suivante, d’assez bonne heure, ils envoyèrent aviser nos pères et leur apprendre tout ce qui était passé. Interdits à cette funeste nouvelle, ils quittèrent sur-le-champ ; et rejoint le couvent, tout en larmes, ils lui baisèrent affectueusement mains et pieds. Alors qu’ils étaient occupés à préparer les funérailles, la nouvelle de sa mort s’était répandue dans le Liban, et l’afflux du peuple maronite à notre couvent fut très nombreux. Le vénérant en tant que saint, ils demandèrent avec grande insistance à avoir quelque chose de lui, voulant le retenir comme relique. Nos pères enlevèrent le vénérable cadavre, et le revêtant de son habit d’ermite, ils le couvrirent de roses et autres fleurs. Sa chair, néanmoins parut refleurie, son visage s’étant revêtu d’une merveilleuse beauté et de couleur rose. Et, bien que pour ses insignes vertus, il semblait ne pas avoir besoin que très peu ou rien comme prières de suffrages, néanmoins ils voulurent célébrer ses funérailles  en  double rite, latin et chaldéen, selon les normes de l’Eglise antiochienne. Pour l’ensevelir, ils choisirent une petite caverne[56] de notre église, qui se trouvait sur le côté occidental, réservée à la sépulture des évêques ; cependant on ne le déposa pas étendu et sous terre, mais assis, le visage tourné vers l’Orient, selon la coutume des Orientaux ainsi que voulurent les prêtres maronites. Ce grand serviteur de Dieu, dédaigneux des pompes et vanité du siècle, mourut le quinze mai de l’année 1644, aux environs de minuit de la Pâque du Saint Esprit et de la Bienheureuse Vierge Marie selon le calendrier maronite. Il est utile de savoir qu’au jour  susnommé, les maronites célèbrent une fête spécialement instituée en honneur de Notre-Dame pour la raison suivante. Il est très répandu, parmi eux, avoir vu ce jour-là la Sainte Vierge marcher parmi les champs et bénir les moissons. Aussi l’invoque-t-on pour qu’elle daigne leur impartir sa bénédiction ; pour  l’en implorer, on lui célèbre une fête particulière. En ce jour tellement renommé, mourut le vénérable ermite François qui avait vécu, la poitrine brûlant des flammes de l’amour de Dieu, et d’une ardente dévotion envers la Mère de Dieu ; aussi,  avant-nous dit, plus haut, combien fut rigoureux son jeûne les samedis de l’année, et dans lesquels il allait à confesse et recevoir la Sainte Eucharistie. La vénération et l’affection portées par les maronites à notre ermite ne se  sentant pas assouvies, ils insistèrent auprès de nos religieux pour lui célébrer, au neuvième jour après sa mort, d’autres funérailles solennelles.  C’était celle- là une coutume chez la nation maronite ; et en plus des messes on faisait un repas pour tous les présents, comme on vient de le dire. Mais le défunt n’avait pas laissé d’hérédité. Plusieurs des plus nantis contribuèrent à la dépense, mus par une affection spontanée. Les habitants du Liban y furent invités. Pour  plus solenniser l’événement, nos religieux se rendirent à Tripoli et prièrent le Consul de France, Lodovico Cavaliere, le Boiselli, marchand natif d’Aix,  patrie du défunt, et tous les autres marchands de la même nation, de les honorer de leur assistance. La veille du neuvième jour, au soir, le Consul arriva avec le groupe des marchands. Beaucoup de prêtres, de religieux et de séculiers de toutes conditions, vinrent des terres et des villages du Liban ; aussi, des somptueuses obsèques lui furent-elles célébrées ; et, durant la messe solennelle, l’un de nos susnommés pères prononça, en langue arabe, une oraison funèbre en sa louange, et la fonction termina par l’habituel dîner. Au moment de quitter, soit le consul, soient les autres marchands, voulurent emporter, en signe de vénération, quelque chose du défunt ; l’un saisit son Thomas de Kempis, l’autre le petit office de la très Sainte Vierge, d’autres, quelques livrets de ses dévotions, et d’autres encore, une parcelle de son habit. Mais celui qui se signala le plus, ce fut le Boiselli, son concitoyen. Celui-ci, s’avisant que le cadavre de l’ermite François, serait mélangé à ceux des évêques ensevelis, et pensant à ce que, par hasard, ses conjoints de sang voulussent, dans le temps, faire transporter ses ossements à la patrie, voulut qu’il fut colloqué séparément afin d’être reconnu. A cet effet, il envoya, quelques jours plus tard, un tailleur de pierre au Liban, et lui faisant couper au rocher de la montagne une plaque commémorative, il fit replacer le corps dans un lieu séparé. Sur la même plaque, il fit graver une inscription en langue française. D’autres composèrent, en son honneur, des vers en latin ; et nos religieux composèrent en langue syro-arabique une autre inscription, et toutes sont lisibles à présent, suspendues dans notre église de saint Elisée ; et à fin qu’elles puissent être lues de tous ceux qui visitent son sépulcre, elles furent écrites en quatre langues différentes. Ainsi il reste admirable ce qu’a dit le Saint dans ses Proverbes, que la mémoire du juste serait célébrée avec honneur. Il fut, de même, hautement loué par Elia, archevêque de Eden, dans un rapport écrit en langue arabe et traduit en latin par notre père Philipe de la très Sainte-Trinité, dans la vie brève du serviteur de Dieu, éditée dans la troisième partie de son ‘’Decoro del Carmelo.’’ Notre François vécut pendant de nombreuses années au monastère de cet évêque qui fut son confesseur, aussi, à l’extérieur comme à l’intérieur, fut-il témoin de vue. Mis à part ce que nous avons déjà raconté de ses rigoureux jeûnes et abstinences, je traduis de ce même rapport, quelques grâces attribuées à l’intercession du serviteur de Dieu. 

