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une interpretation geographique
1ère PARTIE : LE CADRE GEOGRAPHIQUE
Cette première partie va permettre de cerner le cadre
géographique de l'étude afin de bien spatialiser la problématique et les
phénomènes observés. Cette étape monographique apparaît comme un élément
important, voire fondamental quant à la bonne compréhension des questions
soulevées et des phénomènes géographiques mis en valeur. Cette première partie
sous forme de monographie n'est pas une fin en soi mais bien une étape
nécessaire dans la démarche méthodologique dans laquelle se situe cette étude.
C'est pourquoi nous allons aborder une série de
thèmes dont le principal objet sera de bien cadrer la spatialisation de notre
problématique.
Chapitre 1: KOBAYAT : Un site riche et varié |
Kobayat, petite ville du Caza Akkar, dans le Mohafazat du Nord Liban, se situe dans la pointe Nord du territoire libanais à une quinzaine de kilomètres de la frontière syrienne. La superficie de la commune, qui varie selon les estimations, recouvre à peu près une trentaine d’hectares, dont une infime partie est colonisée par un habitat concentré, entre 5 et 10% de l’espace total. Le village se situe dans les collines du Akkar, à une cinquantaine de kilomètres de la mer Méditerranée. L’espace communal se caractérise par une grande diversité paysagère, où se côtoient les montagnes calcaires caractéristiques du bassin méditerranéen d’une altitude variant de 500 à 1000 mètres, recouvertes selon l’exposition d’une intense végétation de pins D’Alep, d’épicéas, d’une garrigue plus ou moins luxuriante, d’un maquis dense ou de roches nues où émergent quelques graminées, petites plantes rampantes... A coté de ces montagnes calcaires émergent, essentiellement au Nord, des montagnes de type basaltiques, noires, très sèches, colonisées par une végétation de type garrigue où l’arbre est très peu présent.
Le site dans lequel s’est implanté la plupart de l’habitat ressemble à une sorte d’amphithéâtre entrouvert au nord et au sud par le Nahr el Kobayat, à l’est et à l’ouest par deux dépressions qui font de ce site un carrefour naturel où convergent les différents flux de communications.
A) Etude typonymique :
Le mot Akkar est une prononciation araméenne qui signifie « digue, obstacle » ; cependant, ce n'est pas de cet adjectif que « Akkar » a pris son nom. En fait, « Akkar » était le nom d'un Emir, qui signifiait « celui qui interdit ou qui entrave ». Cet Emir régna sur la région et bâtit en 689 un château dans un village qui s'appelle aujourd'hui « Akkar el Atiqa ». C'est à ce Prince que le caza Akkar doit son nom.
Si l'on s'en tient à la l'étymologie de la langue
araméenne ou syriaque, Kobayat serait une adaptation du mot Qobiath qui voudrait
dire réserve d'eau, source, fontaine. Ce sens s'intégre bien dans la géographie
locale où l'eau se trouve en abondance. De plus, la plupart des sites de la
localité sont des noms de dieux aquatiques ou de divinités qu'on vénéraient dans
le culte des sources.
Un autre sens serait issu de la langue arabe et
signifierait dôme ou colline, ce qui est en adéquation avec la topographie
locale. Cependant, il semble que les historiens considèrent que la première
hypothèse, issu de la langue araméenne, soit la plus à propos.
B) Structure du village :
Kobayat dans sa première approche apparaît comme un gros bourg, mais assez étalé puisqu’il se divise en 7 quartiers, plus ou moins distincts les uns des autres; Le quartier central, Zouk, a un nom d’origine perse qui veut dire la maison, est le plus important de Kobayat. Beaucoup de villages ou de quartiers s’appellent Zouk au Liban: Ici son sens signifierait l’auberge des soldats qui gardaient la route des caravaniers, à l’époque des (Omeyyades).
Le premier quartier qui, semble-t-il, serait le plus ancien se nomme Gharbieh ; Gharb, en arabe signifie occidental, le Gharb c’est ce qui se trouve à l’ouest, en l’occurrence c’est le quartier de Kobayat qui se trouve le plus à l’ouest ; On appelle aussi ce quartier Kobayat Antique, c’est à dire Kobayat la vieille, car ce quartier serait le berceau de l’actuel Kobayat.
Le second quartier Martmoura, qui est le premier quartier du bourg homogène de Kobayat, signifie sainte Moura ; ce quartier s’est bâti autour d’un sanctuaire religieux dont il a gardé le nom.
Sur la colline face à Martmoura se trouve le quartier nommé Dahr, et qui signifie en langue arabe le dos de la colline; Les gens qui habitaient le piémont ont peu à peu colonisé la colline qui avait une forme de dos et ont ainsi nommé leur quartier.