Georgio, neveu du même archevêque, ayant perdu un objet, évalué environ trois écus, offrit à notre François deux pains et deux bougies s’il le retrouvait ; et bien qu’une année s’était écoulée, depuis qu’il l’avait perdu, le jour même où il fit son offrande, il le retrouva. La femme de son frère était tombée malade avec une fièvre persistante durant quatre mois, il la recommanda aux prières de notre ermite, faisant dans son for intérieur le vœu de lui offrir dix pains, et à l’instant même, la fièvre quitta sa belle-sœur. Un certain mahométan, faisant voyage de toute une journée, vint à retrouver le serviteur de Dieu et le pria de bénir un peu d’eau pour la faire boire à sa mère gravement malade et sur le point de mourir, il emporta l’eau qu’il fit boire à la malade, celle-ci retrouva immédiatement la santé. Beaucoup de malades, buvant de l’eau bénite par le serviteur de Dieu, suivant le  témoignage de l’évêque, reçurent d’autres grâces. Plus signalée fut la suivante : le même archevêque s’était enfoui, avec notre ermite, dans une forêt lointaine, pour se libérer des infestations tyranniques des Turcs. Souffrant d’une ardente soif, l’ermite François supplia le Seigneur de leur venir en aide, ils virent alors jaillir du sol une source[57] d'eau, dont ils se rafraichirent, rendant beaucoup de grâces au Seigneur ; cette source, présentement, continue à couler. Surtout, cependant (ce sont les dernières paroles de son rapport) Dieu soit à jamais loué, et à Lui soit gloire, honneur et action de grâces pour les siècles des siècles. Dans ce que  j'ai raconté jusqu’à présent,  ‘’la relatio latina’’, soigneusement écrite par le père Celestino, m’a servi de guide sûr. Elle contient dix-huit chapitres, elle est, cependant, manifestement défectueuse, aussi, une petite ou grande partie, à mon immense désagrément, se trouve perdue. Pour plus d’informations à propos de cette résidence, il me faut pourtant suivre d'autres rapports de lui, ou bien d'autres nouvelles de nos missionnaires  contenues dans leurs lettres originales, et que je citerai en marge ; et, bien qu'elles soient assez pauvres, confrontées à la richesse de l'œuvre, elles ne font pas moins autorité, ayant été écrites par des religieux d'éminentes vertus qui avaient en horreur le mensonge. Dès le début de cette année, le père Celestino, aidé du susnommé ermite, s'était appliqué à l’étude de la langue hébraïque l'ayant reconnue profitable à la perfection de l'arabe et du syriaque qu'il possédait déjà, étant celle-là comme la mère des deux autres. Il en avait grandement profité, et il demandait cependant des livres pour mieux l'apprendre. Il jouissait encore du fruit de ses fatigues apostoliques alors qu'il reconnaissait chez les maronites du Liban un grand changement de mœurs, effet de sa prédication et de son application à instruire les personnes simples et ignorantes des mystères de notre sainte foi et d'y avoir introduit une majeure fréquentation des Saints Sacrements. Tout ceci était fortement apprécié par les maronites qui, reconnaissants du profit spirituel, offraient à notre missionnaire d'autres antiques couvents du Liban, si jamais il estimait que celui de saint Elisée, déjà concédé, était incommode pour être situé au fond d'une vallée. Sur ce même couvent quelques-uns avaient informé les supérieurs d'une façon bien sinistre, aussi le père désirait-il se porter à Rome pour éclaircir les choses, et leur démontrer le grand profit spirituel réalisé par nos missionnaires parmi les habitants du Liban. Pendant le Carême passé, le supérieur[58] des missionnaires de la Compagnie de Jésus d'Alep était venu en cette Montagne, et, frappé par la dévotion que les-uns vouaient singulièrement au Saint Sacrement et à la glorieuse  Mère de Dieu, il avait déclaré que nos supérieurs étaient obligés, en conscience, de maintenir cette mission. Ayant, entre-temps, constaté combien la moisson était abondante et peu nombreux les ouvriers, il avait résolu d'envoyer quelques-uns de ses religieux, missionnaires à Tripoli et au Liban, afin de s'engager dans la culture spirituelle de tant d'âmes lesquelles, faute de qui les orienter et instruire, s'étaient dévoyées par beaucoup d'abus et mauvaises mœurs. Notre missionnaire ne tarda pas beaucoup à se retrouver réconforté, étant donné qu'au mois d'avril de cette même année y arriva, comme il a été signalé plus haut, le père Thomas de saint Joseph, religieux de grande vertu et excellent missionnaire, parfaitement versé en langue arabe, y écrivant avec une perfection admirable. Il y fut envoyé par le père Germano, notre Vicaire général, sous le titre de vicaire de cette résidence, l'ayant été pendant longtemps dans celle d'Alep. Le très humble père Celestino l'accueillit avec des signes de grande joie, attestant dans sa lettre, combien il était heureux de l'avoir eu comme supérieur. Ils s'en allèrent tous deux  visiter le patriarche Giorgio Amira qui, très affectionné à nos missionnaires, les reçut et les traita avec une immense bienveillance. Il voulut, entre-temps, qu'ils retournent assister à la fonction de collation des saints ordres qui allait être célébrée dans quelques jours. Il n'y avait pas longtemps qu'il avait réintégré sa résidence d’où il s'était évadé pour se soustraire aux tyranniques violences des Turcs. Cependant,  pour y retourner, il dut payer beaucoup d'argent : ’’ Nourriture qui agace n'assouvit pas l'avarice turque ‘’. Nos deux missionnaires ne négligeaient point de coopérer sans relâche au salut des âmes, par le ministère des sacrements et l’annonce de la parole de Dieu, en particulier dans les villages des alentours, parmi lesquels quelques-uns manquaient de prêtres. Au vingt-huit août, selon le calendrier maronite, mourut dans son monastère de Canobin le patriarche Giorgio Amira. Le père Celestino célébra, dans un discours funèbre, les gestes vertueux du défunt prélat ; il ne manquait pas d'abondante matière pour un grand  éloge. Nos missionnaires s’attardèrent à Canobin  puisqu'on leur avait fait instance d'assister à l'élection du nouveau patriarche. Celle–ci échut sur la personne de motran  Joseph  Al  kakouri[59]. Les électeurs y concoururent pour être religieux et déjà archevêque de grande vertu. Il avait une grande affection pour nos missionnaires qui espérèrent se consacrer, avec beaucoup de fruit, à leur ministère apostolique, étant sûrs de jouir de sa protection. Ils ne s'y trompèrent point. Ayant  notre Réforme en grande estime, et trouvant le comportement des deux missionnaires tellement édifiant, il avait pris la décision de s'en valoir non seulement dans la culture spirituelle des séculiers, mais aussi dans la réforme du clergé, des religieux et de tout le Liban sujet de sa juridiction. Il ne montrait pas une moindre familiarité au père Celestino à qui, déjà du temps qu'il était archevêque, il avait demandé une dévote image en peinture du patriarche Saint Joseph[60], étant celui- ci l'un de ses noms, aussi notre missionnaire en faisait instance à notre Préposé général. Il lui recommandait également celui qui allait être envoyé par le patriarche au Souverain Pontife pour lui attester sa soumission et son obéissance et en apporter la confirmation dans sa nouvelle dignité patriarcale. Il observait, en cela, la très ancienne coutume de l'Eglise inviolablement observée par les évêques et patriarches de Constantinople pendant les siècles, où la nation grecque n'était pas dépravée par le néfaste schisme, et la révolte contre le Saint Siège romain. Alors que nos missionnaires progressaient, avec une grande prospérité, dans l'accomplissement de leur tâche, nos supérieurs ne négligèrent point de leur envoyer de Rome de nouveaux ouvriers. C'est pourquoi dans la même année, y furent envoyés le père Urbano de la très Sainte Vierge et le père Matteo de saint Joseph. Dans leur voyage, ils jouirent des bénédictions de sa Divine Majesté puisque, en plus du vent favorable et du calme de la mer, ils se virent libres de l'assaut des corsaires, dont un soupçon avait circulé, précédemment, à cause de l'armée navale vénitienne qui les assistait. Etant parvenus tout heureux à Alep, ils expérimentèrent les manières très courtoises du consul -il m'est inconnu s'il était de la couronne de France ou de la Seigneurie de Venise - mais il est très certain qu'il les a traités avec une bienveillance fort à point, qu'il n'en aurait fait usage avec ses propres frères, effet de son zèle ardent envers les ouvriers de la sainte foi. Ils parvinrent au Mont Liban autour de mi-septembre,  apportant de nouvelles dispositions : le père Thomas avait été élu comme vicaire de notre résidence d'Alep, et à celle du Liban, on avait substitué le père Celestino. Celui-ci venait à peine d'entamer son gouvernement qu'il eut à affronter un très grave labeur. Etant donné que le susnommé père Urbano, écoulés quelques jours à peine de son arrivée, fut assailli par une ardente fièvre. Le père vicaire espérait qu'il s'en guérirait, sachant par expérience que les nouveaux arrivés au Liban avaient l'habitude, en majorité, de tomber malades. Le mal paraissait assez grave, ils s'appliquèrent toutefois à le soigner avec beaucoup de diligence. Passés trois jours sur sa maladie, le 27 septembre, l'infirme parut être atteint de peste. Il pria les religieux de se retirer pour se soustraire au danger d'être contaminés. Le père Matteo, cependant, prémuni d'un antidote, lui appliqua un certain remède estimé fort efficace contre les infections pestilentielles ; mais ayant tardé plus du convenable, il ne lui apporta point le soulagement désiré ; aussi le malade se prépara-t-il à la mort imminente. À cette fin, il se  confessa au père Celestino qui admira beaucoup, la parfaite résignation du pénitent aux dispositions de sa Divine Majesté, bien qu’à peine entré dans un pays étranger,  il fut près de mourir. Il supplia alors les pères de se retirer dans un lieu à quelque distance, et eux lui firent plaisir choisissant un ermitage dédié à l'archange saint Michel,[61]distant d'environ soixante pas du couvent. Le père vicaire assigna, néanmoins, au service du malade, un religieux maronite, prêtre, et un séculier. Le vingt-huit septembre, s'étant tout à fait désespéré de sa vie, environ trois heures après minuit, ils lui portèrent le Saint Viatique jusqu' à la porte de la cellule ; et récitées les prières habituelles, ils le remirent au prêtre maronite qui le lui administra. Il ne vit pas beaucoup après avoir reçu le Saint Sacrement, puisqu'il passa à meilleure vie dans la matinée du vingt-neuf. Les habitants du Liban disaient que, presque chaque huit ou neuf ans, cette Montagne était infestée de la peste ; et l'expérience avait démontré, néanmoins, que seul en mouraient les enfants de bas âge, et très rarement des adultes. La même chose était arrivée cette année, un grand nombre était mort dans divers villages. L'épidémie avait fait des ravages supérieurs à Tripoli, Barut, Saïda et dans d'autres lieux de la Palestine. Trois pères capucins en étaient morts, un laïc des pères de la Compagnie  de Jésus et quelques religieux franciscains. Nos deux pères[62], ayant purifié le couvent en brûlant des herbes et du bois de senteur, y retournèrent. Le vingt- huit du même mois, le père Thomas était déjà parti pour Alep. Le père  Matteo resta grandement affligé pour la perte de son compagnon. Il n’était pourtant, comme il le dit, nullement effrayé d'un aussi funeste incident. Préparé à n’importe quelle divine disposition, il était  tellement heureux qu'il lui paraissait avoir retrouvé le paradis terrestre. Le père Basile de saint François qui, en ces jours-là,  en retournant au Carmel, passa au Mont Liban, écrit la même chose dans l'une de ses lettres. Il manquait au missionnaire seulement un frère convers, mais le père Celestino, avec une humilité exemplaire, bien que vicaire, suppléait, s'employant dans les plus basses besognes  de la cuisine et autres, et, pour ne pas se priver  d'un exercice tellement vertueux, il s'était modestement excusé auprès du patriarche, qui avait commencé à l’amener avec lui dans la visite de son diocèse, pour en profiter aux prêches et à l'instruction de son troupeau. Le père Matteo, dont le père Celestino et le père Basile écrivent de grands éloges, fut à suivre l’exemple tellement vertueux de son supérieur ; et dans l'étude assidue de la langue arabe, il avait fait un grand profit qu'il espérait pouvoir prêcher à la prochaine Pâques. Pour l'année suivante, 1645, dans laquelle nous entrons dans notre narration, il y a peu de choses à dire de l'œuvre de nos missionnaires. Réfléchissant, ceux-ci, à l'inestimable bienfait apporté à n'importe quelle république de l'éducation vertueuse des enfants, comparant, à l'instar de saint Jérôme, leur tendre âge à la douceur des laines dans lesquelles la ténacité à retenir le premier coloris est presque insurpassable, décidèrent d'instituer une école[63] pour douze enfants en qui, avec l'enseignement des premières lettres, semer les bonnes mœurs propres de la piété chrétienne, en leur donnant une formation distinguée des mystères de la religion catholique. Les enfants des maronites ont un  grand manque de maîtres spirituels, soit parce les religieux de cette nation sont peu nombreux, alors que les prêtres sont mariés, et fort occupés aux travaux des champs pour se procurer la nourriture et satisfaire aux extorsions des Turcs, soit, comme nous venons de le dire, le village qui n'avait pas de prêtre  ou de curé n'était pas unique.  Il y avait une autre occupation, plus propre à nos religieux, que le nouveau patriarche avait l'intention de confier au père Celestino. Alors qu’il était archevêque, il avait fondé, dans un lieu à deux journées de distance de notre couvent, un monastère de moniales[64] où,  dans le temps dont nous écrivons, vivaient vingt- cinq religieuses. A celles-ci, notre père avait dit quelques sermons, en présence du nouveau patriarche, qui désirait qu'il prenne soin d’elles, et les instruise dans les exercices spirituels, et plus particulièrement dans le divin exercice  de l'oraison mentale, et dans toute l'exactitude de l'observance régulière. S'avisant également de la grave incommodité que pourrait présenter la distance de deux journées, il lui offrait une habitation voisine du même monastère, où trois ou quatre religieux pourraient demeurer, mais le manque de missionnaires en empêchait l'exécution ; aussi, grandes et répétées  étaient-elles les instances du même père Celestino, dans lesquelles il ne cessait de solliciter nos supérieurs à lui envoyer un plus grand nombre de compagnons. De ces mêmes moniales nous rapporterons, ailleurs, une tendre lettre dans laquelle, elles suppliaient notre Préposé général de ne pas les priver de l'assistance et direction du même père Celestino, recevant un grand réconfort de ses instructions et ses salutaires orientations. La satisfaction que donnaient nos missionnaires au patriarche n’était pas moindre, c'est pourquoi, ainsi qu'atteste le prénommé notre vicaire, il ne voulait pas admettre dans sa Montagne d’autres religieux désireux d'y fonder, voulant que ce soit seulement les nôtres à s'y propager. De même, par un mouvement spontané, il avait fait arranger en forme de petit couvent, une construction ou grotte distante d’environ deux journées de celui déjà en notre possession et, lui ayant assigné  comme titulaire notre père saint Elie[65], il l'offrait à notre Réforme . Il disait que c’était un lieu assez dévot et commode, et à une demi-journée de distance de Baruti, Berrito, et plus près  d'autres terres de non moindre grandeur et population dans lesquelles, on comptait quelques personnes de qualité de sa nation maronite. Nos missionnaires ne manqueraient point d'occupation alors qu'ils auraient l'opportunité de prêcher, confesser et instruire les habitants de cette petite partie de son diocèse.[66]Nos pères l'auraient accepté d'assez bon gré, mais le fait d'être peu nombreux les empêchait de s'appliquer  à cette nouvelle entreprise. Cela s'avérant ennuyeux au patriarche, il dit de nouveau au père Celestino, qu’il avait  su que nos pères du Mont Carmel, avaient subi quelque persécution, et  qu’il voulait, par conséquent, leur écrire une lettre pour les inviter à se réfugier dans son petit couvent de  saint Elie, vu que l'infestation des Turcs ne leur permettrait  pas de vivre tranquilles au saint Mont Carmel[67]. En témoignage, également, de cette inclination à favoriser les missionnaires de notre Réforme, il avait accordé à notre père Celestino les plus amples facultés pour administrer tous les sacrements aux fidèles de toute sa juridiction, réduisant celles-là,  beaucoup, aux autres missionnaires dans les villes de son diocèse. Mais cette bienveillance du patriarche affligeait plutôt que consoler le dit père, réfléchissant à une opportunité aussi bonne, et au manque d'ouvriers pour s'en valoir. Ayant donné commencement à notre hospice à Tripoli[68], sa souffrance n'était pas moindre de devoir laisser le père Matteo avec le frère convers Avertano, devant demeurer seul dans le Liban. Il mettait en exergue la grande commodité qu'ils trouveraient pour coopérer  au salut  des âmes et s'adonner à la perfection de  leur propre salut, pouvant s'occuper dans la divine contemplation à laquelle incitait la solitude du couvent, et à la fois instruire la simple et pieuse population maronite, qui ne progressait pas dans les vertus chrétiennes, vu qu’elle manquait de directeurs spirituels pour leurs âmes. L'affliction du père Celestino n'était pas tellement grande pour l'effrayer et le retenir de promouvoir cette mission par l'établissement et la construction  de son couvent. La charité du supérieur des missionnaires de la Compagnie de Jésus coopéra grandement à son dessein. Je fais volontiers mention[69] de cela, pour laisser un témoignage éternel des nombreuses obligations de notre Réforme envers ce célèbre Ordre. Ce supérieur, étant venu, quelques fois, à notre couvent de saint Elisée, pour l'honorer de sa visite et, se rendant compte du grand besoin qu'il avait d'être restauré, offrit, courtoisement, à notre père Celestino, un de ses frères convers bien habile dans l'art de menuisier, et notre missionnaire l'accepta de grand cœur. Il y travailla l'espace d'un mois et demi, aussi, notre vicaire paya-t-il  seulement les découpeurs des arbres déjà accordés sur le territoire du couvent,  sans aucune dépense, et les scieurs des poutres et planches ; avec une aide aussi brillante et avantageuse, il arrangea le couvent de façon à pouvoir y faire habiter, aisément, cinq religieux, ayant chacun sa propre cellule, sans souffrir d'aucun inconfort en toute saison de l'année. A celles-ci avaient été ajoutés les ateliers propres à chaque couvent. Le dessein et le travail parurent tellement bien disposés, arrangés et nets que, à les voir, les maronites ne furent pas peu admiratifs et édifiés, affectionnant, parfois, plutôt une pauvreté propre à une magnificence somptueuse, car dans cette dernière, brille la richesse, alors que dans l'autre, l'art qui fait rayonner ce qui est pauvre ; et en cela, comme dans son propre accouchement, l'âme y trouve plus de joie. Il lui restait, seulement, d'accommoder la terrasse ou loge couverte, en haut, et blanchir les murailles de l'église et du couvent, attendant de Rome le subside annuel pour l'exécuter. Il faisait des instances dans ce but et pareillement pour un grand tableau dans lequel soit représentée l'Assomption de Notre-Dame[70] au ciel, et demandé par le patriarche pour être exposé au-dessus de l'autel majeur de son église de Canobin. Pour y satisfaire, il y appliquait douze écus du subside à envoyer à son couvent, étant toujours riche, celui qui se confie en la Divine Providence.

Ce qui se présente à mon esprit à l'entrée de cette nouvelle année, 1648, n'appartient pas à la résidence du Mont Liban, mais à l'un de ses éminents missionnaires, et c'est le père Celestino. Ce religieux dont, j'ai à plusieurs reprises, fait l'éloge par des louanges inégales à son mérite, non seulement pour ses œuvres fatigantes, son inlassable étude des langues orientales, ses vertus  exemplaires, sa prédication et ses enseignements salutaires, mais aussi, en coopérant  par sa plume au salut des âmes sans jamais accuser la fatigue. Durant l'année dont nous écrivons, il s'était donné du mal à quelques traductions de livres, pour ajouter un nouveau lustre à la religion catholique et servir à fomenter la piété dans les nations orientales où, chez les unes, elle était déjà ternie, alors que chez d'autres, elle était encombrée. En premier, ayant eu entre les mains un livret de notre père Isidoro de saint Joseph, Définiteur et Procureur général qui était intitulé «  Sermo Historicus S. Gregorii Decapolitei » ; lui, pour le rendre intelligible aux maronites et autres qui parlent l'arabe, il le traduisit en cette langue, et dédia la traduction au  même père Procureur général. Il traduisit, également, en langue arabe, le très dévot et jamais assez estimé livre de Thomas de Kempis, « Imitation du Christ », convaincu que sa lecture produirait chez les maronites et autres, les mêmes sentiments  de piété  qui sont expérimentés, à sa lecture, par les européens. L'abrégé de la vie de  notre Mère  Sainte Thérèse, lequel fut mis en lumière par notre vénérable père Jean de Jésus-Marie, en une très élégante  langue latine, et dédié au Pape  Paul V qui l'éleva au rang des Vierges Bienheureuses. Avec cela, cet éminent fils voulut propager la notice des actions héroïques et miraculeuses de sa sainte Mère parmi les nations orientales.  Quelques discours sur les Evangiles de l'année, avec d'autres traités de dévotion, et quelques oraisons vocales. Les principales controverses avec les schismatiques et hérétiques orientaux, c’est-à-dire, Grecs, Arméniens, Jacobites et Nestoriens. Il traduisit le Coran, de l'arabe en langue latine, beaucoup de proverbes et sentences glanés parmi les principaux  auteurs arabes. Il se fatiguait, pareillement, à mener à sa fin, un traité assez grand et valable des principales vertus au titre : «  Pratum solitarii et consolatio anachoretae ». Cet ouvrage avait été composé, en une langue arabe très élégante,  environ cinq cent cinquante années auparavant, par un certain moine égyptien ;  mais le manque de temps, pris par les graves occupations de sa charge, et les livres utiles à son dessein, ne lui avaient pas laissé l'espace de le finir. Dans la poitrine de ce religieux tout à Dieu, brûlait, sans doute, le zèle de propager la religion et la piété chrétienne, mais il gémissait de se retrouver seul au Liban, puisque le père Matteo et le frère convers Avertano, selon les dispositions de notre Définitoire Général, étaient tenus à rester à Tripoli, ainsi qu'il a été dit ailleurs. Pour cette raison il était presque déterminé à abandonner cette résidence jusqu'à ce qu'on lui ait envoyé d'autres religieux, mais le Seigneur voulut le consoler d'une façon inattendue. Sur la fin de l'année écoulée, aborda dans le port de Tripoli un vaisseau flamand, dont la majeure partie des navigants étaient catholiques. Pour cela, il fut appelé du Liban, pour en écouter plusieurs en confession. Parmi ceux-ci, se confessa à lui, un jeune de vingt-trois ans né à Anvers et, étant resté privé de père et mère, il avait été admis dans une maison pour orphelins. L'éducation vertueuse lui avait hautement imprimé dans l'âme la piété chrétienne qu'il manifestait dans ses pieux sentiments, et durant les nombreuses années qu'il y avait demeuré, il avait appris le métier de boulanger. Transporté à un âge plus adulte en Italie, sur des vaisseaux flamands, avec l'intention de gagner sa nourriture par le pénible travail de ses mains, le susnommé vaisseau l'avait amené à Tripoli. Là – bas, ouvrant sa conscience à notre missionnaire, il lui révéla qu’il avait été attiédi par la navigation  sur mer, et qu’il avait eu la nausée du monde. Il se sentait appelé du Seigneur à une vie religieuse et solitaire dans quelqu’une des montagnes du levant. Notre père, satisfait de sa bonne nature et de ses qualités, lui fit savoir qu'il vivait au Mont Liban, et qu’il serait réconforté en ayant quelqu'un pour le servir dans les besognes domestiques. Le jeune homme s'offrit, très volontiers, à l'exécuter, ce qui l'encouragea à s'en valoir ; il l'amena avec lui à notre résidence.  Là -bas, il le garda, pendant deux mois et demi, en habit séculier, voulant éprouver la solidité de sa vocation, et observer son comportement. Resté pleinement satisfait, il le revêtit de notre habit, mais plus court et sans le grand scapulaire. Il lui imposa le nom d’André de saint Elisée, celui-là, en égard au titulaire du couvent, et celui-ci, pour lui avoir donné l'habit, le jour de saint André, carme et évêque de Fiesole, ville de la Toscane. Il se révéla que ce jeune homme lui fut donné de la main de Dieu, et à majeure consolation de son serviteur affligé, puisque à l'expérience, il se montra vertueux et habile à toutes les besognes du couvent, qu'il écrit en être tellement content, qu'il ne l'aurait jamais changé avec aucun autre. Il désirait, cependant, que son action soit  proposée au Définitoire Général, et qu’il en soit confirmée de façon, que le temps déjà écoulé, soit décompté de son noviciat ; et en le poursuivant, qu'il s'apprête à être reçu définitivement dans notre Réforme. Ceci, pour le moins, de la même façon que le même Définitoire avait concédé au frère Elie de la très Sainte Vierge du Mont Carmel de nationalité arabe, et demeuré pendant de longues années dans la même sainte Montagne, pour en avoir fait instance le père Prospero dello Spirito Santo. L'épreuve, d'ailleurs, de ce jeune homme l'encourageait  à le supplier, quand il le jugerait convenable, de proposer au Définitoire Général que, de la même façon, puisse donner l'habit à d'autres, pour la simple raison, que les jeunes de ces pays se montraient capables, de plus grande satisfaction.
Il lui signifiait désirer procurer au nouveau patriarche Joseph, quelque lettre de recommandation du Cardinal Capponi, protecteur du Collège des maronites, ou bien de monseigneur Francesco Angeli, secrétaire de la Congrégation de Propagande : étant donné qu'il avait limité, avec quelque excès, les facultés des missionnaires, on lui avait écrit quelques lettres humiliantes à son égard[71] ; ainsi, maintenant qu'il lui en avait accordé d'aussi amples, qu'il lui en soit exprimé l'agrément.  

En dernier lieu, il le suppliait de lui procurer, le renouvellement des facultés et privilèges que le Saint Siège a l'habitude d'accorder aux missionnaires, désirant qu'ils soient des plus amples, pour coopérer, plus aisément, au salut des âmes , et les considérer  des plus opportunes pour des pays aussi lointains. Parmi les mêmes privilèges, il désirait qu'il lui soit accordé la faculté de célébrer,  quelques fois, la messe en langue chaldéenne ou syriaque, conformément au missel de cette langue, imprimé  à Rome l'année 1594, selon le rite de l'Eglise de la nation maronite, et cela pour deux raisons: la première pour l’avoir jugé profitable à un meilleur fruit pour cette mission, vu qu'il servirait à acquérir la bienveillance de la même nation, se complaisant, quoiqu'il en soit, à voir appréciés les usages de son propre pays. La seconde raison était la facilité de célébrer la sainte messe, lui étant arrivée  l'occasion de la laisser tomber, pour manque de celui qui sache servir celle célébrée en langue et rite latin, ou mieux pour n'avoir entre les mains, un autre missel que le chaldéen. Cette même faculté avait été demandée en l'année 1624, de la part de nos missionnaires de Perse, désireux de la célébrer en langue arabe. La sacrée  Congrégation de Propagande l'avait concédée par son décret, signé le sept avril, de la même année ; et Urbain VIII l'avait approuvée à condition de retenir le rite latin, et en un missel romain, traduit littéralement en langue arabe  et approuvée par Rome ; et finalement il est prescrit qu'elle soit, pour une seule fois, le jour où elle est célébrée. La requête de père Celestino était plus ample, voulant qu'il lui soit accordé, de la célébrer en rite et missel chaldéen, aussi douta-t-il fort qu'elle lui soit concédée. Le Saint Siège a toujours procédé avec beaucoup de précaution, en accordant de telles facultés, en vue de conserver la vénération due aux rites de l'Eglise Romaine, tête de toutes les autres églises du monde. Pour mettre en relief la grande confiance des maronites dans les religieux de notre Réforme, il serait à propos de rapporter l'événement suivant. Etant mort à Rome monseigneur Sergio Risio, archevêque de Damas, dans un écrit de sa main, il avait, sous forme de légat, laissé au monastère de saint Antoine dans la vallée de kazheia, la rente du loyer de l'une de ses maisons. Le père Simon, religieux maronite, était supérieur et archiprêtre de ce monastère. Et comme, durant les sept ou huit années écoulées depuis la mort du prélat susnommé, il n'avait pas reçu d'argent, et il en avait besoin pour la fabrique et l'entretien de son monastère, celui-ci par un mandat de procure, constitua notre père Isidoro de saint Joseph comme percepteur de ladite rente, et le suppliait de remettre l'argent perçu au père Celestino qui aurait la charge de le lui envoyer. Ledit mandat, soit l'original en langue arabe, soit la traduction en langue latine, est conservé dans nos archives, et il est sigillé et signé par cet archiprêtre le dix juin 1648, il n'est pas nécessaire de l'enregistrer étant de la commune et propre teneur de tels écrits. Jouissant de cette bienveillance de la nation maronite, le père Celestino n'en était pas, tellement, alléché qu'il ne lui passa par la tête, l'idée d'abandonner le Liban, pour aller missionnaire en Hollande et s'y donner à la conversion des hérétiques. Cette pensée lui avait été suggérée et démontrée recommandable par l'affection naturelle envers ce pays de sa naissance, où il avait des parents et un frère infecté d'hérésie. Il signifia sa pensée à notre père Isidoro de saint Joseph, Procureur général en ce temps-là. Mais la pensée fut réprouvée par ce dernier, qui lui écrivit de laisser tomber comme tentation de blâmable inconstance. Le très humble père répondit : «  Alors que vous l'estimez avoir été  une grande tentation, et jugez d'être à majeure  gloire de Dieu de m'adonner à continuer la mission du Mont Liban, je resterai ici, content et tranquille, me remettant totalement à votre avis et jugement. Il est de la sagesse de se soumettre, humblement, au sentiment d'autrui, alors que la fumée de l'orgueil obscurcit les lumières de la vraie science.