Au sud de Dahr se trouve le quartier de Ghowaya, qui est un nom araméen, l’araméen étant une langue sémite, la langue parlé par Jésus Christ, cela signifie littéralement à l’intérieur, et on l’explique par à l’intérieur du vallon, car les habitations se sont implantées au départ dans les aspérités du vallon.
Adjacent à Zouk, le quartier central, se trouve le quartier de Saydet, qui apparaît dans le découpage en paroisse mais pas dans le découpage administratif où il est intégré à Zouk. Cependant, dans les faits c’est un quartier à part entière, au même titre que les autres Saydé est le nom donné à la Vierge Marie en arabe et c’est une source miraculeuse où serait apparue la Vierge qui a donné ce nom au quartier.
Enfin, tout au sud de Kobayat, à l’écart du centre urbain, se trouve le quartier de Katlabeh, qui est le quartier le plus récent de Kobayat, ce village, avant 1850-1870 n’existait pas, ce n’étaient que des champs qui étaient cultivés par des paysans de Martmoura. Peu à peu, ils sont restés une semaine et revenaient le dimanche, puis ils ne revinrent que pour les fêtes de Noël ou de Pâques, et enfin, ils se sont sédentarisés autour de l’église. Les paysans cultivaient le blé dans cette petite vallée et après le travail, allaient se reposer sous un grand arbre dont l’espèce s’appelait en arabe <Katlab>. Peu à peu on a appelé ces paysans "les hommes qui allaient sous L’arbre" qui était l’emblème du champ et par déformation linguistique les habitants ont donné ce nom d’arbre à leur quartier.
Chapitre 2: Les caractéristiques socio-économiques du village |
Comme un certain nombre de villages libanais de montagne, Kobayat souffre de son éloignement de la côte méditerranéenne, synonyme de croissance, de développement comme le montre les divers pôles urbains, plus ou moins coalescents qui jouxtent presque du nord au sud le littoral libanais. La réfection depuis quelques années des infrastructures autoroutières a diminué l’effet d’enclavement de la région, mais ont eu également un effet pervers, car au lieu de désenclaver la région, c’est la population qui a été désenclavée, ce qui a augmenté l’effet de fuite de la population vers les grands pôles urbains.
A) La démographie :
Le recensement de la population à Kobayat, comme dans toutes les villes ou villages au Liban, revêt un caractère assez complexe. En effet, le dernier recensement officiel effectué au Liban date de 1932, lors du mandat français, et il n’a été complété depuis que par des estimations plus ou moins concordantes selon les sources de diffusion; on imagine bien dès lors que le comptage de la population n’est pas aisé, d’autant plus qu’il implique un caractère politique et sociologique fort, car l’organisation socio-politique du Liban qui s’appuie sur la représentation de chaque communauté, proportionnellement à leur présence dans le pays pourrait être remise en cause, selon divers rapports de l’ONU, ce qui dans un contexte politique fragile pourrait avoir des conséquences graves.
Kobayat a une population résidente permanente qui approche les 5000 habitants si l’on tient compte des recensements locaux qui ne sont pas officiels, comme on l’a vu précédemment, on arrive à des chiffres bien plus conséquents.
Les chiffres les plus optimistes avoisinent les 25000 ; on obtient parfois des chiffres de 15000 habitants (thèse de Joseph ABDALLAH). Cette différence, cette inadéquation entre une population réelle et une population estimée s’explique par le fait qu’on est et qu’on reste résident de son village d’origine quel que soit son nouveau lieu de résidence. En effet, en 1910, lors d’un recensement du père CHEIKHO, les kobayatiens ayant émigré en Amérique du Nord ou au Brésil étaient encore comptabilisées dans la population locale.
Si l’on se réfère au tableau dressé à partir des données de F. ISHAQ, qui couvre la période entre 1900 et 1975, et qui n’est donc utilisée ici qu’à titre indicatif.
Enfin, le total de la population a été évalué en 1980, d’après les listes de cadastre de l’État civil à 9800 habitants.
Si l’on considère les événements qui se sont déroulés au Liban à partir de 1975, on peut estimer que ces chiffres n’ont pas une grande valeur scientifique, mais ils permettent tout de même de dégager des tendances qui, nous allons le voir, seront soit accentuées soit pondérées par les années de guerre.
Concernant la répartition de la population dans l’ensemble du village, un bon tiers (38%) se concentre dans le quartier central de Zouk, auquel est rattaché le quartier de Saydet, 11,5 % se situe dans le quartier de Ghowaya, 16,5% dans le quartier de Dahr, 19,5% à Martmoura et environ 12,5% à Gharbiyeh ; Les habitants de Katlabeh, compte tenu de la constitution du quartier ont été recensé dans les autres quartiers.