Photo: Ermitage Saint Michel en restauration

 

Quatrième narration 

En ce temps–là,[72] les maronites du Mont Liban jouissaient d'une tranquillité majeure. Ceux qui, nombreux, sous les extorsions des ministres de la Porte Ottomane, avaient quitté la Montagne, étaient retournés y habiter. Ceci pour s'être protégés contre les violences tyranniques de ces barbares, en chargeant une personne de la nation maronite, d’exiger les impôts à  payer, chaque année, au Trésor du Grand  Seigneur.  Mais une grande turbulence  avait surgi à Tripoli et dans d'autres cités de l'empire ottoman. Le jour où le père Celestino quitta la ville susnommée, pour remonter à son couvent, sur ordre venu de Constantinople, et disait-on, envoyé au nom du Grand Seigneur ou son Vizir, tous les européens chrétiens et les religieux avaient été incarcérés à la forteresse, la chaine au cou. A Alep, cependant, il avait été exécuté, seulement, contre les marchands de la Seigneurie de Venise. Ceci, parce que cet ordre était attribué à quelque coup reçu par l'armée navale turque, de celle des Vénitiens. Mésaventure laquelle, à ce que rapportaient les échos, avait coûté la vie au susnommé premier Vizir et autres grands de Constantinople. Sur ce qui est arrivé dans ces batailles navales, à ce qu'on croit, on peut lire Girolamo Busoni, dans son second volume des Histoires Universelles de l'Europe, durant les années 1047 et suivantes, vers lesquelles j'oriente celui qui est désireux d'en savoir plus. Mais à Tripoli, peu après, les prisonniers furent libérés et  leurs biens restitués ; cependant,  sur ordre du Grand Turc, ils ne pouvaient quitter la ville sans son autorisation ; aussi, vivaient-ils toujours sous menace de mauvais traitements ultérieurs.   

S’étant soustrait au dit barbare outrage, en rentrant au Liban, le père Celestino était tout engagé à promouvoir le profit spirituel de la nation maronite. Pour le réaliser, il projeta d’instituer une école, ou plutôt, un séminaire pour jeunes maronites, à fin qu'ils fussent instruits dans la piété, et les sciences. Lui ayant donné principe, il reconnut ne pas pouvoir continuer, si on ne lui envoyait pas, de Rome, un subside  convenable, dont était prévue quelque espérance. Il écrivit des lettres, soit à la Sacrée Congrégation de Propagande, soit à nos supérieurs, pour leur suggérer les manières propres à donner réalisation à ce louable projet. D’abord, il disait qu’il avait reçu la nouvelle qu'Urbain VIII avait affecté une certaine rente pour l'érection d'un séminaire au Mont Liban, où serait instruite la jeunesse maronite, de onze  à dix-huit ans, et que l'entreprise devait commencer par l'envoi de quelques subsides. Mais parce que, ceux à qui, ils avaient été envoyés, les avaient, en grande partie, détournés à leur propre profit, ils furent, pour quelques années, appliqués au collège  maronite  de Ravenne, à ce qu'on lui avait rapporté. Le temps fixé à ladite application, étant expiré, il ajoutait qu’il était facile d'assigner la même rente à son séminaire désigné. Pour éviter, cependant, un tel inconvénient, lesdits subsides devaient être envoyés,  en grand secret, de manière qu’ils ne soient connus de n'importe quel maronite, fût-il un prélat. Il était d’avis qu'ils soient envoyés à nos missionnaires, étant donné que les dits  jeunes gens se retrouvaient pour l'enseignement dans notre couvent de saint Elisée. Il continuait à suggérer les voies par lesquelles ils pouvaient être envoyés en toute sécurité ; et il disait que, de par son expérience du pays, il jugeait que trois cents écus annuels seraient suffisants pour vingt jeunes gens, leur maître maronite et les servants nécessaires. Cependant, il faudrait cinquante écus en plus, devant, en la première année, se munir de quelques ustensiles nécessaires. Il envoyait, également, une liste des livres nécessaires pour la susnommée instruction des jeunes ; il n'est pas nécessaire de l'enregistrer. Il concluait en déclarant que, quelques prélats maronites lui avaient dit, que la Sacrée Congrégation ne voulait pas assigner un nouveau subside particulier au séminaire en question. Il jugeait pouvoir être retiré des rentes assignés aux collèges maronites de Rome et Ravenne, vu qu'il se refléterait en leur faveur, puisqu'ils seraient pourvus de bons sujets. La charité est industrieuse, non parce qu'elle connait, mais parce qu'elle est flamme, qui sert  à la raison comme un flambeau dans sa recherche de ses ingénieuses découvertes. Mais avant d'en rapporter, en son propre lieu, un récit distinct, on doit dire, d'abord, qu’il n’a pas été  accompli, pour être passé à meilleure vie, en cette année 1649, le vénérable patriarche Joseph. Il lui succéda au siège patriarcal, Yohanna,[73] qui, quant à l'affection envers nos missionnaires  suivit le penchant de son prédécesseur. Pour le démontrer, il fit plusieurs fois instance au père Celestino d’aller à Rome, en tant que son légat auprès du Souverain Pontife, Innocent X, pour lui exprimer en son propre nom, sa déférente soumission et lui implorer la confirmation dans sa dignité et le pallium, envoyé habituellement par le  Saint Siège. Mais le père ayant exprimé sa gratitude pour l'honneur signifié dans ce choix, le supplia humblement de l'en dispenser vu qu'il ne pouvait abandonner la mission n'ayant qu'un seul compagnon, le père Gio Chrysostome qui n'avait pas la pratique de la langue arabe, étant donné que le père Matteo, comme il sera dit en son lieu, avait été envoyé par les supérieurs à Bassora en Arabie. Cet empêchement résulta, immensément, fâcheux au père Celestino même, puisque, comme il le dit lui-même, il serait allé de très bon gré à cause de l'ardent désir qu'il nourrissait de représenter à nos supérieurs l'état de cette mission et de les enflammer à la promouvoir. Mais, cédant à l'inespérable difficulté, il substitua à sa place le père Gio Chrysostome, qui y alla avec une lettre du patriarche en compagnie de son agent. A ce départ, il se retrouva, à nouveau, seul et, peu de temps après, il partit visiter le monastère que nous entreprenons à traiter.   

A commencer par le site, son ancien nom était le Désert de saint Jean Baptiste ; à cela ne parait point correspondre la délicieuse montagne dont il fait partie. Il est loin de notre couvent de saint Elisée l’espace d’environ deux journées, et de Baruti ô Berrito une demi-journée seulement. Il y avait là, déjà, un couvent de moines maronites qui professent les règles de l’Abbé saint Antoine, et le patriarche susnommé (Joseph Akoury) y avait fondé, à la distance d’un tir d’arquebuse, un monastère de moniales du même institut. L’église qu’il y avait construite était d’une grande beauté, mais en ce temps-là, le patriarche son fondateur étant mort, la construction du monastère n’avait pas été menée à sa fin. Les moniales étaient au nombre de vingt-cinq  quand notre missionnaire y alla. Il ne nous donne aucune notice de leurs observances particulières, disant seulement qu’elles récitaient, dans le chœur, l’office divin en langue syriaque et arabe, avec cependant, beaucoup de décence, les maronites étant très attachés à la psalmodie. Dans le spirituel, elles suivaient la direction des moines susnommés qui leur célébraient les messes et leur administraient le sacrement de pénitence. Pour la subsistance temporelle, soit du couvent des religieux, soit du monastère des moniales, servait une rente commune qu’ils retiraient des nombreux arbres de mûrier blanc plantés autour de toutes les deux  maisons, en vendant les feuilles et, par hasard, en s’en servant à nourrir les vers à soie à laquelle on travaille abondamment et qui est d’excellente finesse. Ces plantes ont une production supérieure à celle des nôtres en Italie, car on en recueille les feuilles deux fois l’année ; à la première, elles servent  à la nutrition des susdits vers, la seconde pour celle des animaux. Pour qu’elles vivent plus longtemps, durant les précédentes cueillettes des feuilles, il est bon de les tailler, en laissant, seulement, quelques branches des plus vieilles sur le tronc nu ; et sans cette manière de culture, elles périssent plus tôt, et elles ne sont pas aussi fertiles. Ces susdits couvents possèdent aussi quelques propriétés, et les moines ont la charge de les faire cultiver et d’en recueillir les fruits. Il y a bien longtemps, notre père Celestino avait été invité, à ce lieu, par le défunt patriarche Joseph, comme il avait reçu de la mère abbesse, de non moindres obligeantes requêtes, désirant tous les deux une direction particulière dans l’exercice de l’oraison mentale, et une instruction dans l’exactitude de l’observance régulière. Dans les débuts de la fondation, qui requièrent une assistance particulière pour la disposition de tout le nécessaire et l’arrangement de la construction, le fait d’avoir été seul la plupart du temps, ne lui avait pas permis d’y aller, bien que sollicité, longtemps, par les chaleureuses lettres de l’abbesse qui le suppliait de les réconforter, elle et ses religieuses. Ne lui manquant pas l’autorisation du patriarche nouvellement élu, Yohanna, il décida de les satisfaire avec l’intention de s’y attarder pour quelques semaines. Il partit entre- temps de Tripoli, le 14 janvier, et ayant atteint la susdite montagne, les moines maronites l’accueillirent avec des expressions de grande satisfaction ; mais la jubilation de la mère abbesse et de ses religieuses fut, autant qu’on puisse imaginer, majeure. Il s’appliqua, immédiatement, à les réconforter, en écoutant leurs confessions et en examinant, en particulier, l’esprit de chacune d’elles. Chaque jour, presque, il leur disait une exhortation spirituelle, les animant au service de notre Seigneur, et les enflammant dans l’exactitude de l’observance régulière. Il leur prescrivit des méthodes propres à les favoriser dans l’oraison mentale et il  introduisit un mode de vie bien conforme à celui de nos carmélites déchaussées ; aussi les renouvela-t-il, toutes, dans l’esprit. Il se consola, lui, surtout, en réfléchissant à ce que Jésus Christ possédait, au milieu des sordidités mahométanes, un chœur d’âmes aussi pieuses et vertueuses, fiancées à lui par  amour. Cependant, ce travail ne l’empêcha pas de s’adonner au profit de son âme, en consacrant de nombreuses heures à la prière et en jouissant de la quiétude de cette solitude et retraite dans le couvent des moines. Il eut dans ses intentions  d’y rester pour longtemps, au cas où les supérieurs le lui auraient permis ; car, non seulement il s’attellerait à l’orientation des religieuses, mais l’opportunité d’exercer la charge de missionnaire ne lui manquerait point, en allant dans les villages des environs  prêcher la parole de Dieu, administrer les Sacrements, et enseigner ces pauvres gens. Il écrivit pareillement, que s’il viendrait deux de nos religieuses, elles seraient bien profitables pour les diriger dans l’observance, mais il ajouta que cela pouvait plutôt être désirable que faisable, apparaissant cela, au moins en ce temps-là, tout à fait impossible. Le père Celestino ne s’étendit pas à donner des nouvelles particulières de l’institut de ces religieuses, remettant cela au père Brizio  capucin, qui pouvait les donner bien exactes, et il était en partance pour Rome avec l’intention d’y éditer quelques œuvres composées par lui en langue arabe, et il serait lui- même porteur de la lettre. Il promit, cependant, d’en envoyer, en une autre occasion, un rapport plus détaillé ; entre-temps, les religieuses lui faisaient des obligeantes instances pour qu’il reste pour leur propre formation et direction spirituelle. De celle-ci, la mère abbesse se montra hautement désireuse, et dans l’espoir de pouvoir l’obtenir, elle écrivit, de sa propre initiative, deux lettres en langue arabe, tracées en caractères syriaques dont elle avait l’habileté. L’une de celle-ci était adressée à notre Préposé général, et l’autre au Procureur général de notre Réforme, dans lesquelles, elle leur exposait son désir. 

Le père Celestino les envoya toutes deux avec le dit religieux, s’excusant de ne pas les envoyer traduites dans notre italien faute de temps. Et puisque, celle qui est adressée à notre père Isidoro de saint Joseph, Procureur général, est conservée dans nos archives, traduite en italien, je ne veux pas omettre de la transcrire, contenant des sentiments d’humble tendresse avec lesquels elle manifeste son ardent désir et celui de ses religieuses, et elle est comme suit.  

‘’A la révérence du révérend père Isidoro, carme déchaussé : nous baisons la terre et nous nous inclinons sous l’escabeau des pieds sacrés du clair soleil et étoile du désert couronné avec la couronne de la bonté. Notre père et maître, notre père Isidoro, religieux d’éminente distinction, dans la congrégation des excellents religieux carmes déchaussés, frères de Notre-Dame, la très pure Vierge Marie, révérend père, brillant dans les sciences divines, docteur en théologie, que le Seigneur ait pitié de nous par l’intercession de ses saintes prières et de ses bienveillantes bénédictions et intercessions. Amen. 

Premièrement, l’occasion d’écrire c’est notre grand désir de baiser la terre de vos saints pieds. En second lieu, nous remercions votre révérence pour votre bonté et votre bienfait envers nous. Quand la nouvelle de votre sainte vie et du zèle spirituel, avec lequel vous avez procuré notre bien, nous est parvenue, en particulier, ô notre père Isidoro, votre courtoisie s’est bien accrue en nous envoyant le père Celestino qui est l’un de vos religieux, en effet nous l’avons constaté, le révérend  père fait beaucoup de bien auprès de la nation par sa sainte vie et ses sermons et par son zèle pareil au zèle du prophète Elie. Il ressemble à l’étoile du matin, il brille et montre la lumière au peuple de Dieu, et il a gagné les cœurs de beaucoup d’hommes au service de son Seigneur ; et nous, ayant entendu son nom, nous avons envoyé le demander à notre Seigneur le patriarche afin qu’il vienne nous prêcher et nous proclamer les règles de la religion, car notre pays est resté ruiné par la tyrannie du mahométisme et ils ne sont plus restés, ni religieux, ni religieuses, mais avec la bénédiction  de vos prières,  aujourd’hui,  notre religion s’est renouvelée par l’aide de Dieu et la vôtre, pour avoir envoyé vos religieux en notre pays ; principalement, le père Celestino qui s’est empressé de tout son pouvoir et sa force à nous gouverner. Et de toute notre affection , nous supplions votre paternité de lui donner l’autorisation de demeurer dans le monastère des religieux qui est tout près de notre couvent, afin qu’il puisse nous prêcher et enseigner la vie religieuse, car nous sommes ignorantes et nous ne savons pas quelle est la vie sainte ; et si vous ne voulez pas le laisser demeurer seul parmi les susdits religieux, pour le moins, envoyez-lui un compagnon qui puisse être avec lui ;  nous leur donnerons une église au village appelé Gusta, église qui appartient à nos parents, afin qu’ils puissent prêcher et enseigner notre pays. Car nous ne pouvons pas expliquer à votre paternité combien nous avons besoin  d’apprendre et d’être orientées. Si nous avions des ailes et pouvions voler, ou mieux, marcher à genoux, nous serions venues déclarer notre statut, mais avec tout cela, il nous est impossible ; et les lettres ne parviennent pas à dire la mélancolie que nous avons au cœur. Il est donc nécessaire, que votre courtoisie nous envoie deux moniales qui soient vertueuses et excellentes dans leur science afin de marcher sur la bonne route devant nous, si vous le trouvez convenable, toute prudence comptée. Et si elles ne viennent pas, ordonnez au père Celestino qu’il ait soin de nous, car il est bon, il craint Dieu et il est fidèle. Ne nous méprisez pas, parce que nous avons besoin de votre aide ; et il est dans l’habitude des enfants d’avoir recours à la miséricorde de leurs pères. Et nous, vos servantes nous ne connaissons pas d’autre père que vous, c’est cela que nous faisons savoir à votre paternité et après avoir mille fois baisé vos pieds.  Ne nous  oubliez pas dans vos saintes prières et nous vous demandons en aumône que vous priez pour nous par amour de Jésus Christ.  Vos servantes, humbles moniales du Mont Liban. Ecrit au monastère de saint Jean, couvent des moniales ; aujourd’hui premier février, 1650. En présence de toutes les habitantes du couvent ; elles baisent vos pieds et demandent à votre sainteté la bénédiction et les saintes prières.’’  

Le père Celestino avait apporté, par sa présence et ses salutaires enseignements, une inexplicable consolation aux religieuses du dit monastère. Le mécontentement, laissé par son départ, fut égal à leur joie, perdant toujours avec regret ce que l'on possédait avec joie. Toutefois, il apaisa quelque peu leur regret en les laissant dans l'espoir de pouvoir retourner et rester plus longtemps quand notre Préposé général  le trouverait convenable ; aussi, comme il le dit lui-même dans des lettres redoublées, adressées à notre Préposé et Procureur général, il raconte avoir visité le monastère, et rapporte les instances faites par les religieuses. Retourné à sa résidence et ensuite  à Tripoli, où avait déjà été établi notre hospice, il y retrouva quelques missionnaires dont l'un, le père Giovanni de la Croix, de nationalité française, était député pour le soulager. Ils étaient arrivés le premier de février de cette année et le père Celestino s'était grandement réjoui à le voir ; sa joie devint majeure en traitant avec lui, s'étant rendu compte qu'il était religieux doté de caractère calme et fort paisible, et surtout ce qu'il estimait en lui, son grand désir de profiter de la langue arabe ; aussi emporté par son penchant déchaîné, il se mit avec grande application à la lui apprendre, et l'on se rendit compte qu'il ne tarderait pas à satisfaire à sa charge de missionnaire. Avec l'argent apporté par ce religieux, il acheta une maison à Tripoli[74] pour y établir, définitivement, un hospice, dont nous parlerons en son propre lieu. Mais sa joie fut bientôt attristée, en premier lieu, par la très grave angoisse dans laquelle il se retrouva, à cause du susnommé jeune flamand à qui il avait remis l'habit d'oblat sous le nom d’André de saint Elisée. Je rapporte cela très volontiers, pour servir d'avertissement, à celui qui répugne d'obéir à la direction et aux conseils de son père spirituel. Andrea s'appliquait à l'oraison, avec une ferveur indiscrète ; et voulant, durant le carême, jeûner avec une rigueur exorbitante, il commença à accuser une faiblesse de tête. Le père Celestino l’avertit d'une manière très charitable, selon l'enseignement de notre Mère sainte Thérèse, laquelle, maitresse de l'esprit très habile, enseigne de ne pas permettre le jeûne à des telles personnes. Andrea ne fit aucun compte du conseil de notre père, disant que n'étant pas profès, il n'était pas tenu à obéir. Aussi,  la faiblesse de la tête croissant, Andrea se jugea-t-il favori par Dieu de visions et d'autres sublimes et divines faveurs. Notre père s'efforça de l'en désillusionner, en lui prouvant qu’elles étaient imaginaires et illusions diaboliques, mais le visionnaire, persistant dans son sentiment opposé, finit par tomber dans une manifeste folie. Le père décida, sur le conseil du consul de Tripoli, de le renfermer dans une chambre. Le père voulut se libérer de lui, en le consignant au capitaine d'un navire en partance pour Venise, mais celui-ci ne voulut pas le recevoir, craignant justement de mettre la pagaille parmi les navigants. Ce labeur s'avérait, extrêmement, sensible à notre missionnaire ignorant comment s'y comporter, alors que, très pris par les occupations domestiques et celles de sa charge, il avait besoin plutôt de quelqu’un qui prenne soin de lui. Pour en remettre la tâche à un autre séculier, il manquait d'argent ; d'autant plus qu'il devait pourvoir de tout, le forcené Andrea, la charité ne permettant point de l'abandonner. Dans ces difficultés, il ne trouva meilleur moyen, suggéré, d’ailleurs, par le Consul, que de l'envoyer à Chypre, où il trouva la possibilité de l'embarquer pour Livorno, afin d'être, à partir de ce port, et par le moyen d'un ami flamand,  confié à quelque capitaine de vaisseau hollandais, et restitué à Anvers sa patrie. De cette façon, manquant du  soutien nécessaire de cet oblat, et pour des raisons urgentes, parmi lesquelles, primait le manque d'argent, ne voulant pas engager un séculier du pays, il échoua sur un autre labeur. Son unique compagnon,  le père Giovanni de la Croix, très désireux de progresser dans l'étude de la langue arabe, avec une sainte intention de s'adonner aux fonctions propres au missionnaire, était navré de ne pas avoir un maître qui puisse la lui enseigner ; le père Celestino, très calé, aurait pu le faire, mais étant très occupé à satisfaire à sa charge, non seulement, de missionnaire, mais aussi de vicaire, il n'avait pas le temps de  la lui apprendre, au moins, avec l'attention désirée par le père. Le vicaire fit son possible pour le satisfaire ; il lui procura un autre maître ; il lui concéda toutes les exemptions, afin d'avoir le temps d'étudier, prenant à son compte, en toute exemplaire humilité, toutes les besognes domestiques, même celles de la cuisine et autres plus humbles ; aussi avait- il, à peine, le temps de se réconcilier sacramentellement. Le père Giovanni, ne se trouvant pas satisfait, malgré tout cela, lui fit instance de l'envoyer, pour quelques mois à Alep, vu que là-bas, il l'apprendrait plus vite, avec l'assistance suivie de père Bruno, vicaire de cette résidence, et l'émulation de père Gio Pietro, engagé dans la même étude. Et l'ayant suffisamment assimilée, il retournerait immédiatement à l'aider, vu que sans l'habileté en cette langue, il lui serait un fardeau plutôt que de confort. Pour ces raisons, et parce que le père Giovanni se démontrait chagriné, il consentit  à lui faire plaisir, restant dans l'affliction et la souffrance  procurées par le fait d’être seul. Surtout, ayant reconnu, en la personne de père Giov, un religieux de vertu éminente et capable d'apprendre ladite langue ; il espérait, d’ailleurs, qu’il sera, certainement, un excellent missionnaire. Le Seigneur, cependant, en permettant les épreuves, veut qu'elles servent de mérite pour jouir de ses consolations internes, de loin supérieures aux sensibles. Le père Celestino confie: '' Moi, cependant, me retrouvant tout seul, après le départ de mon cher compagnon, j'ai réintégré notre mission du saint Mont Liban, où  j'essaie de me dépenser en profit spirituel des âmes, bien que, par beaucoup de peine et d'angoisse ; mais, voyant que notre Seigneur me soutient d'aide particulière et de forces pour remonter mon ineptie et ma faiblesse, je me retrouve, quelques fois, débordant de consolation, content et joyeux, désireux de réaliser quelque chose de solide et de remarquable au bénéfice spirituel de cette nation maronite''. Notre missionnaire estimait trouver cet idéal dans l'érection du séminaire, où la jeunesse maronite serait éduquée dans la doctrine et dans la piété chrétienne. Il en avait présenté le projet à Rome, comme il est dit là- haut, de même il avait assigné les moyens de l'entretenir. Mais, après avoir attendu la résolution, pendant longtemps, et avec une grande anxiété,  avec un égal déplaisir, durant cette année 1651, la réponse lui parvint tout à fait opposée à son dessein, paraissant entraver en grande partie la progression spirituelle de la même nation. Il poursuivait, entre-temps, à suggérer que cent écus, l'année, auraient été suffisants à l'éduction d'une dizaine de jeunes, comme ils auraient été une très mince somme, face à une grande utilité spirituelle. Il ne lui paraissait pas impossible de procurer, par une autre voie, ladite rente mais, elle devait être stable. Ceci serait une simple aumône face au grand signe qu'elle pourrait exprimer en tant qu'utilité. Il s'écriait, en dernier lieu, que si cette œuvre aussi pieuse n'était pas faite par nos missionnaires, elle serait entreprise par des missionnaires d'autres Ordres, réalisant ainsi leur désir de s'établir au Mont Liban. Le patriarche ne voulait pas les y admettre mais, par hasard, alléché par la grande utilité spirituelle de ce séminaire,  il se plierait à les recevoir. Son mécontentement, cependant, fut calmé, quelque peu, par l'arrivée d'un autre missionnaire dont il espérait un grand réconfort puisque, étant natif du même Mont Liban et des environs de Eden, terre archiépiscopale, il possédait  à perfection  la langue arabe, instrument plus que tout autre utile pour coopérer au salut des âmes ; celui-ci était le père Lorenzo[75] qui, vêtu de notre habit à Rome, l'ornait de beaucoup de vertus. Et ayant apporté au père Celestino, non seulement le subside annuel en argent, mais aussi quelques objets sacrés pour la sacristie, il était d'autant plus animé à poursuivre l'accomplissement de sa charge. Etant devenus, avec ce nouveau missionnaire, trois prêtres, ils décidèrent d'accomplir un décret laissé par écrit par le père Domenico, visiteur général. Approuvant, celui-ci, la résidence de saint Elisée, il avait enjoint au père vicaire de s'arranger pour en fonder une autre en la terre  d’Ehden, le plus grand et le plus peuplé de tous les autres villages du Mont Liban avec le titre d'archevêché. Il voulait que celle-ci fût la principale, en correspondance de ladite terre. Ceci avait été différé par le père Celestino, faute de missionnaires ; et étant survenu, en ce temps, le susnommé père Lorenzo, il escomptait l'y envoyer ayant quelques parents dans ladite terre dont il était natif. L’archevêque le connaissait également d’où il y était totalement enclin. Il manquait seulement le consentement du patriarche ; et lui ayant fait instance, il envoya l'autorisation, avec beaucoup de plaisir, accordant à nos religieux un petit et ancien couvent au nom de sainte Mura. J’estime  que la martyre n'est pas une vaine conjecture ; crucifiée avec son mari saint Timothée, elle survécut suspendue sur la croix pendant cinq jours ; et le fondement de cette conjecture c'est d'avoir enduré le martyre dans la Thébaïde, solitude confinant avec la Syrie. Le site de ce petit couvent plaisait par son charme, et il est à moindre distance de Tripoli, aussi était-il plus commode que celui de saint Elisée déjà en nos mains ; les missionnaires pouvaient, d’ailleurs, rendre service aux maronites quand ils descendaient pour rester quelque temps dans les plaines de ladite cité comme il en sera dit. Pour l'exécuter, la faculté ne leur manquait point, munis amplement par l'archevêque, sur tout le diocèse. Ils manquaient d'un plus grand nombre de religieux, ayant trois résidences, en comptant celle de Tripoli annexée à cette mission. Le père Celestino ne cessait point de faire des instances réitérées, faisant montre à nos supérieurs, quelle splendeur ne rendrait à notre Réforme cette mission à elle seule, dans laquelle avec la culture spirituelle de la nation maronite, on aurait rendu une grande gloire à sa Divine Majesté. Quant à la conversion des Macomettani aucune lueur d'espoir n'apparaissait qu'au cas où de nouvelles émergences changeraient l'état du très puissant empire turc. 