La périodicité de l’habitat d’une partie des habitants de Kobayat ne permet pas de réaliser une pyramide des âges de la population du village, mais on peut tout de même dégager de grandes tendances, à savoir qu’on a une forte proportion de jeunes jusqu’au niveau secondaire, une classe creuse entre le secondaire et le début de la vie active, qui s’explique par l’éloignement des pôles d’enseignement supérieur, ce qui oblige les jeunes à quitter le village et la faiblesse du bassin d’emploi qui ne permet pas de retenir la population dans son espace d’origine ; l’employeur le plus important pour les jeunes de Kobayat est l’Armée, donc une grande partie des forces vives du village migrent vers Tripoli ou Beyrouth. Enfin, la proportion des personnes âgées est-elle aussi importante dans le village, encore que c’est une population qui a tendance à quitter le village pendant l’hiver lorsqu’elles ont de la famille sur la côte.
B) Les activités :
Malgré son site et sa situation, Kobayat n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler un carrefour, un pôle régional drainant toute une région par son aire d’influence économico-sociale.
L’activité agricole est présente à Kobayat c’est une des activités originelles du village: Il ne faut pas oublier que nous nous situons sur les derniers contreforts nord du Mont Liban, en zone rurale. Ce n’est cependant pas une activité agro-industrielle qui s’est mise en place ici, contrairement à la plaine du Akkar autour de Tripoli et dans l’ouest du Akkar. Même si ici l’altitude n’est pas très conséquente, (entre 500 et 1000 mètres), la topographie ne permet pas une culture extensive, ce qui dans un schéma d’agriculture capitaliste, réduit l’activité agricole à sa plus simple expression. Un des indicateurs du manque de dynamisme de l’agriculture locale est le faible taux de mécanisation (quelques tracteurs) qu’on trouve à l’échelle du village. Les grands types de production qu’on retrouve dans le village sont la céréaliculture (blé, maïs), les cultures irriguées comme le tabac, les légumes... qu’on retrouve dans le fond de vallée au nord du village, l’arboriculture avec des oliviers, des pommiers, des poiriers, des mûriers (issus de l’époque ou Kobayat était un pôle industriel de production du ver à soie) et l’élevage, essentiellement d’ovins, de volailles et de bovins..
Malgré cette palette assez étendue de la production, il faut tout de même signaler son aspect marginal, car c’est en aucun cas une production qui permet de subvenir aux besoins alimentaires du village ni une production vouée à l’exportation. De plus, si l’on tient compte des emplois liés à l’agriculture, on voit qu’ils n’éxèdent pas 5% de la population active. Kobayat apparaît donc comme un village sans spécificité agricole.
Les Activites industrielles:
«La production de la soie était autrefois en Akkar très prospère et résolvait plusieurs problèmes sociaux et économiques, car elle était une source précieuse. Il y avait donc là une forme d’activité sociale qui supposait des familles nombreuses et qui les maintenaient unies un ou deux mois de l’année ; c’était un artisanat attachant le paysan à sa terre >>.
A la fin du 18ème et au début du 19ème se met en place à Kobayat la culture du mûrier qui permet l’exploitation du ver à soie cette production très importante va engendrer la construction de manufactures (il y aura dans le centre de Kobayat jusqu'à 6 manufactures de fil de soie), à une grande source de revenus à la ville ainsi que d’importants échanges.
Ceci montre qu’historiquement, l’industrie était une activité intégrée à Kobayat, ce qui a même entraîné un certain essor pour la ville.
La situation actuelle est toute autre ; En effet ces industries ont toutes périclité au cours du 19ème et du 20ème siècle et n’ont pas été remplacées. On peut alors regrouper dans les activités industrielles les activités artisanales comme le bâtiment, les garages automobiles, les forges. Ce ne sont en aucun cas des industries peuplantes et ce sont même parfois des industries à fluctuations saisonnières (comme le bâtiment qui connaît une activité grandissante durant l’été).
Les activités tertiaires :
Ces activités qu’on regroupe sous le terme générique des services, sont omniprésentes à Kobayat; elles représentaient en 1985, 85% de la population active totale. Ces activités peuvent être divisées en trois classes majeures: les militaires, les fonctionnaires, les commerces.
Les militaires: Il n’est pas anodin de commencer par cette activité militaire dans l’étude des activités tertiaires. L’armée est de long le premier employeur du village ; 43% de la population active est engagée dans l’armée. Il est de notoriété publique au Liban que Kobayat est un berceau de recrutement pour l’armée libanaise, dont certain ont actuellement des postes clefs dans la nomenclature militaire. Ce fait que l’armée soit le premier employeur de la ville démontre la faiblesse du bassin d’activité et du bassin d’emploi local.