[1] - Il s'agit des maisons fondées par les carmes de la Réforme en Orient ; d’abord en Perse à Ispahan, à Alep au nord de la Syrie, ensuite à Bosra en Irak et la reprise, par le vénérable père Prospero, de la Montagne du Carmel en Palestine 

[2] - Père Philippe de la très Sainte-Trinité – Esprit Julien, né en 1603 ά Malaucène, Vaucluse, France – missionnaire à Goa en Perse, ά Bosra en Irak et enfin Préposé General des Carmes de 1665 à 1671. (A.G. 322, Cf. Vie de N.P. Philippe de la très Sainte-Trinité)

[3] - Vincentius Maria a Regibus, italien né à Codogno-Milan, missionnaire en Syrie ; il sera vicaire de notre hospice à Tripoli, de 1720 ά 1726

[4] - Guillaume, évêque latin de Tyr. Dans son “HISTORIA RERUM”, il relate les faits et gestes des solides montagnards maronites, “des gens moult hardis et preux es armes maints grands secours surent faire à nos chrétiens”. “Pour répondre aux accusations portées contre les maronites par des annalistes  qui se prévalaient d’une phrase de Guillaume de Tyr,  Ad-Douaihi, composa un ouvrage à part qu’il intitula “Al Ihtijaj”. “En résumé, écrit Mgr. Pierre Dib-(“Histoire de l’Eglise Maronite” p.52)- Guillaume de Tyr ne connaissait la foi des maronites que par Eutyches..”

[5] - Chalcédoine, aujourd'hui Kadiköy, ancienne ville d'Asie Mineure sur le Bosphore. La ville servit de siège au IV concile œcuménique tenu sous le pontificat de Léon premier en 451. Les pères du concile y condamnèrent le Monophysisme ne reconnaissant qu'une seule nature dans le Christ. On ne saurait expliquer la grave méprise de notre pieux confrère: Il a échoué dans une grave confusion. Le concile de Chalcédoine condamna le Monophysisme alors que le Monothélisme, attribué injustement aux maronites, n'apparut comme doctrine qu'au VII siècle et condamné comme tel en 681 au III concile de Constantinople.

 

[6] - A onze kms au sud de Jisr-el-Chougour, province d’Idleb, en Syrie du Nord, Il y a deux villages au nom de Mourania et de marouné. Certains annalistes  en font dériver l'appellation, maronites, alors que les historiens maronites sont unanimes à en rattacher l'origine  à leur fondateur  saint Maron de  Cyr. ‘’  Le nom maronite s'est insensiblement transmis d'un Ermite à  un Monastère, d'un monastère à une nation qui a survécu à l'empire romain de Constantinople et aux autres empires. ‘’{Edward Gibbon} Notre vénérable auteur, à court d'informations à propos de ce peuple, et doutant, peut-être, de ce que rapportent ses confrères missionnaires, puise, à volonté, dans l’œuvre de  Guillaume de Tyr.

 

[7] - Cesare Baronio. Napolitain de la congrégation de saint Fillippo Neri, est élevé au titre de cardinal par le Pape Clément VIII. Parmi ses œuvres majeures comme historien, sont à noter les "Annales Ecclésiastiques" (Cf. Stephanus Addouaihi in Boutros Fahed, Liber Brevis, p.435)

 

[8] - Latran-palais contigu à la basilique saint Jean à Rome. Pendant une dizaine de siècles, il fut la résidence des Papes. Cinq conciles œcuméniques y furent tenus entre 1123 et 1517.

 

[9] - Arméniens. L'interférence entre Arméniens et maronites relevée et qualifiée ici d'infection par les délégués pontificaux est repérée non seulement sur le plan liturgique dans la confection du saint Chrême, mais aussi, elle est à remarquer dans l'ancienne architecture religieuse maronite. Quelles sont les sources et les rapports de cette interférence si vraiment il y en a ? Peut-on reporter l'origine de cette "contamination" à leur lieu d'origine, le nord de la Syrie, ou bien doit-on accuser l'impact des Mardaïtes, venus du nord sur la population syriaque du Mont Liban? "…Il y a une relation fort antique entre notre nation et celle des arméniens."(cf lettre de Ad-Douaihi à Propaganda in Libro brevis explicationis p.27) A propos des emprunts arméniens sur le plan architecture religieuse cf.Mourani César, ocd, in ‘’Cobiath sous les Croisés"

 

[10] - Franciscains: Les deux franciscains susnommés sont le père Giovanni Francesco da Potenza, légat pontifical auprès du peuple maronite accompagné de son interprète, le père Francesco di Rieti. Cf. Agostino Arce, "Maronitas y Francescanos en el LIbano.1450-1516 VII, p.251" rapporté par le père Halim Njeim in "Franciscains et Maronites" Beyrouth 2009, page 167

 

[11] - "Furache fils de Marabet": Transcription ou lecture erronée du patriarche Chamoun Al Hadathi. (Voir note 14)

 

[12] - Election du Patriarche- Le même cérémonial est rapporté au Pape Léon X, dans une lettre du Patriarche Al Hadathi, traduite en langue latine par le père Francesco Soriano.(cf. Ad-Douaihi- Liber Brevis, p.269)

 

[13] - Monastère Notre-Dame de Cannoubine, siège patriarcal, du XV jusqu'aux débuts du XIXe s.

 

[14] - Question de Chypre. Le patriarche du moment --l'année 1514 - Chamoun Al Hadathi, se plaint dans cette lettre adressée au Pape Léon X des sévices du Duc de Venise à l'encontre de ses ouailles  maronites, et de la goinfrerie de l'évêque latin de l'Ile qui venait de confisquer les biens des Maronites á Nicosie. Le patriarche réclame l'intervention du Pape pour avoir justice. (cf. AD-Douaihi, Liber Brevis, p.269)

 

[15] - Concile du Latran : Il s’agit du cinquième concile du Latran tenu entre 1511-1516, sous le pontificat de Léon X. Les légats du Patriarche, (Joseph Akouri, devenu à son tour patriarche, et Elia  devenu évêque d'Ehden). Les légats, arrivés en retard, assistèrent à la onzième session du concile tenue en date du 19 décembre 1516.(Cf P.Halim Njeim in lib. Cit.p.2,3, et p.166 passim.)

 

[16] - Collège maronite: "En 1580 le souverain pontife Grégoire XIII fonda à Rome un établissement d'enseignement pour les maronites. Il lui consacra des rentes et des maîtres pour y enseigner toutes les sciences. Il en informa le patriarche d'alors,…Mikhail Bin Youhanna Al- Rizzi {1567-1581}  de Bkoufa, village, actuellement, en ruines, au sud-est de Ehden- Il lui demande d'envoyer des enfants, groupe par groupe, pour y apprendre toutes les sciences."(Al-Aintourini, Lahed khater, Beyrouth 1983, page119. Lire aussi Al Majmaa Al-loubnani, p. 543 et suite.)