Les fonctionnaires: ils représentent la deuxième classe la plus importante de la population active locale soit 32% des emplois de la ville, qu’on divise entre les emplois d’enseignants et les emplois administratifs ( bureau de poste, de téléphone et de télégraphes (PTT), tribunal, bureau des registres de l’État civil, bureau de la sûreté générale, bureau de l’électricité, société de l’eau...).
Le commerce et les services marchands: ils représentent 10% de l’activité des services. On les retrouve essentiellement de part et d’autre de la grande rue centrale de Zouk; on note à autres se contentent de vendre en vrac toute sorte de produits ménagers, de bricolage, alimentaire. Le manque d’activité économique a engendré une sur intensification de l’activité commerciale et un suréquipement en commerce, qui laisse croire que Kobayat est un pôle commercial régional.
C) L’urbanisation :
Historiquement, on note la présence d’un peuplement humain à partir de -3000 avant Jésus Christ. Devant l’église de Chahlo, on peut voir quelques fragments d’un temple païens phéniciens. Ce site de Kobayat était en quelque sorte le point de contact entre les plaines de Syrie et le littoral Phénicien.
On note au 7ème siècle l’arrivée de migrants maronites venus de Syrie. Les maronites faisaient partie d’une secte qualifiée d’hérétique, et pour fuir les persécutions engendrées par Justinien II, ils se sont réfugiés au nord du Liban.
Il y a eu ensuite la période franque durant les croisades où l’Église maronite en tant qu’Église uniate, donc rattachée à Rome, a fait des croisés des alliés légitimes ; Il en est résulté une protection qui accusa un sérieux revers à la fin des croisades. Il y eut ensuite une période où le Akkar étaient gouverné par une grande famille Kurde sunnite, qui, contrairement aux Omeyyades, n’était pas farouchement opposée aux chrétiens. Les chrétiens ont donc joui à cette période d’une vie assez facile, ce qui a amené une recrudescence de la population chrétienne maronite dans la région.
Pour simplifier, on peut dire que la ville de Kobayat a fait au fil des siècles "l’accordéon" ; C’est à dire que se sont enchaînées des périodes fastes où la population et la ville s’accroissaient, puis des périodes où les envahisseurs prenaient la ville, en la brûlant ou la rasant.
Pour en revenir à des périodes plus proches de nous, on arrive au 18ème siècle, période qui voit la naissance de la ville de Kobayat telle que nous la voyons aujourd’hui..
C’est à la fin du 18ème et au début du 19ème que Kobayat va connaître une grande période d’expansion économique, démographique et urbaine c’est à cette époque que Kobayat va devenir un grand centre urbain.
Cette croissance s’explique par 4 ou 5 grands facteurs, qui conjugués vont permettre à Kobayat d’atteindre un véritable développement.
Tout d’abord, il se met en place à Kobayat la culture du mûrier qui permet l’exploitation du ver à soie ; Cette production fort importante va engendrer la construction de manufactures, à une époque où le commerce entre l’orient et l’occident était très développé. Parallèlement à cette activité, arrivent vers 1830, venu d’Italie, une mission de Pères Carmes venus en terre chrétienne pour organiser l’instruction de la population. Ceci a amené à Kobayat plus qu’une croissance économique, un développement. Le niveau d’instruction de la population s’est amélioré, ce qui a permis de développer de manière efficace l’agriculture. La tradition scolaire qui concorde avec l’arrivée des Pères Carmes est encore très présente aujourd’hui. Un troisième facteur est venu se greffer aux deux précédents, c’est l’installation sous le Mandat français d’une caserne militaire à Andaket, qui offrit à une grande partie des hommes de Kobayat un emploi salarié, ce qui eut pour conséquence de créer une nouvelle source de revenus pour la ville. Jusque là, les revenus des Kobayatiens étaient des revenus de la terre et l’économie était organisée par le système du troc ; Avec l’arrivée de ce régiment français, une nouvelle source de revenus donc de richesse est arrivée à Kobayat, ce qui eut pour conséquence d’augmenter le niveau et la qualité de la vie, donc cela a permis à la ville de connaître une nouvelle expansion.
A cela s’est ajouté un quatrième facteur d’ordre naturel et très présent à Kobayat, à savoir la forêt. La montagne Kobayatienne est caractérisée par une couverture végétale très dense et très développée qui va du chêne vert sur les premiers étages aux pins sur les hauteurs. L’exploitation forestière a été assez intense à Kobayat notamment par l’Angleterre qui a utilisé ce bois pour construire les traverses de chemins de fer de la ligne qui reliait les grandes villes de la région. Kobayat devint ainsi un petit centre urbain de montagne assez développé, dans un environnement rural très marqué.
Kobayat qui était historiquement un village d’agriculture et de paysans a gardé jusque dans les années 60 et 70 son caractère originel, même si ce développement de l’agriculture a engendré une certaine urbanisation, tant au niveau de la structure du village que du type des activités (commerçants, administrateurs, bijoutiers, secrétaires, fonctionnaires, enseignants...). Depuis les années 1960/70 et jusqu’à maintenant, la structure du village a beaucoup évolué, surtout au niveau de l’habitat où l’on remarque que la ville s’est considérablement développée; les quartiers gagnent de plus en plus vers la montagne et les anciens champs fertiles qui sont laissés en jachère commencent à être colonisés par les habitations.
L’Habitat :
Il y a deux grands types d’habitat à Kobayat: l’habitat traditionnel et l’habitat moderne. L’habitat traditionnel se caractérise par le type de matériau utilisé, à savoir la pierre blanche, calcaire, prélevée directement dans la montagne. Ces pierres taillées en gros cubes donnent un caractère jaune oranger à la maison. Les toits comme c’est l’usage dans la région sont plats ; La maison se caractérise souvent par une terrasse et une grande pièce centrale qui fait office de salon et de salle à manger. Ce type d’habitat tend à s’amenuiser car il est coûteux, plus compliqué et plus long à construire, mais il offre en contrepartie une sorte de prestige. Faire construire aujourd’hui sa maison en pierre à plus de « cachet », donc cela témoigne d’une certaine aisance, voire d’une certaine richesse.
Peu à peu les constructions modernes remplacent le charme désuet des demeures en pierres de tailles ; la raison est avant tout économique; le matériau, le béton, est moins cher, plus facile d’emploi. De plus, l’utilisation du béton armé garantit une certaine résistance. Les toits sont toujours plats, mais en général les habitations sont plus grandes et plus fonctionnelles; le côté pratique l’emporte sur le côté esthétique, ce qui a pour conséquence de tenir quelque peu le paysage.
Selon la situation de la maison, on trouve des maisons à étages sur sous-soi sur les flancs de montagne, et de plein pied sur les plaines, sans étage si l’habitat est dispersé et avec étage lorsqu’il se concentre, comme dans le quartier central de Zouk.
D) Organisation :
Kobayat était la capitale d’un sous-district (canton), le Nahié, qui était un découpage administratif qui datait de 1922 (sous le Mandat français).
Avec l’indépendance en 1943, l’État a voulu simplifier le découpage administratif et a divisé le Liban en 5 Mohafazats et a découpé chaque Mohafazat en district qu’on appelle Caza. Pour le Liban Nord, Kobayat se situe dans le Caza du Akkar, dont la capitale districale est Halba.
Toutefois, de ce passé « colonial » français, Kobayat a gardé une fonction administrative forte, qui fait que la cité draine et entraîne les villages alentours pour tout ce qui concerne le pouvoir administratif( la gendarmerie, le pouvoir judiciaire, les services d’État civil et des cartes d’identité).
On recense la présence d’une municipalité à Kobayat à partir de 1912, sous le régime ottoman; Le Liban a conservé le découpage administratif Ottoman de façon assez importante, ce qui témoigne d’un peuplement organisé et non d’un habitat anarchique ; ce fait permet d’indiquer que l’identité de Kobayat a un passé assez important.
Le pouvoir politique aujourd’hui a quand même beaucoup perdu de son importance. Kobayat est découpé en six quartier administratifs légaux que sont Gharbiyeh, Martmoura, Zouk, Dahr, Ghowaya et Katlabeh ; il y a 7 paroisses, c’est à dire que la 7ème paroisse, Saydet, est administrativement reliée à Zouk.
Chaque quartier est "gouverné" par un Moukhtar ou Maire qui est élu et qui est adjoint dans sa tâche par quatre personnes ; Ses fonctions sont d’ordres essentiellement administratifs : c’est lui qui collecte les sources d’État civil notamment.
A la tête de l’ensemble urbain se trouve la municipalité, avec un chef de municipalité qui est aussi élu et qui est aussi adjoint dans son travail par différentes personnes. Actuellement, le chef de la municipalité de Kobayat est issu des élections de 1972, c’est à dire qu’un certain nombre d’adjoints sont morts et n’ont pas été remplacé ; de prochaines élections devraient avoir lieu, mais rien ne semble être organisé. Le flou actuel témoigne du faible enjeu que constitue ici la municipalité; cela traduit l’étroitesse du pouvoir qui s’exerce à l’échelle de la municipalité.
Ses fonctions :
Elles sont essentiellement d’ordre administratif; la municipalité est une sorte de pouvoir délégué de l’État, mais choisi par les habitants. La municipalité informe les citoyens des lois votées par le parlement, des décrets à suivre : La municipalité s’occupe de la bonne exécution de décisions prises par l’État. Elle a aussi une fonction « d’Officier Civil ». Elle donne aussi son aval aux personnes désirant contrôler les canaux d’irrigations, les forets ou les arbres fruitiers. La municipalité a aussi une fonction de gestion de la voirie: c’est elle qui s’occupe des petites routes du village (les grands axes étant de la responsabilité de l’État), c’est à dire de la construction, de l’entretien, de la propreté des routes secondaires.