 

[17] - Cette plaine… Il s'agit de la célèbre plaine de Jdaidé- Zgharta, jadis si" pleine d'oliviers et de mûriers", après quatre siècles environ,  elle  est toujours plantée d’arbres mais, d’oliviers seulement, le mûrier à  soie ayant presque disparu du sol libanais.

--ANCHERA : Les historiens zghortiotes ignorent ce vocable.  Le nom serait-il composé de deux mots, Ain-l’koura ? Selon Simaan Al-Khazen-Histoire d’Ehden, la ville portait le nom de Thalassar : Jardin de l’arrondissement, ou Ain-Alkoura,-source des villages

[18] - Ceci a dû avoir lieu, lors du passage de père Celestino en1639.

 

[19] - Mar Sarkis, couvent actuel des pères antonins, situé sur la route qui mène à la source homonyme.

 

[20] - Le chiffre cité semble quelque peu douteux. La forêt des cèdres de Bcharré ne semble pas avoir été bien fournie, mais le nombre de ses arbres, bien qu'il ne soit pas identique chez les divers pèlerins, ne paraît pas avoir été réduit à cette petite quantité.

 

[21] - "… Le pape Calixte III, écrit Daniel-Rops, successeur de Nicolas V, de son premier nom, Alonzo Borja, espagnol de naissance, était un vieil homme, de mœurs dignes, plutôt effacé, dont les principaux titres à la tiare furent, précisément, son grand âge…"(Daniel-Rops, Histoire de l’Eglise, vol V, p.183)

-Victoire : Il s’agit de la victoire remportée en l’an 1457 par la flotte que le Pontife venait de rassembler, sur la marine turque…(Daniel-Rops, ibidem)

[22] - La Transfiguration: Suivant une vielle tradition, les maronites de Bcharré et sa banlieue font le pèlerinage à pieds jusqu'aux cèdres de la montagne qui couronne la ville. Chez eux, c'est une pieuse dévotion plutôt qu'une croyance à la Transfiguration sur les lieux. En plusieurs endroits du Liban, les maronites font le pèlerinage jusqu'à quelque élévation voisine, où ils auront dressé un autel ou planté une croix pour y célébrer la fête. N'oublions pas qu'ils sont les descendants et héritiers des phéniciens qui ont sacré les cimes du Liban

 

[23] - "prince- Dans le temps évoqué par l'auteur, la Montagne maronite était gouverné par un chef de la famille el khazen.Il portait simplement le titre de "chaïkh", relevant d'un Emir (prince) druse, l'Emir fakhre-eddine et sa famille. Bcharré était un gros bourg qui avait un "premier’’. Il portait le titre de Mokaddam. D’ailleurs il n'était pas  le seul mokaddam ; la plupart des villages avaient leur" premiers’’ leur mokaddam.

 

[24] - La nouvelle, fort probablement, infondée, revient ici à un roi Bahete qui semble ne pas avoir existé. Faut-il lire cette légende dans un autre évènement qui rapporte le fait au sultan Barkouk qui, en1388, suite à une défaite, finit par arriver à Bcharré où il est bien reçu par le Moukaddam yacoub…(voir Addouaihi, liber Brevis,cit,pages392 et ss.) (et Aintourini, cit.p.91)

 

[25] - Le chemin suivi à cheval par la célèbre compagnie est l'actuelle route provinciale qui relie Bcharré à Ehden. A un certain endroit du village Blawza, on met pied à terre pour descendre vers la vallée. La piste est actuellement suivie par les pèlerins qui veulent rejoindre Notre-Dame à pieds.

 

[26] - La chapelle actuelle de sainte Marina est située à une petite distancée du monastère. Actuellement, elle fait fonction de chapelle  funéraire et tombeau des patriarches. Le corps de la sainte a été transféré à Venise en 1113.La chapelle funéraire conserve, à ce qu'affirme Al Aintourini (op.cit.p.140) le bras de la sainte avec les restes des saints patriarches.

 

[27] - Abu-Nafel. C'est le célèbre Nader Abou-Nawfal, de la famille Al khazen, gouverneur de Keserwan et, à un certain moment, du Mont Liban. Son père était le célèbre chaïkh Abou-Nader, l'homme de confiance de l'Emir Fakhre-Eddine et son conseiller. Au témoignage des historiens occidentaux, Abou-Nawfal "était doué d'une intelligence supérieure et d'une sagesse à toute épreuve. Il avait une perspicacité, hors du commun, dans la gestion des affaires, comme s'il avait reçu sa formation en Europe". Nommé, lui aussi Mokaddam de keserwan et assesseur aux finances de la Montagne, il fut promu en1659 au consulat par le roi de France Louis XIV, comme il eut ses honneurs à la cour papale

الأصول التاريخيّة. الأب بولس مسعد المجلّد 3-  1958 ص.303-436

كتاب أخبار الأعيان في جبل لبنان للشيخ طنّوس الشّدياق المجلّد 1 ص.62-63-116

Le pape, Alexandre VII, en reconnaissance de ses travaux au service de la religion, l'honora en 1656, lui et ses enfants d'un "collare," comme il le gratifia de l’honneur de porter épée et ornements particuliers en or.

-Cependant nous devons observer, qu’à part les déplorables incidents de 1860, suscités par les intrigues, les druses et les maronites ont vécu  et vivent encore en paix dans des villages mixtes que l'on trouve partout jusqu'à nos jours"

 

[28] - Les druses, habitants de la partie septentrionale de la montagne, sont qualifiés ici de "descendants des normands". L'affirmation nous paraît manquer de fondement historique.

فرح ابراهيم عواد: لبنان في عهد المماليك-مجلّة الفصول اللبنانيّة 9/1983/ص.26-

 

[29] - L'habit, de la même couleur que les nôtres : nous pensons qu’il s’agit de l’habit du clergé européen d’une fois et non pas de l’habit des carmes

 

[30] - Ce sarcophage existe toujours. Arraché à  la caverne, il gît au bas de la montagne, le long d'une route terreuse qui mène à Arn-Aïto. Dans sa mission de Phénicie, à la page 30, Ernest Renan rapporte que Brocard- dans les Rudimenta Novitiorum, fol. 1686, p.28, édition de M. Laurent, mentionne un grand tombeau de douze pieds de long, situé dans une caverne, au pied de la montagne, tombeau dit-il, que les musulmans affirment qu’il est celui de Josué"

 

[31] - Il est historiquement admis que l'ancienne Observance avait fondé plusieurs abbayes et monastères au Liban et Syrie avant son émigration en Europe. La mosquée actuelle d'Ibn Taïnal à Tripoli est hautement reconnue comme "ancienne abbaye des carmes" ; ils ont eu, aussi, une résidence,  à quelques kms de Tripoli, à la montagne, dans un lieu appelé "Bello loco", Beaulieu,’’Ad fontes acquarum quae irriguunt tripolitanos hortos…’’

 

[32] - Père Paul.. De la province de Paris, missionnaire à Alep, il fut au Mont Liban pour apprendre la langue arabe auprès de père Celestino. Tombé malade, il fut conduit à Tripoli. Décédé, il y fut enseveli le 14/10/1643

-Bruno du Sacré-Cœur. S'agit-il d'une erreur? Nous connaissons un seul missionnaire sous ce nom, le père Brunone de sainte Yvonne, compagnon de père Paul en mission à Alep. IL y mourut en odeur de sainteté. (Cf. Nomenclature p.19 et 59).

 

[33] - Les pères capucins avaient déjà fait un premier essai de séjour dans les environs d'Ehden. "L'incommodité du site et les circonstances n'aidant pas", ils avaient abandonné et venaient d'obtenir la concession de saint Elisée.

 

[34] - -"gouverneur de la ville.” Il s’agit du wali de Tripoli, Mouhamad Pacha Al Arnaout, il malmenait tellement les habitants de la Montagne qu'ils durent souvent abandonner et s'évader. {cf p.106,الخوري يوحنا مخلوف البطريرك جرجس عميرة-زغرتا 2002)

 

[35] - 'Village voisin".. La malheureuse rencontre des janissaires a dû avoir lieu juste á la sortie de Hawka. Vu que  la nuit tombe assez tôt vers la mi-mars, et le retard causé par les janissaires, il devait faire déjà assez tard. Surpris par la tempête, ils durent se réfugier chez le vénérable curé de Blawza. Le lendemain, à l’aube, ils durent ravaler la descente de la vallée par Hadchit, chemin toujours faisable, malgré ses difficultés, plutôt que d’aller plus en avant, pour prendre la pente de saint Georges, á l'entrée de Bcharri.

 

[36] - Le patriarche Youssef Al Akouri-{1644-1648}. Il fut un grand ami de nos missionnaires.

 

[37] - il s’agit du Liban d'alors: La Montagne, ou Mont Liban. Nous avons signalé l'essai échoué des capucins à Ehden- père Philippe de la Trinité a été les visiter á Ehden en 1640. Mais en 1643 ils n'y étaient plus.

 

 

[38] - -Ce sont les Maronites: L'histoire se répète, chez eux, rien ne change « nihil novo sub sole ». Les adultes se donnent plaisir d'apprendre aux petits leurs gros mots.

 

[39] - Les textes actuels des litanies et autres prières de dévotion á la très Sainte Vierge, sont-ils les mêmes que  ceux qui ont été traduits par le père Celestino ?

 

[40] - La même pratique persiste toujours, macération de certaines herbes ou conservation des légumes. Le travail artisanal s'est développé en industrie.

 

[41] - L'hospitalité. L’accueil ou l'hébergement charitable du voyageur, pèlerin, touriste ou simple passager, constituait la base sacrée de l'hospitalité chez les maronites. Ceci constituait une surcharge pour les maisons des moines-cf.الأب بطرس فهد- تاريخ الرهبانية ج2/1964/ص.482

 

[42] - Le père Celestino a appliqué avec précision les instructions de saint Ignace à ses missionnaires:"… se mouler, le plus possible, aux usages du peuple qu'ils devaient ramener à leur foi...”Cf. Daniel-Rops, Histoire de l'Eglise.v.VI P.259.

 

[43] - Mai ou mars? Le document rapporte les deux dates. Logiquement, la concession dût être mise sur papier au mois de mai plutôt que mars pour la simple raison qu'à la date du 11 mars1643 le père Celestino était encore en chemin vers Tripoli. Cf. Instrumentum Donationis du vénérable patriarche.

 

[44] - Père François de Jésus: Italien de Genova, il fut le premier compagnon de père Celestino au Mont Liban où il passa toute une année. Transféré à Alep, il fut nommé visiteur de la Mission de Perse. Etabli à Bassra, il y mourut en 1670.

 

[45] - Hrissé- Plat de choix dans les festivités publiques maronites ; il est toujours en usage dans les villages où l'on solennise la fête du saint patron.

 

[46] - Saviez-vous que le melon chaud est un épuratif naturel fort efficace, ses effets sont prouvés. Le vénérable père souffrait-il d'une forte constipation? Dans le cas contraire, ce fut un véritable prodige.

 

[47] - Camp des Francs, caravansérail, Kisarya des Francs, ce devait être d'après le texte ce que nous appelons Khan, ou auberge.- Voir l’emplacement sur la carte de Dr. Issam Khalifé. (La carte est empruntée à son livre « Les impôts sous les Ottomans »}.