La municipalité a aussi une fonction d’investissement; suite au travail d’un expert (ingénieur), elle peut décider de mettre en place un projet, qui doit être avalisé par le chef du district d’Halba. Si le projet est compris entre 5 et 50 millions de Livres Libanaises (chiffres non corrigés par l’inflation), c’est la municipalité qui fait l’investissement ( ce qui représente environ 1,5 ou 2 millions de francs), sinon c’est l’État qui prend en charge le projet. Ceci implique que le pouvoir décisionnel concernant les investissements lourds n’appartient pas à la municipalité mais à l’État ce qui, compte tenu de la situation actuelle, implique que peu d’investissement sont réalisés dans la région.
Actuellement, les ressources de la municipalité sont diverses ; il y a tout d’abord des crédits venant de l’État, et les impôts directs et indirects comme la taxe sur la construction ou sur l’habitation.
La majeure partie du budget municipal est employée à payer les personnes qui travaillent pour la municipalité comme le premier secrétaire, les policiers, les agents municipaux; ceci démontre également l’étroitesse du champ d’action du pouvoir local.
Cette faiblesse du pouvoir local explique en partie les écarts de développement qu’il existe entre les villes du littoral et les petites villes et villages de l’intérieur. L’État au Liban, la guerre entre 1975 et 1991 n’a pas contribué à améliorer les choses, est peu présent au Liban.
Le Liban est le pays du libéralisme exacerbé, dans un environnement géopolitique où les États qui se veulent forts sont très présents (Israël, Syrie, Irak). Au Liban l’initiative privée est prépondérante ; ceci a engendré certains projets, certaines richesses, mais qui étaient extrêmement inégales sur l’ensemble du territoire. Au Liban tout ce qui est privé est « supérieur» à ce qui vient de l’État, comme les hôpitaux, les écoles, les universités, en son temps les milices armées. Le développement ne concerne que les zones où il y a de l’argent et des gens riches. De plus, une nouvelle loi fiscale a décidé que les impôts des entreprises passaient de 40 à 50 %, ce qui va contribuer à appauvrir l’État et à surtaxer les citoyens moyens, qui connaissent déjà une énorme crise de leur pouvoir d’achat. La politique du clientélisme n’est pas désuète ici, comme le confirme le nom donné aux politiciens : Les fromagistes.
Chapitre 3: Le contexte politique et économique |
Le Liban sort d’un conflit qui s’est conclu en partie par les accords de TAEF de 1989, qui a permis une restauration, largement inspirée par la Syrie sur les 3/4 du nord du pays et par Israël au sud.
C’est donc dans un contexte particulier, tant au niveau économique que politique, qu’est plongé actuellement le pays. Cette guerre et la réorganisation politique qui en est issu à accélérer certain processus de déprise et de récession, que nous allons étudier tout au long de ce Chapitre.
A) Une économie agonisante :
L’économie libanaise est, même si cela a beaucoup changé depuis la guerre, urtertiarisé. A Kobayat, comme nous l’avons vu précédemment, la part de la population active dans le secteur tertiaire dépasse 80% ; à cela il faut ajouter que les services non marchands (administration, enseignement armée) sont largement supérieurs aux services marchands. C’est un indicateur très intéressant pour comprendre le fonctionnement de l’économie locale. Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur de grandes théories économiques pour comprendre qu’un tel taux de services non marchands dans l’économie locale implique un malaise dans la structure économique locale. Le plus important employeur de la ville, à savoir l’armée, fait partie des activités dépeuplantes, c’est à dire que comme il n’y a pas de caserne à Kobayat, les jeunes hommes qui s’engagent dans l’armée sont de fait obligés de quitter Kobayat.
On a affaire à une économie complètement déstructurée où le secteur agricole n’emploie que peu de main d’œuvre et n’a pas par ailleurs une productivité très forte. Dans le contexte rural dans lequel se trouve Kobayat, ceci nous amène à penser que le village se situe en post-phase de déprise agricole. Comme d’autre part, comme nous l’avons également vu auparavant, le secteur secondaire, plus proche de l’artisanat que de l’industrie, n’est pas plus peuplant ni plus productif que le secteur agricole, il apparaît de façon claire qu’aucune activité ne puisse engendrer une croissance ou un quelconque dynamisme dans l’économie locale. La part des services rivalise ici avec les plus grandes métropoles tertiaires du monde, sauf que les types d’activités qui ont lieu ici n’ont rien d’économiquement dynamique.
Pour conclure, on peut dire que Kobayat n’arrive pas à conserver ses forces vives en son sein ; Le bassin d’emploi, malgré la sur tertiarisation, est quasiment nul dans la région; l’économie locale n’a pas, semble-t-il, réussit à relever le défi de l’exode rural, qui n’est cependant pas récent dans la région.
B) Un enclavement géographique, économique et politique :
Le Liban est un petit pays (10452 km2), ce qui correspond environ au département de la Gironde, qui par sa large ouverture maritime et sa topographie accidentée concentre la majorité des grandes villes, des habitants, des activités, des pouvoirs sur la longue bordure littorale ; Il n’y a qu’à voir Beyrouth qui à elle seule concentre près du tiers de la population totale du pays. Donc malgré sa petite taille le Liban n’est pas du tout homogène, tant au niveau morphologique qu’au niveau de la présence humaine.
Dans ce contexte d’anti isotropie territoriale, on peut de fait dire que ne pas appartenir à l’espace littoral peut correspondre à un certain enclavement.
Kobayat, situé à la pointe nord du Liban n’entre dans aucune sphère d’influence métropolitaine; Sa proximité avec la frontière syrienne n’est pas anodine dans l’explication de cet enclavement. Ici l’effet de frontière, même si actuellement il tend à être aliéné par l’importante présence syrienne dans la région, n’a certainement pas joué en faveur de Kobayat.
De plus, même si l’on met de côté cet effet « frontière », force est de constater que ni les villes libanaises ni les villes syriennes ne sont assez importantes pour avoir de l’influence dans cette région.
Kobayat, malgré une altitude moyenne n’avoisinant que les 700 mètres, se situe quand même sur les derniers contreforts de la chaîne du Mont Liban, c’est à dire que la topographie malgré un fond de vallée assez large, est quand même difficile. Ceci ne permet donc pas l’établissement d’infrastructures routières très développées, qui de toute façon n’auraient pas grand intérêt au vu des ressources offertes par la région. Cependant, tout ceci accentue l’effet d’enclavement. La notion d’enclavement géographique n’existe pas en soi ; cela veut dire qu’on se trouve à l’écart des centres décisionnels, des centres d’activités, qu’on est exclu des zones dynamiques du pays. En suivant cette définition, on peut dire que dans une certaine mesure Kobayat est marqué par un certain enclavement à l’intérieur du territoire libanais.
L’enclavement économique, même s’il n’est pas une fatalité, est néanmoins bel et bien présent à Kobayat. Il n’y a pas de secteur économique dynamique à Kobayat; la ville n’influe d’une façon très prononcée sur sa région. L’agriculture et l’industrie ne sont pas très performante, l’aire d’influence de la ville est assez réduite. Kobayat et sa région ne fournissent pas à ce jour assez d’atouts pour accueillir des entreprises, des investisseurs là encore l’effet de frontière est encore très présent, même si des traités de coopération ont été « signé » avec ou par la Syrie. De toute façon, ni le Liban ni ta Syrie (dans une moindre mesure) ne semblent trop porter attention à cette région.
L’enclavement politique découle directement de cet enclavement géographique et de cet enclavement économique, c’est à dire que c’est une région qui n’a pas de richesses naturelles stratégiques, qui n’a pas ou peu une situation stratégique non plus, ce n’est pas le berceau de grandes familles libanaises, même s’il y a ici quelques notables influents. Enfin les positions de l’ancien député Mikhael DAHER, qui fut ministre de l’éducation à la fin des années 1980, contre la nouvelle nomenclature politique issue des accords de TAEF, n’a pas favorisé le désenclavement politique du canton de Kobayat. La politique est une affaire assez sensible ici, ne répondant pas à des tenants et des aboutissants toujours de nature très rationnelle. C’est à dire qu’un notable en porte à faux avec le pouvoir central peut être rapidement ignoré puis remplacé, comme cela a été le cas à partir du scrutin de septembre 1996.
C) Un contexte politique et confessionnel particulier :
Développer une partie sur I ‘éventuel marquage à gauche, voire à l‘extrême gauche de la population de Kobayat.
Kobayat est une ville complètement homogène au niveau confessionnel ; la population est ici complètement chrétienne d’une part et essentiellement de rite maronite d’autre part. Essentiellement car il y a tout de même quelques personnes de rites grecs orthodoxes, de rites latins (les congrégations religieuses notamment). Le caractère maronite est un caractère identitaire de Kobayat, c’est lui qui lie la population à cette terre.
Cette population homogène témoigne d’une forte endogamie communautaire et territoriale. On ne se marie qu’ici qu’entre maronite ou du moins qu’entre chrétien. La petite présence d’orthodoxe dans le village provient des quelques villages orthodoxes environnants ; c’est à dire que des hommes de Kobayat ont épousé des femmes orthodoxes (rarement le contraire), donc, finalement, toute la population reste en immense majorité maronite.