 

[48] - San Tommaso- Mis à part l'intermède franc, la ville de Tripoli a été sous gouvernement islamique- Les maronites, habitants de la montagne avec leurs Mokaddams, se sont peu à peu approchés de la cité sous la poussée des nécessités climatiques, des échanges commerciaux, et du calme offert par les circonstances politiques. Etablis sur les bas-plateaux dominant la ville, ils s'en approchaient ou bien ils se retiraient dans leurs refuges montagnards, selon les vents contraires ou favorables. Ils avaient leurs lieux de culte et leurs cimetières dans les parages. Des restes antiques en témoignent jusqu'à présent. Mais de saint Thomas ? Le père Celestino, dans sa « Relatio latina », manuscrite, écrit à la page 64 "Eademque die, hora circiter quarta pomeridiana… corpus defuncti (patris pauli) in ecclesia maronitarum vetusta divo Thomae apostolo dedicata quae unico fere miliari distat a civitate Tripoli sepultum fuit…." A un  mille, à moins de deux kms de l'ancienne Tripoli, nous n'avons trouvé, après toute recherche, ni église, ni cimetière, sous ce vocable. Le père Celestino est pourtant très précis: un milliare romain-(1481.5). Il n’indique pas la direction… Cette église maronite serait-elle le cimetière maronite actuel situé à l’entrée d’Abou-Samra, à quelques pas au sud-est du château-fort ? Ce cimetière est actuellement sous le patronage de saint Jean. La distance entre l’emplacement présumé du Camp des Francs et le cimetière correspond, à peu près, au mille indiqué, si l’on suit la route actuelle par Talaat Al-Rifaiyé

 

[49] - "Bonne entente": Cette entente entre druses et maronites est " bonne" comme elle l'a été dès les débuts de leur cohabitation, sauf à des rares occasions. Les rapports se sont parfois dégradés entre les deux communautés, les troubles étant le plus souvent, fomentés par l'ingérence d'un tiers. De penchant féroce", ils sont vindicatifs et très solidaires. Ils perdent tout sens d'humanité quand ils se sentent lésés. Se rappeler les massacres de 1860 et dernièrement la "guerre de la montagne’’ en 1976.

 

[50] - Souvent c’était des extorsions  en plus des impôts réguliers ; certaines mosquées percevaient une partie de leur revenu, comme taxes sur les monastères. (cf. Boutros Fahed op.cit. p.482- et p. Boulos Masaad.op.cit.p.121. Dr Issam Khalife, les impôts ottomans au XVI siecle. 

 

[51] -

[52] - Le couvent est niché dans un massif rocheux au pied de l'escarpement nord de la vallée. Protégé des vents rigoureux de l’hiver, par une couronne de hauts sommets, il est à peine caressé par le souffle modéré de l'ouest qui remonte de la mer en se faufilant à travers un dédale souvent interrompu de vallons. Sa façade donne sur le midi, aussi, le soleil quand il y en a, balaie-t-il, jusqu’à présent, de sa chaleur,   l'intérieur des cellules de la construction.

 

[53] Amurât IV- Murad IV, sultan Ottoman de 1623 à 1640, sanguinaire et impitoyable ; c'est lui qui ordonna la décapitation de l'Emir  du Liban, Fakhre-Eddin

[54] - Moine byzantin, adversaire du nestorianisme, il fut condamné au concile de Chalcédoine (451).

 

[55] - Cette toile si précieuse existe-t-elle toujours, ou bien elle est fourrée dans quelque grange, si jamais elle a échappé à la destruction. Le père Ayoub yaacoub, il y a deux ou trois ans, a retrouvé une toile abandonnée dans la grange de notre couvent à Bcharre. Il l’a restaurée et remise en notre église de Saint Joseph. La toile est imposante. Est-elle celle d’une fois ? Les experts pourront nous informer à propos de son Age.

 

[56] - Sépulture  de Chasteuil : Les dépouilles de l'ermite furent, d'abord, déposées dans la caverne dite "Tombeau des évêques", évidée dans le mur occidental, à gauche du visiteur (voir le texte). ‘’Au neuvième jour son corps est retiré et replacé dans un lieu séparé ‘’, ajoute le texte mais il ne précise pas les coordonnées. Le laissa-t-on  á l'intérieur de l'église ou bien fut-il déposé ailleurs. Le bâtiment actuel a été remanié. La chapelle actuelle, n'est pas celle d'une fois. La restauration est de bonne facture, mais l'archéologie en est loin. Le premier couvent, celui où descendit père Celestino, mesurait soixante palmes de façade donc treize mètres, à peine, de longueur sur une largeur variable. Or, la construction actuelle est de beaucoup plus longue, ceci est explicable par un remaniement postérieur. De l'extérieur, la construction ajoutée est décelable malgré la récente réfection. “Malheureusement, écrit le père Léon de saint-Joachin, carme belge, au début du XX siècle, les moines maronites qui possèdent maintenant l'ermitage, ont bâti, devant les ouvertures du rocher, une muraille qui en cache le pittoresque".( Mission des carmes, année 1908-1909. P.172).

 

[57] - La source:-Les sources sont assez nombreuses dans les environs d'Ehden, aucune coordonnée n'en signale la localisation.

 

[58] - D’après père Allard, {Cf. Missions des Carmes, p. 179}  Père Amieu était supérieur de la mission jésuite en Syrie.

 

[59] - Le patriarche du temps, Joseph Al Akouri(1644-1648).

 

[60] - Effectivement, la toile, peinture de saint Joseph a été faite. Elle se trouve, actuellement, dans l'église du couvent saint Jean de Hrache.

(Voir photo)

[61] - Ermitage saint Michel : Ermitage ou maison? Il se peut qu’il fût les deux à la fois… Pour nos pères, il est ermitage saint Michel. Pour d'autres il est maison  familiale…Si le nom actuel correspond à l'ermitage d'une fois qui est en ruines, la distance entre le couvent et l'ermitage correspond- ligne d'air- plus ou moins, au chiffre rapporté  .Toujours est-il que l'ermitage-maison est en chantier de restauration

 

[62] - Nos deux pères: il s'agit de Celestino et Matteo-..Thomas, entre-temps, nommé vicaire d’Alep a quitté le 28 septembre. (Voir texte p.89)

 

[63] - "une école…" Celestino avait une profonde compréhension de l'état de la société maronite de son temps. Il n'était pas le premier à y penser. Nos pères en avaient ouvert une, à Alep. D’autres l'avaient devancé au Liban même. (Cf. Al-Aïntourini, op.cit. p119). Le père Celestino paya de son temps, de son argent et de sa plume pour la réalisation du projet. Silence des autorités dans l’immédiat. Ce n’est qu’à partir du XVIII siècle que les carmes se sont attelés à l'ouvrage. Nous étions en retard…

 

[64] - Monastère de saint Jean Baptiste-Hrache fondé par sa béatitude le patriarche Al Akouri. Une fois, les moniales menaient une vie  de cloître, aussi, à l'instar des religieuses carmélites, le patriarche voulait qu’elles soient dirigées spirituellement par le Père Celestino. Il aura l'occasion de les orienter pour un laps de temps.

 

[65] - Mar Elias-Ghosta. Un petit couvent avec chapelle et propriété. Il en sera question plus tard,  mais faute de personnel, en ce moment, la mission s'est confirmée dans le nord du pays.

 

[66] - "Une petite partie du diocèse. Effectivement, vers la moitié du 17e siècle, les maronites se trouvaient en majorité dans la Montagne au nord du pays, et dans le jord de Batroun et Jbeil. kesrwan commençait á être repeuplé de maronites sous le gouvernement des khazen. Aussi, le siège patriarcal s'était-il transféré à Cannoubine sous la protection des Mokaddams  de Joubbé.

 

[67] - Le Carmel et l'Emir Torbay: La situation n'était pas de toute tranquillité. (Cf.  P. Prospero de lo Espirito Santo, Relaciones y cartas in Monumenta  Historica Carmeli Teresiani N23, Roma 2006.

 

[68] - Au début de leur habitation à Tripoli les pères furent hébergés par un marchand vénitien dans son propre domicile. (Voir le texte plus loin…)

 

[69] - "Je fais volontiers mention…obligations de notre réforme envers ce célèbre ordre". (Voir le texte).

Les relations entre les jésuites et les carmes ont, toujours, été fraternelles. En plus de leur apport dans la réfection de saint Elisée rappelons notre cohabitation à Tripoli. Ce fut  un frère laïc jésuite qui traça les plans de notre église à Kobayath, écroulée en 1914-(lire le manuscrit de P.Pietro)

 

[70] - Quadro dell’Assunta-Celestino y revient dans une lettre du 2/mars/1648 :’’ Sa longueur doit être d’environ huit palmes ou bien 6 fois et demi la longueur de ce papier,6 palmes conformes aux palmes de nos fabriques, ou bien 5 fois la longueur de ce papier…M. le patriarche ayant renouvelé sa demande de ladite toile, je supplie V. R. de ne pas oublier. Faites-la peindre avec les Apôtres tout autour.(Lettre du3 juin 1648…Il n’est besoin de faire le cadre, car le maître qui fabriquera l’autel majeur, fera de même le cadre…’’(Lettre du 9 juillet 1648) ‘’ Au moyen d’un vaisseau français qui a abordé à Malte, ά différentes dates, deux lettres de V.R. La première du 24 juillet… Ensemble avec la toile de L’ASSOMPTION…Les 500 messes pour ladite toile je finirai de les célébrer toutes…(Lettre du 8 février 1650)……….         Effectivement, elle a été peinte. Envoyée à Tripoli, elle a été remise au père Celestino qui, à son tour, l'a confiée au patriarcat. (Lire le texte)… Où se trouve-t-elle actuellement ? Nous avons entendu dire qu’elle se trouve, aussi, à saint Jean-Hrache

 

[71] - En 1649, moyennant l'entente entre le royaume de France et l'empire ottoman, Louis XIV renouvela la protection française aux maronites, patriarche, évêques et peuple, le 28 avril 1649. (Youssef al Dibs, V.II, Beyrouth 1903, p.305).Cette protection avait été accordée, une première fois, dans une charte du saint roi, Louis IX  lors de son passage à saint Jean d'Acre, en 1250.

 

[72] - En 1650, le wali de Tripoli, Omar pacha confia le gouvernement du pays de Batroun, à l'Emir Melhem ben Maan. Celui-ci confia la gestion de la Montagne à chaïkh Abou-Nawfal Al khazen. Il y rétablit la paix et la prospérité, au dire des Jésuites (cf. Boulos Masaad p.316الأصول التاريخية)

 

[73] - Le patriarche Youhanna Al Safrawi, de la famille Al Bawab de Safra-Kesrwan (oct.1648-dec.1656)

"حيث آليّة دفع الجزية تتّم من خلال دفع مبلغ مقطوع...مع الجماعات الدينية أو الطوائف حيث يدفع رأس الطائفة عادة هذا المبلغ وهذا الأمر حسب تقريرنا ومن خلال الحماية حصل مع بطريرك الموارنة...)د. عصام خليفة الضرائب الثمانية في الغرف 16 بيروت2000

 

[74] - -"Ce fut le Père Amieu, supérieur des jésuites en Syrie, qui négocia avec  père Celestino la question de leur cohabitation séparée dans la même maison…En 1652, le nouveau supérieur-le Père Poirresson, renouvela le contrat… surtout parce que cette cohabitation facilitera le support des communes avaries de la part des musulmans…"(Missions des carmes.p.158)

 

[75] - Laurentius a S.Simone. Né à Ehden, le nom de sa famille n'est pas signalé…Il entre au Carmel à Rome. Rentré au  Mont Liban, il se transfère à Alep où il passe à meilleur vie.

 

Les Carmes dans la Vallée Sainte

Traduction par Père Cesar Mourani ocd