Est-ce un phénomène forcément délibéré, qui pourrait s’apparenter à l’instinct de survie, qui daterait de l’arrivée des maronites sur cette terre; est-ce un phénomène de méfiance, de défiance des autres communautés, est-ce une incompatibilité de vie commune? L’histoire a fait que les multiples accrochages entre chrétiens et musulmans, les derniers datant des derniers événements de 1975/1990, fait que vivre ensemble reste une chose difficile.
Kobayat se trouve dans la montagne, et les chrétiens, notamment les maronites, ont depuis tout temps été persécutés; les maronites du Liban venaient de Chypre puis de Syrie et pour échapper aux persécutions, les chrétiens ont laissé le littoral aux «envahisseurs» arabes (Mamelouks, Abbassides, Fatimides, Ottomans) et se sont réfugiés dans les montagnes, comme dans la vallée Sainte de Qadicha. Ceci explique l’ancienneté du peuplement chrétien à Kobayat; «Les maronites sont accrochés à cette terre qui est leur sang; ce peuplement millénaire qui est issu de la souffrance d’un peuple» témoigne de ce lien qui existe entre ce peuple et ce territoire.
Être à Kobayat, c’est être chrétien et il faut être chrétien pour vivre à Kobayat.
De plus, au début de ce siècle, et jusque dans les années 1950 environ, les chrétiens étaient majoritaires au Liban; aujourd’hui, même s’il n’y a pas eu de recensement officiel depuis 1932, il semble que cela ne soit plus vrai. Donc les chrétiens se sentant minoritaires, donc affaibli et par la forte augmentation musulmane et par l’importante présence syrienne, réagissent en ressoudant leur communauté, d’autant plus qu’ici à Kobayat, contrairement aux Cazas du Mont Liban, il ne reste plus qu’une petite enclave chrétienne, qui correspond à Kobayat et quelques villages environnants. Cet effet d’encerclement par les chiites, les sunnites et les syriens, renforce l’appartenance communautaire, qui se traduit ici par une forte religiosité.
D) Un vivier d’émigration et une diaspora conséquente :
On trouve des traces d’une émigration libanaise à partir du 18ème et du 19ème siècle. A Kobayat, après la fermeture des manufactures de soie, de l’usine de savon, depuis la crise de l’agriculture, la ville n’a pu offrir à ses habitants assez de travail. Le lien avec la terre familiale a alors commencé à se rompre. Au départ, les habitants essaient de rester à Beyrouth, mais comme la capitale se trouve très engorgée, les Libanais commencent à fuir leur patrie.
Durant la guerre du Liban de 1975/1991, Kobayat a été un des premiers villages à être attaqué par ses voisins musulmans dans le nord Liban. Il s’en est suivi un lent exode, surtout vers l’Australie et l’Amérique du Sud pour les Kobayatiens. Cet exode pendant les premiers événements n’est resté malgré tout que marginal.
Cependant, depuis la fin du conflit, on constate un phénomène nouveau qu’on pourrait qualifier de migrations hebdomadaires, qui se traduit par une fuite vers les villes grâce à la construction de routes et d’autoroutes, qui permettent de relier les villes littorales à la montagne de plus en plus rapidement.
Avant la guerre, pour aller de Aaquoura, village au Mont Liban jusqu'a Beyrouth il fallait compter 4 heures alors qu’il n’y a que 70 kilomètres aujourd’hui pour rallier Beyrouth à Kobayat il faut entre deux et trois heures, alors qu’il y a environ le double de kilomètres. L’amélioration des infrastructures routières est en train d’accélérer le processus de déprise qui touche Kobayat et une partie du Nord Liban.
La population Kobayatienne, même s’il n’y a pas eu de recensement officiel est estimé à environ 25000 habitants, mais seulement 1/5, donc environ 5000 habitants habitent constamment te village; les autres, la grande majorité, travaillent soit à Beyrouth pour la plupart soit dans d’autres villes du Liban comme Tripoli et reviennent pour les week end ou les vacances. Les autres ont émigré; les destinations d’émigration les plus fréquentes pour les Kobayatiens sont l’Australie ou l’Amérique du Sud, surtout le Brésil (la plus grande ville libanaise du monde est Sâo Paulo), certains sont partis en Amérique du Nord, dans le Golfe Persique en Afrique occidentale ou en France.
Ces migrations hebdomadaires, temporaires ou définitives ont plusieurs explications : Tout d’abord, la guerre civile est un facteur direct d’émigration ; c’est aussi un facteur indirect car la guerre a engendré la crise économique, ce qui a eu pour conséquence l’apparition du phénomène du chômage, le travail se trouvant alors soit à la capitale, Beyrouth, soit à l’étranger.
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